Im Westen nichts Neues Traduction : Alzir Hella & Olivier Bournac
Extraits Personnages
L'art de Remarque, c'est la simplicité - ce qui n'est pas sans étonner ceux qui ont vu les adaptations, plutôt marquées au coin du mélodrame, de nombre de ses romans. Il écrit à tous petits points, pourrait-on dire, mêlant les détails les plus réalistes de l'horreur des tranchées et personnages romancés ayant des allures d'archétypes.
Ce n'est sans doute pas par hasard si le narrateur d'"A l'Ouest Rien de Nouveau" se prénomme "Paul", second prénom de l'écrivain. De même, ce n'est pas non plus un hasard si sa mère décède d'un cancer. Pourtant, avec une étonnante maîtrise, Remarque parvient à établir et conserver avec ses personnages et les faits qu'il raconte le recul suffisant pour, justement, ne tomber ni dans la démonstration pacifiste enflammée, ni dans le mélo qui fera pleurer Gretchen et Margot dans leurs chaumières.
Toute la force d' "A l'Ouest Rien de Nouveau" est là, dans cette alchimie subtile entre la vie et l'imaginaire.
Le ton n'est ni froid, ni impersonnel mais il n'est pas non plus très lyrique. Seules les descriptions d'une Nature qui, dans son éternelle renaissance, demeure somme toute assez indifférente à la guerre, laissent affleurer une poésie douce. L'utilisation systématique du présent de l'indicatif fait entrer de plain-pied le lecteur dans le quotidien du soldat allemand de la Grande guerre, un soldat mal nourri, toujours en quête d'un petit quelque chose pour améliorer son ordinaire, un soldat qui se terre dans les tranchées envahies par les rats pour éviter le feu cinglant des obus, un soldat qui ne peut opposer aux attaques chimiques que la protection d'un masque et aussi son expérience personnelle - surtout, conserver son masque le plus longtemps possible, ne pas l'enlever trop tôt, ainsi que l'ont fait tant de jeunes recrues, sinon c'est la mort, noire et bleue, assurée ...
En face, il y a l'ennemi. Un ennemi mieux nourri et mieux armé - quand il évoque les boîtes de "corned-beef", on voit presque le soldat Remark et ses camarades en train de saliver à cette vision qui, pour leurs estomacs délabrés, équivaut au plus voluptueux des fantasmes - un ennemi plus frais, plus dispos, un ennemi que l'arrivée des troupes américaines à soulager de la pression des fronts multiples. Ce qui n'empêche pas l'ennemi de partager, lui aussi, les tranchées que la pluie incessante transforme en marécages ocre et sang, les entonnoirs creusés par les obus, le désir de plus en plus dévorant de voir s'achever une guerre dont il ne perçoit plus la raison première.
Omniprésente même si son nom est rarement prononcé, la Mort plane sur tout et tous, accomplissant pour ainsi dire machinalement la tâche qui est la sienne. Certes, la victoire, comme l'a dit un jour Napoléon Ier, sera du côté du bataillon le plus fort, c'est la loi, mais la victoire comptera aussi ses blessés, ses morts et ses disparus. La Faucheuse, quoi qu'on en dise, n'a pas vocation de partialité. Et ceux qui s'esquivent aujourd'hui, encore bien vivants, la retrouveront demain, au détour du chemin. Pour les "gueules cassées" et les amputés, pour ceux qui agonisent des heures dans les pires souffrances, ne se montre-t-elle pas, d'ailleurs, plus miséricordieuse que la vie ? ...
Au-delà le message pacifiste qu'il véhicule, "A l'Ouest Rien de Nouveau" constitue également une réflexion - quelque peu perplexe - sur la soif de Mort qui caractérise l'être humain, la guerre ne représentant à la fois que le prétexte et le moyen de l'étancher au maximum.