On me l'aurait racontée, je n'y aurais pas cru, tellement c'est énorme.
Je me serais dit: le gars, là, il galèje, l'est de Marseille (vous savez, la ville où une sardine a bouché le port).
Mais on ne me l'a pas racontée, je l'ai vécue.
Dans l'Hôtel des Impôts où j'officiais en tant qu'agent en 1999, des travaux de rénovation étaient en cours. Posté dans un Algeco à l'orée du
chantier, j'étais censé renseigner les gens, me confondre en excuses pour le dérangement, avant de les envoyer faire le tour du bâtiment, l'entrée se faisant par l'arrière pendant les travaux.
De faction donc, je surprends à un moment un incident entre deux artisans intervenant sur le chantier. Incident qui dégénère rapidement en rixe.
L'un des protagonistes est vraisemblablement un ancien légionnaire (chose qu'il m'a confirmée par la suite), tandis que l'autre est aussi épais qu'une feuille.
Pour 3 fois rien, le ton monte. Mon légionnaire (qui ne sentait pas le sable chaud, mais puait la sueur), énervé, chope par le colback l'autre artisan, le bouscule jusqu'à ce que ce dernier, apeuré
sans nul doute, et en état de défense, ouvre son opinel passablement usagé, qu'il brandit en retrait, comme pour prendre de l'élan avant de le planter dans le ventre de l'agresseur.
Hors de lui, le légionnaire ricane: pauvre lopette, tu crois me faire peur avec ton cure-dents ? et paf ! lui envoie un poing dans la tronche.
Le gars, sonné, s'écroule. Il crache du sang, puis un bridge.
Voyant la tournure des événements, je demande à ma collègue, qui a assisté en retrait à la scène, d'appeler la maréchaussée. Tandis que j'interviens physiquement, et avec le concours d'un ou deux
autres comparses, tente de les séparer et de les calmer.
La cavalerie déboule, à grand renfort de sirènes, type Chicago Vice.
Mon légionnaire reconnaît une inspectrice de police qui accompagne des agents en tenue. Il discute un moment avec elle.
En 30 secondes, ils font mine de repartir, satisfaits de la version qu'ils ont obtenu en l'absence de la victime évacuée vers l'infirmerie.
J'alpague un agent, et lui dis que les choses ne se sont pas passées comme il le croit. Je me présente, lui indique que j'ai tout vu depuis le début, et insiste pour témoigner à mon tour. C'est
bon, me dit-il, on a déjà tout.
Non, j'insiste, vous n'avez qu'une version des faits. Moi, je ne suis pas partie prenante, et j'affirme que ce n'est pas comme ça que cela s'est passé.
Visiblement ennuyé, il note mes coordonnées, et me dit que le commissariat me recontactera.
Effectivement, le lendemain, je reçois un coup de fil d'un commandant, me demandant de passer déposer pendant les heures de bureau.
Je lui explique que je suis agent de l'administration, que les événements se sont déroulés pendant le cadre de mon travail.
Bien que mû par un réflexe citoyen, je n'ai pas à prendre sur mon temps personnel pour déposer, autrement dit poser un congé pour accomplir mon devoir.
En conséquence, je demande à ma hiérarchie.
Et c'est là que ça commence....
J'en parle à ma contrôleuse au grand coeur, à qui je raconte tout:
- Houlalà ! qu'elle me fait. Faut voir avec le Chef de Centre.
Je vais voir le Chef de Centre à qui je raconte tout depuis le bédut:
- Houlalà ! qu'il me fait. Faut voir avec la Responsable de Centre.
(On notera au passage que le chef de centre n'est pas responsable, et que la responsable n'est pas chef...)
Je demande audience à la Responsable de Centre à qui je raconte
tout:
- Houlalà ! qu'elle me fait. Faut voir avec la
Direction.
Je suis rappelé dans le 1/4 d'heure qui suit par une Directrice. Je lui expose à nouveau toute la situation:
- Vous n'êtes pas mêlé à cette affaire ?
- Non, je suis simplement témoin.
- Houlalà ! qu'elle me fait. Faut voir avec Bercy....
En fin d'après-midi, la réponse est redescendue par voie hiérarchique: je pouvais aller témoigner, moyennant une autorisation d'absence.
Je ne sais si la problématique est remontée jusqu'à l'Elysée.
Mais voilà comment occuper une administration pendant une bonne journée !
Voilà également à quoi sert la hiérarchie.
Je me marre !