Vingt ans après

Publié le 24 janvier 2012 par Toulouseweb
Le dossier de l’accident du Mont Sainte-Odile se referme.
La sécurité aérienne figure en tête des thèmes les plus délicats, les plus difficiles de l’ensemble des transports aériens. Les statistiques ont beau être «bonnes», constamment en amélioration, environ 700 victimes pour 2,7 milliards de passagers par an, chaque accident entraîne son lot de drames, de douleurs, un inévitable sentiment d’injustice. En même temps qu’un dialogue difficile entre techniciens de l’aviation commerciale et proches des victimes entraînés du jour au lendemain dans un tourbillon d’incompréhensions, de déceptions, dans un contexte d’apparente indifférence.
Le dossier de l’AF447, le Rio-Paris d’Air France du 1er juin 2009, le rappelle jour après jour et ne quittera pas l’avant-scène avant longtemps. Le rapport final du BEA, Bureau d’enquêtes et analyses pour la sécurité de l’aviation civile, sera rendu public dans 5 mois environ. Ensuite, beaucoup plus tard, il y aura procès, Air France et Airbus étant inculpés d’homicides involontaires et, au-delà, il est probable qu’il y ait appel. Une procédure qui s’étendra sur de nombreuses années et pourrait ne donner satisfaction à aucune des parties en présence.
Ce n’est en aucun cas une raison pour se voiler la face, encore moins un prétexte pour éviter le sujet. Ce que nous rappelle avec dignité l’association Echo qui représente les rescapés et les proches des victimes de l‘accident de l’Airbus A320 d’Air Inter survenu en Alsace il y a 20 ans exactement, le 20 janvier 1992, connu une fois pour toutes comme le «Sainte-Odile». Du nom du mont sur lequel s’est écrasé le biréacteur qui assurait la liaison Lyon-Strasbourg, accident qui avait fait 87 victimes et épargné 9 survivants.
Tout a déjà été dit et écrit sur le vol IT148. Il ne sera pas oublié mais le dossier est maintenant refermé, sans doute à tout jamais. «Parlera-t-on encore d’Echo dans 20 ans autrement que dans les statistiques ?» Ce sont les responsables de l’association qui ont posé la question le 20 janvier, en marge d’une commémoration, peut-être la dernière de cette ampleur, laissant ainsi percer une grande amertume. D’où l’intérêt d’enfin tenter de tirer les leçons morales de ce drame, sans raviver pour autant une polémique technique ayant perdu toute utilité.
A l’heure où la sécurité aérienne enregistre une inéluctable dérive vers la victimisation et la criminalisation, un arrêt sur image s’impose. Le dossier judiciaire du Mont Sainte-Odile est désormais définitivement refermé depuis que la Cour de cassation a rejeté la demande de réexamen de l’affaire, en septembre 2009. Les procédures ont battu un triste record de lenteur tout au long de 13 ans d’instruction, un procès, un procès en appel et l’échec d’Echo qui a vainement tenté de faire condamner l’Etat pour durée excessive de la procédure. Et, finalement, l’association a renoncé à poursuivre l’Etat devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Le souvenir, les peines jamais éteintes, une stèle, des cérémonies, autant de repères indispensables, n’effaceront pas le manque d’humanité qui commence à apparaître avec le recul de deux décennies. Le dossier est bel et bien refermé, l’attention s’est portée sur d’autres drames, tel celui de l’AF447, et personne n’a tiré les «vraies» leçon de cette triste saga. A savoir qu’il conviendrait, face à la victimisation, à la criminalisation de la sécurité aérienne, de construire de nouveaux repères, de construire un autre regard, et cela loin des experts, ou réputés tels. Lesquels ont constamment une thèse à défendre, un point de vue à faire valoir, quand ils ne règlent pas leurs comptes avec une compagnie aérienne, un constructeur, des enquêteurs. A moins qu’ils ne s’efforcent d’accréditer une thèse du complot qui, même extravagante, est toujours susceptible d’installer le doute ici ou là.
Echo, malgré les apparences, n’a perdu aucun combat. Mieux, cette association est susceptible de remporter une victoire, tardive et discrète, mais très utile : permettre la tenue d’un débat qui pourrait s’appeler celui de l’humanisation. Ce ne serait pas le procès d’un dysfonctionnement de la justice, moins encore celui de l’insécurité juridique (expression utilisée à de nombreuses reprises) ou encore celui d’une supposée faute lourde du service public. En octobre 2006, les responsables d’Echo se sont dits consternés par le bilan tel qu’ils l’avaient établi: une succession de juges d’instruction, d’innombrables expertises, les déclarations de procureurs, celles de ministres de la Justice retombés dans l’oubli. Et, bien sûr, une compagnie aérienne disparue, un élément qui a en quelque sorte dématérialisé la procédure.
A vrai dire, ce n’est plus tout à fait de sécurité aérienne qu’il s’agit. Il faudrait inventer un autre cénacle qui donnerait l’occasion de s’exprimer à 2,7 milliards de passagers aériens. Et cela en espérant qu’ils aient le plus rarement possible de bonnes raisons de prendre la parole.
Pierre Sparaco - AeroMorning