Magazine

Comment sortir des ghettos ?

Publié le 13 février 2008 par Renefoulon

Certains vont se demander pourquoi j'aurai mis cet article dans la rubrique "Société" alors qu'il commente un élément de l'actualité. En fait, mon raisonnement est inverse, et je vais utiliser ici un projet du gouvernement actuel, qui est en soi un réel projet de société, pour illustrer mes opinions sur le sujet qu'il traite.

C'est en effet d'actualité : le gouvernement français, par la voix de sa secrétaire d'état à la politique de la ville d'abord, puis plus récemment par celle du président de la République lui-même, a annoncé et énoncé un nième "plan banlieue", au moins le 9ème en 10 ans, mais en se défendant justement de l'idée de cette pérennisation d'actions aussi inefficaces que coûteuses.

Mon propos n'est pas seulement ici de passer en revue les différentes mesures annoncées par le plan. Je me bornerai à dire que, globalement, si le discours officiel recouvre au moins une part de détermination, et si les mesures annoncées entrent ainsi en assez grande partie dans les faits d'ici à 2012, ce qui est le seul engagement du pouvoir en termes de délais, ce plan représente un espoir objectif pour ce que nous appelons de manière trop souvent péjorative "les banlieues".

De quoi s'agit-il en fait ? Pour des raisons le plus souvent de "politique politicienne", les élus locaux des communes qui ont accueilli dans les années 1960 le gros de l'immigration maghrébine, puis ensuite d'Afrique noire, car ce sont bien ces deux communautés qui posent la plus grande partie du problème en France (en Allemagne, ce sont les Turcs, en Angleterre les Indiens, etc... Chacun son immigration...), ces élus, donc, ont tout fait pour éviter de donner l'impression d'imposer à leur population "de souche", c'est à dire au gros des troupes de leurs électeurs, des nouveaux-venus dont la culture, la religion, les comportements, les moeurs, étaient bien souvent aux antipodes des nôtres. Et ils ont ainsi créé de toutes pièces de nouveaux quartiers à la périphérie de leurs villes, le plus loin possible du centre, et y ont "entassé" les nouveaux venus qui se sont ainsi retrouvés tous regroupés, isolés du reste de la cité, isolés surtout de la vie de cette cité, en l'absence de tout lien social avec les autres habitants. On a créé de toutes pièces des ghettos où se sont développés tout naturellement le corporatisme et le communautarisme.

Or, il fallait faire exactement le contraire de ça ! Ce qui fait le ciment de la vie sociale, surtout en zone urbaine, c'est la mixité. Il fallait répartir les nouveaux arrivants dans le tissu urbain existant, "mélanger" les nouveaux-venus et les anciens, les jeunes et les moins jeunes, les chrétiens et les musulmans. Il fallait "fondre" les immigrants dans la cité, et ne pas les "parquer" à l'extérieur, ne pas les mettre de fait "au ban" de la société existante. C'est d'ailleurs là le vrai sens du mot "banlieue" : le "lieu du ban"... Tout un symbole !

Mais voilà un demi siècle que le mal est fait, un demi siècle qu'il perdure et qu'il se perpétue. Chaque nouvelle vague d'immigrants s'est vue rajoutée comme une nouvelle "pelure d'oignon" au-dessus de la précédente, toujours plus à l'écart, toujours plus stigmatisée, toujours plus ghettoïsée. Et tout naturellement, ces gens-là sont devenus dans les esprits "bien pensants" les symboles de "l'autre", de celui qui est différent, de celui "qui ne pense pas comme nous", de celui qui ne vit pas comme nous, et très vite de celui "dont on ne veut pas chez nous". Et comme "on n'en veut pas" chez nous, alors très vite aussi, ils se sont mis à vivre entre eux, à ne plus avoir envie de se mêler à nous, et pour finir à ne plus vouloir de nous... Nous avons fabriqué des marginaux. Ne nous étonnons pas dès lors qu'ils le soient, marginaux !

Voilà pour le constat. Mais alors que faire maintenant pour sortir de cette situation intenable ? L'équation est bien compliquée, et sa résolution bien peu aisée. Car revenir en arrière pose un double problème :

  1. Les populations que nous avons ainsi "parquées" dans ces "cages à lapins" que sont nos HLM de banlieue, immeubles à bas coût et donc d'assez mauvaise qualité la plupart du temps, et où donc la vie est mécaniquement elle-aussi de mauvaise qualité, immeubles qui n'ont fait que se dégrader au fil du temps à la fois par manque d'entretien et par le fait des détériorations quotidiennes dont ils sont victimes, ces populations, donc, se sont installés dans un sentiments d'exclusion, et leurs enfants et petits-enfants (nous en sommes à la quatrième génération aujourd'hui) ont pour beaucoup d'entre eux développé de fait la culture du renoncement et de l'assistanat.
    Toutes les "aides" que nous avons "inventées" au fil des années pour soi-disant leur venir en aide n'ont fait que les conforter dans l'idée que l'avenir leur est bouché et qu'une assistance pérenne leur est due. Les "tirer vers le haut", c'est à dire vers la culture de l'effort et vers le désir de progresser (ce qu'on a pu appeler "l'ascenseur social"), est aujourd'hui, sans doute pas une mission impossible, mais un projet extrêmement ardu et risqué. Rien n'est plus difficile à faire évoluer que les mentalités, c'est bien connu, et particulièrement quand elles sont alimentées par les institutions, ce qui est le cas dans les "quartiers" depuis plusieurs décennies de laisser-aller.
    Surtout qu'il ne faut pas sous-estimer l'importance démesurée de "l'économie souterraine", comme on dit trop pudiquement et qu'il faudrait bien appeler par son nom, à savoir les trafics en tous genres, à commencer par celui de la drogue. Celui qui gagne l'équivalent d'un smic par jour en "dealant" du canabis ou de l'héroïne n'acceptera jamais de travailler 8 heures par jour pour gagner la même chose en un mois... Sauf si son trafic est si totalement démantelé qu'il est obligé d'arrêter. D'où l'importance d'une implication policière particulièrement efficace, n'en déplaise aux associations angéliques qui prétendent le contraire...
  2. Les moyens à mettre en oeuvre sont colossaux, et hors de portée de quelque collectivité territoriale que ce soit. Le budget de l'état sera donc nécessairement mis à contribution. Mais ce budget est déjà victime d'un déficit abyssal. Il faut donc se rendre à l'évidence : la puissance publique n'a pas les moyens matériels de résoudre le problème des banlieues !

Nous sommes donc un certain nombre (un nombre certain, devrais-je dire) à redouter que ce "plan espoir banlieue" ne s'avère être finalement dans les faits qu'un replâtrage de plus, et un ensemble de mesures inefficaces dans le temps.
Pourtant, sur le papier, le plan a des attraits et, peut-être, des atouts pour réussir. Encore faudra-t-il qu'on y mette la détermination nécessaire, y compris pour aller chercher là où ils sont possibles les financements que l'argent public ne peut pas mettre en oeuvre. Car d'autres acteurs y ont un intérêt certain à trouver et à défendre. A commencer par nombre d'entreprises, dont certaines d'ailleurs ont déjà "flairé" l'opportunité que représente, dans les quartiers difficiles, une main d'oeuvre certes peu qualifiée, et qu'il faudra former "de toutes pièces", mais une main d'oeuvre exceptionnellement bon marché : ceux parmi les "jeunes des cités" qui ont envie de "se lever le matin", et qui sont bien plus nombreux en pourcentage que ce que l'on croit, sont prêts à faire les efforts nécessaires en termes de prétentions salariales pour, enfin, obtenir un "job". Surtout si ce job n'est pas, enfin là aussi, un "petit boulot" de plus...
J'entends déjà hurler les syndicalistes de tous poils, mais il faudra qu'ils m'expliquent avec des arguments probants qu'il est préférable, pour un jeune, de "galérer" à longueur de journées, et de soirées, dans le hall de son immeuble, un "joint" au bec et sans un sou en poche, plutôt que de travailler, même pour un très petit salaire, et ainsi s'ouvrir les portes de l'espoir d'une évolution professionnelle et d'une ascension sociale qui lui étaient jusque là totalement interdites...

Je voudrais maintenant donner mon avis sur les points importants du plan dont je parle :

  1. Inscrire la diversité dans le préambule de la constitution.
    Pourquoi pas ? Mais je ne vois pas l'impact concret d'une telle mesure.
  2. Un représentant de l'état dans chaque quartier.
    Là encore pourquoi pas ? Sauf que ça va encore coûter, pour peu d'efficacité concrète.
  3. Incitations pour les fonctionnaires à aller dans les quartiers.
    Quel est donc cet état-patron qui a besoin d'inciter ses fonctionnaires, c'est à dire ses subordonnés, à effectuer une tâche pour laquelle, rappelons-le, ils son payés ? Point n'est besoin d'incitation, monsieur le Président. Il suffit d'en donner l'ordre ! Tout simplement ! Et le refus d'obtempérer doit conduire à la révocation. C'est un abandon de poste. Il faut enfin cesser d'admettre le laxisme. Et pas seulement le dire !
  4. Partenariat entre l'état et les associations.
    Très bonne chose ! Les associations locales sont pour la majorité d'entre elles des relais particulièrement efficaces, et un vivier de bonnes volontés.
    Il faut simplement veiller à ce que ces associations dont nous parlons, certaines d'entre elles au moins, ne profitent pas de l'effet d'aubaine que pourrait représenter pour elles ce partenariat, essentiellement en terme de budget et de subventions. La politique de la ville ne doit pas devenir pour elles une source facile de trésorerie.
  5. Nouvelle répartition de la dotation de fonctionnement entre les communes.
    Oui mais... Il faut sans doute aider les collectivités locales dans leurs efforts. Mais il ne faut pas le faire sans discernement. Il faut que le redéploiement de la dotation de fonctionnement tienne compte des efforts réels en faveur des quartiers difficiles, et pas seulement de l'importance de ces derniers sur le terrain. Ce n'est pas parce que telle commune comporte quelques milliers de logements sociaux qu'elle doit mécaniquement bénéficier d'une dotation supérieure à telle autre qui n'en a que quelques centaines. Peut-être cette dernière, qui a mis en chantier un plan efficace en faveur de ses quartiers difficiles, devra-t-elle être mieux "servie" que la première qui ne fait rien !
  6. 500 millions d'euros pour les transports en commun.
    Oui, à condition qu'il s'agisse, par la politique des transports, de "désenclaver" les quartiers, et de palier ainsi au moins partiellement le manque de mixité sociale.
    On ne peut pas, évidemment, procéder à des déplacements de populations pour corriger l'état de fait d'une ghéttoïsation dommageable. On peut utiliser la politique des transports, associée peut-être à des actions contraignantes sur les implantations de commerces, de lieux de loisirs et de culture, ou encore de lieux de travail, pour faciliter les échanges entre quartiers et centre-ville.
    Et, bien sûr, tenir compte de l'impératif de mixité dans les implantations de nouveaux arrivants.
  7. 4000 nouveaux policiers dans les quartiers.
    Oui, mille fois oui ! Je ne vais pas revenir ici sur l'impératif d'éradication des économies souterraines. Il faut faire un effort tout particulièrement efficace pour débarrasser les quartiers de leurs "caïds" et pour éradiquer les zones de non-droit.
  8. Expérimentation d'un "contrat d'autonomie" pour les jeunes des quartiers.
    Il s'agit, si j'ai bien compris,  d'un accompagnement individualisé des jeunes en difficulté, qui doit déboucher sur un CDI, un contrat d'apprentissage ou une formation en fin de parcours.
    Oui, mais à deux condition :
    - Que ce contrat d'autonomie soit un réel contrat. C'est à dire que le jeune s'engage et que son engagement soit vérifié et contrôlé durant tout le parcours. Pas de marché de dupe. Cela coûtera cher. Il faudra que ce soit efficace.
    - Que les entreprises participent à l'effort de formation, et s'engagent elles aussi. Pas plus d'effet d'aubaine pour elles que pour les jeunes ! Ce contrat d'autonomie ne doit pas être un moyen de plus de profiter des financements publics sans contrepartie effective.
  9. Soutien à la création de 20 000 entreprises en 4 ans (soit 100 000 jeunes)
    Même remarque que ci-dessus : il faudra contrôler l'utilisation honnête du dispositif, et ne pas permettre que les aides soient détournées de leur but, même plusieurs années après leur octroi.
  10. Ecoles de la deuxième chance.
    Oui, bien sûr. Cela marche là où cela existe déjà. Il faut généraliser le système. Mais c'est comme les restaurants du coeur de Coluche, c'est destiné à devenir inutile ! "L'école de la première chance", celle de la République comme celle dite "libre", doit devenir de suffisamment bonne qualité pour que cette "école de la deuxième chance" devienne obsolète... Pour les "restos du coeur", c'est un échec. Pour l'école, on n'a pas le droit d'échouer.
  11. 4000 places d'internat de réussite éducative.
    Même remarque que ci-dessus, avec en plus la suivante : l'internat est un excellent moyen de motiver les jeunes et de les guider vers la réussite dès lors qu'ils sont demandeurs. Sinon, il est ressenti comme une prison, et ses effets sont désastreux.
  12. Expérimentation du "busing".
    Tout d'abord, pourquoi ce terme anglophone ? Mais passons, il y plus important...
    Il s'agirait de créer des transports scolaires pour que les meilleurs éléments des lycées et collèges des quartiers fréquentent les établissements situés "en ville".
    Non, absolument non ! Paradoxalement, cela va accentuer la ghéttoïsation des quartiers. Les établissements scolaires des quartiers difficiles seront immanquablement stigmatisés, montrés du doigt, et les élèves qui les fréquenteront encore seront désignés comme "nuls" et "irrécupérables".
    Ce qu'il faut, c'est élever le niveau des établissements scolaires de ces quartiers, en y affectant notamment des enseignants de qualité, même si ça ne leur plaît pas a priori (voir ci-dessus ce que j'en pense au point numéro 3), et en y faisant régner l'ordre et la discipline par tous les moyens, condition indispensable à une pédagogie de la réussite.
    Faire de la mixité, ce n'est pas mettre les meilleurs avec les meilleurs, c'est les mélanger aux autres pour que ceux-ci puissent le devenir à leur tour...
    Mais tout est lié : ça ne peut fonctionner que si le niveau éducatif est suffisant. Sinon, ce ne sont pas les moins bons qui s'améliorent, ce sont les meilleurs qui deviennent mauvais !
  13. 30 "sites d'excellence" adossés à des établissements d'enseignement supérieur ou à des entreprises pour les meilleurs éléments des quartiers.
    Oui ! Et surtout en liaison avec les entreprises, et avec des incitations efficaces à destination de ces dernières. Le but premier de l'enseignement, surtout quand il s'agit de populations "à problèmes", c'est la réussite sociale. Et elle passe par la réussite professionnelle. Il faut donc que l'école procure les clefs pour l'entrée et l'épanouissement dans le monde du travail. Et les mieux placés pour y parvenir sont les entrepreneurs. Même si ça doit déplaire à certains "intégristes" du secteur public.
  14. Accession sociale à la propriété.
    Oui, mais ce doit être une conséquence de la réussite sociale et professionnelle ; ça ne peut pas en être un moyen. Il ne faut pas subventionner des programmes d'accession à la propriété à l'intention de ceux qui ne pourront pas faire face à leurs obligations. Ne reproduisons pas, même en plus petit, l'exemple désastreux des "subprimes" américains

Voilà l'essentiel de ce que je pense sur la question des "quartiers difficiles". Le plan "espoir banlieues" n'a été qu'un outil pour développer mes idées sur la question. Le simple fait qu'il m'ait permis de le faire indique à l'évidence qu'il tente de "faire le tour" du problème, et qu'il correspond en grande partie à mes vues sur le sujet, malgré toutes les restrictions et toutes les réserves que j'ai pu exprimer ci-dessus.

J'attends vos réactions par le biais de vos commentaires, qui seront comme d'habitude les bien venus.


Retour à La Une de Logo Paperblog