Autisme : Changer le regard par Anne Pelouas (Le Monde)

Publié le 24 janvier 2012 par Balatmichel

ANNE PELOUAS

Montréal (Canada), correspondance

Autisme : Changer le regard

C'est une histoire unique, scientifique et humaine que raconte le psychiatre-chercheur canadien Laurent Mottron, instigateur du Centre d'excellence en autisme de l'université de Montréal : celle de sa relation de travail avec Michelle Dawson, une patiente autiste devenue chercheuse dans son laboratoire en neurosciences cognitives. Mais, pour lui comme pour elle, l'essentiel est ailleurs que dans l'anecdote de cette rencontre. Il réside dans ce qu'elle a pu susciter pour faire avancer la science de l'autisme, jusqu'à lui donner le statut de « variant » humain plutôt que de « trouble », traduction du terme anglais consacré autistic disorder. Les recherches du groupe de Montréal, avec quelque 8o articles publiés dans les meilleures revues scientifiques et dans lesquels Michelle Dawson a pris une place majeure, permettent d'affirmer que les autistes pensent, retiennent, s'émeuvent, et surtout perçoivent différemment des non-autistes. Ce groupe défend l'idée que la science, en considérant l'autisme comme une maladie à guérir, passe à côté de sa contribution intellectuelle et sociale.

(…)

Le domaine le plus polémique des travaux du groupe concerne ses positions sur l'intervention comportementale intensive (ICI), préconisée en Amérique du Nord. En 2004, Mme Dawson a publié, sur le Web un plaidoyer sur le manque d'éthique de cette technique et critique maintenant la mauvaise qualité des travaux en intervention : « La littérature sur le sujet est énorme en quantité mais pauvre en qualité scientifique. » Mme Dawson s'en prend également à l'adoption de « standards éthiques et de recherche beaucoup plus bas » que la normale et se demande « pourquoi les autistes vivent des discriminations même dans ce domaine ». Nombreux sont les rapports de recherche qui vont aujourd'hui dans le même sens qu'elle : selon l'Académie américaine de pédiatrie, « la force de la preuve (en faveur de l'efficacité de ces techniques) est insuffisante et basse ».

Groupes de pression

De nombreux gouvernements subventionnent pourtant toujours ces thérapies, qui coûtent jusqu'à 6o 000 dollars (45000 euros) par an et par enfant, sous l'influence de groupes de pression. M. Mottron s'inquiète pour sa part d'un possible soutien gouvernemental français à l'ICI. La Haute Autorité de santé a en effet commandé un rapport sur ces méthodes qui lui semble biaisé en leur faveur : « En favorisant l'ABA [analyse appliquée du comportement] pour contrer la psychanalyse de l'autisme, on passe du tsar à Lénine ! »

Au lieu de monopoliser le budget de l'enfance inadaptée pour de telles thérapies on ferait mieux, selon lui, d'accepter qu'il n'y a pas de traitement de l'autisme, d'aider, les autistes à trouver une fonction en société, avec garanties de droits, gestion pragmatique des crises adaptatives, accès renforcé à des services spécialisés éclectiques et aide pour une meilleure qualité de vie. Et surtout, il faudrait revoir l'équilibre entre le niveau d'aide apporté pendant l'enfance et celui donné à l'âge adulte, en augmentant le second.

Par exemple, les fonds pour faire face aux coûts exorbitants des techniques comportementales seraient mieux utilisés, dit-il, pour payer des gens qui iraient dans les entreprises identifier des tâches où les autistes excellent et pour adapter leurs conditions de travail. Mme Dawson partage ce point de vue que ce n'est ni l'intelligence ni les habiletés qui manquent aux autistes. Ce qui est rare,-ce sont les opportunités qu'on leur donne d'avoir une bonne vie et un travail, d'être autonome et responsable, de contribuer à la société, plutôt que de dresser sans cesse des obstacles devant eux ».

Copyright Le Monde du 17 décembre 2011