Par des soirées havanaises aussi chaudes que celle-ci, les musiciens
cubains ont ressuscité l’un des géants de l’urbanisme du XXe siècle dans
le cadre d’une série de concerts en plein air offerts dans des sites
charmants comme le parc Almendares et les jardins de La Tropical.
Ces deux endroits font partie du grand parc Metropolitano de La Havane
qui s’étend sur 700 hectares et qui fait l’objet d’un ambitieux plan de
restauration comprenant la rénovation, la reforestation, la protection
de l’environnement, la réhabilitation des quartiers voisins et
l’organisation de manifestations culturelles, dont les concerts. Le parc
Metropolitano - l’un des parcs urbains les plus vastes et les moins
connus au monde - a été le rêve de l’architecte, paysagiste et urbaniste
français Jean Claude Nicolas Forestier, renommé surtout pour les jardins du Champ de Mars de la tour Eiffel et pour le parc de la Ciutadella à Barcelone.
Tous ceux qui ont visité la capitale cubaine connaissent l’œuvre de
Forestier, dont le majestueux escalier de l’université de La Havane, la
promenade du Prado et le Parque Central. Animé de la volonté de «
reverdir » la ville au fur et à mesure qu’elle se développait, Forestier
a mis au point un plan qu’il a baptisé le Grand parc national.
La forêt - refuge autrefois de voleurs et débauchés, lieu de rendez-vous
illicites et de pratiques rituelles -, est aujourd’hui un espace idéal
pour photographier des modèles ou un couple de jeunes mariés. Il n’est
pas non plus rare de rencontrer des familles qui s’y promènent le
dimanche entre les arbres géants et les plantes grimpantes, exubérantes
et vertes.
Cela obéit dans une large mesure au projet de restauration du grand parc
Metropolitano, formé du parc Almendares, de sa forêt, des jardins de La
Tropical et d’autres espaces verts qui font partie du bassin. Le projet
a pour objectif de faire renaître certains aspects des conceptions de
Forestier tout en préservant et revigorant « le poumon de La Havane ».
La forêt de La Havane, par exemple, est devenue, peu de temps après la
plantation d’arbres par Forestier, un endroit convoité pour pratiquer la
santería. Des décennies durant, les pratiquants s’y sont rendus pour
déposer des œufs, des sacs de sacrifices et d’autres offrandes aux dieux
au pied des grands arbres et réaliser des rituels plus complexes.
Visitez la forêt et vous verrez (et sentirez) des offrandes de toute
sorte parsemées tout au long des sentiers, des bougies formant des
cercles mystérieux et des chiffons rouges attachés au tronc des arbres.
Au lieu d’interdire la pratique historique et religieuse au nom de
l’embellissement, les concepteurs du parc, en étroite coopération avec
la communauté, ont trouvé une solution : certains arbres portent
maintenant un écriteau où l’on peut lire « placer les offrandes ici ».
Les musiciens qui se produisent durant les concerts du parc aident aussi
à reprendre ce rêve. Lorsque d’une manière contemporaine et typiquement
cubaine ils font danser le public avec des chansons qui rappellent
l’exile et les coupures de courant, la Révolution et les mulâtresses
sensuelles, ils matérialisent le grand rêve de Forestier de donner corps
à une Havane moderne injectée d’art urbain. Les premiers concerts ont
connu un tel succès que l’on envisage déjà la possibilité de les
transformer en un espace permanent dans le calendrier culturel de la
ville.
Il ne faut pas recourir à un météorologue pour savoir de
quel côté souffle le vent. Si depuis un banc de ciment dans
l’amphithéâtre du parc Almendares ou si depuis un espace sur la piste de
danse des jardins de La Tropical.