“I’ll be there for you… I’ll be there for youuuuuu…”(1) beuglaient les Rembrandts dans le générique de Friends, la fameuse sitcom américaine des années 1990, dans laquelle six copains partageaient joies et peines et s’épaulaient dans la diversité avec beaucoup d’humour et de fantaisie.
Les temps ont changé… Aujourd’hui, David Schwimmer, qui incarnait le gentil Ross dans la série, est passé derrière la caméra pour raconter une histoire bien moins drôle, autour d’une “amitié” bien différente, virtuelle celle-là, dans tous les sens du terme…
Et les mots “I’ll be there for you”, cette fois, prennent une connotation inquiétante…
Il dénonce en effet les dangers d’Internet et de ses faux-semblants à travers l’histoire d’Annie (Liana Liberato), une adolescente de 14 ans.
La jeune fille mène une vie ordinaire, sans problèmes, entre ses études, ses copines et une structure familiale tout à fait stable. À ses heures perdues, elle s’entraîne dur pour intégrer l’équipe de volley-ball locale et passe un peu de temps sur les chats et les réseaux sociaux, comme beaucoup de ses petits camarades.
Elle aime échanger avec d’autres ados de son âge disséminés un peu partout sur le continent nord-américain. C’est ainsi qu’elle se lie à un jeune homme, Charlie, qui partage sa passion pour le volley-ball et lui donne de précieux conseils. Elle se sent flattée qu’un garçon de 16 ans s’intéresse à elle. Avec lui, elle peut parler de choses qu’elle ne confierait pour rien au monde à ses parents, qui la voient encore comme une gamine et n’ont pas beaucoup de temps à lui consacrer.
Au fil des semaines, leur relation se fait de plus en plus intime, et la jeune fille tombe amoureuse de l’inconnu qui se cache derrière son écran d’ordinateur.
Mais voilà, le charmant garçon n’a pas été tout à fait franc. Il lui a notamment menti sur son âge. Il lui avoue avoir en réalité 20 ans, puis 25 ans…
À chaque fois, Annie encaisse la révélation. Cela la contrarie un peu qui lui ait menti et qu’il soit beaucoup plus vieux qu’elle. Mais puisqu’il est toujours aussi prévenant et attentif, qu’il dit l’aimer, qu’il la comprend, elle ne voit rien de mal à leur relation surtout à distance et avec la barrière du Web.
Mais un jour, l’homme demanda à voir en chair et en os. Annie accepte. Elle a envie de rencontrer son chevalier servant. Par curiosité, par envie aussi…
Et là, ô surprise! Charlie s’avère être encore plus vieux qu’annoncé. Il n’a plus 25 ans depuis longtemps et a presque le même âge que son père. Là encore, Annie est un peu interloquée, déçue sur le coup. Elle pourrait s’enfuir, mais elle se laisse encore une fois embobiner par l’individu, qui sait très bien trouver les mots pour la manipuler.
Il réussit à l’entraîner dans sa voiture, puis sa chambre d’hôtel où il la viole.
Les jours suivants, Annie ne dit rien mais on la sent sous le choc, en plein désarroi. Et sa détresse grandit quand l’homme, qui a eu ce qu’il désirait, ne l’appelle plus est déserte les réseaux sociaux.
Finalement, une de ses camarades qui l’a vue au bras du quadragénaire alerte les autorités et une enquête est ouverte.
Annie se montre hostile. Elle ne comprend pas cet acharnement qui, pour elle, est la cause du silence de Charlie, qu’elle considère encore comme son ami, voire son petit ami.
Pour la jeune fille, il ne s’est rien passé de mal. Du moins c’est ce que son inconscient tente de lui faire croire, afin de la protéger, en refusant d’admettre qu’il y a bien eu viol. Il préfère lui faire croire à la version de l’âme soeur qui l’a initiée aux plaisirs des grandes personnes et est seule capable de la comprendre.
Elle devient invivable, se heurte de plus en plus à son père (Clive Owen), qui, vexé de n’avoir pas perçu les changements d’attitude d’Annie et écrasé par la culpabilité de n’avoir pas su la protéger, réagit lui-même de manière excessive, en se découvrant notamment une âme de “vigilante” adepte de la justice expéditive.
Rassurez-vous, il ne s’agit pas d’un remake d’Un justicier dans la ville. Le film joue plutôt la carte de la sobriété. David Schwimmer filme avec une certaine pudeur le drame qui frappe cette famille, la descente aux enfers du père et de la fille, tous deux sous le choc, essayant de surmonter tant bien que mal ce traumatisme.
Bien aidé par les performances de Clive Owen et de la jeune Liana Liberato, il montre les ravages psychologiques causés par un individu ignoble, qui profite de la fragilité des adolescentes, à un âge où elles se cherchent,commencent à cacher leurs secrets, leurs fantasmes, se rebellent contre l’autorité parentale et se laissent facilement influencer…
Ce genre de salaud, hélas, n’existe pas qu’au cinéma. Il suffit de lire les journaux pour le vérifier, à travers les tristes exemples d’agressions pédophiles, de viols et de séquestrations qui viennent régulièrement alimenter les rubriques de faits divers.
Et il est d’autant plus dangereux qu’il n’est pas facilement reconnaissable, à l’instar de ce “Charlie”, qui s’avère être un homme tout à fait ordinaire, bien sous tous rapports. Un professionnel respectable et un bon père de famille, bien loin du cliché du pédophile pervers. Et pourtant…
Trust n’est pas un film confortable. Il suscite un certain malaise en abordant son sujet principal frontalement, sans fioritures, et en posant les bases d’une réflexion sur l’environnement dans lequel nous vivons.
Quel est l’impact par exemple, de toutes ces publicités pour des marques de vêtements ou sous-vêtements utilisant des photos de mannequins sexy, dans des positions suggestives, sur les pulsions des prédateurs sexuels? Et sur les jeunes filles qui cherchent trop vite à ressembler à ces modèles? Est-ce que la banalisation de ces univers virtuels n’altèrent pas la perception du danger des adolescents quand ils sont confrontés au monde réel? Est-ce que les adolescents sont confrontés trop tôt à la sexualité? Est-ce que des délinquants sexuels sont susceptibles d’habiter dans notre voisinage? Et si oui, comment réagir face à cette menace?…
C’est un film qui questionne, qui heurte, qui dérange et se permet même le luxe de s’affranchir du happy-end de rigueur dans les films hollywoodiens.
Mais il fallait sans doute cela pour provoquer un électrochoc salutaire et alerter ainsi sur les dangers d’internet et sur tous les pervers qui y traînent, cachés derrière un pseudonyme trompeur pour commettre leur méfaits…
(Euh… d’accord, moi aussi je m’abrite derrière un pseudonyme, mais je ne disais pas ça pour moi, hein ?)
(1) : “I’ll be there for you” : “je serai là pour toi”
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Trust
Réalisateur : David Schwimmer
Avec : Liana Liberato, Clive Owen, Catherine Keener, Viola Davis, Jason Clarke, Tristan Peach, Noah Emmerich
Origine : Etats-Unis
Genre : pris dans la toile
Durée : 1h46
Date de sortie France : 18/01/2012
Note pour ce film : ●●●●○○
contrepoint critique chez : Le Monde
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