Le lendemain de l’annonce de la dégradation de la note française par l’agence Standard and Poor’s, Délits d’Opinion s’interrogeait déjà sur les conséquences de cet événement pour le Président de la République. Dix jours plus tard, alors que différentes enquêtes d’opinion sur la réaction des Français sont parues dans la presse, revenons sur les conséquences politiques de la dégradation de la note française. La perte du triple A constitue-t-elle un événement de nature à peser sur la campagne pour l’élection présidentielle ou est-elle plutôt un non-événement ? Signifie-t-elle le coup de grâce pour le candidat Nicolas Sarkozy pourtant pas encore officiellement entré dans la course ? Profite-t-elle vraiment aux autres candidats ?
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La chronique d’une perte annoncée sans véritable impact sur l’Opinion ?
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Une lecture rapide des évolutions entre les sondages pré et post-annonce laisse à penser que la perte du triple A n’a finalement pas eu valeur de cataclysme. Pressenti, différé, puis finalement tombé, le verdict de la dégradation de la note française n’a semble-t-il pas provoqué de forts remous dans l’Opinion, comme si la chronique d’une perte annoncée avait permis de préparer les esprits à l’irrémédiable et que la décision de Standard and Poor’s ne venait aux yeux des Français qu’entériner un état de fait déjà bien réel sur les marchés. En effet, si l’on compare les données des sondages réalisés en décembre 2011 sur les conséquences d’une alors potentielle dégradation et celles des sondages effectués juste après l’annonce de la perte du triple A, « sous le coup de l’émotion », force est de constater que les Français dans leur ensemble ne dramatisent pas davantage la situation. Mi-décembre, dans une enquête de l’IFOP, 66% des Français estimaient ainsi que si la France perdait prochainement son triple A, cela aurait des conséquences graves sur l’économie française, dont 17% très graves. Interrogés juste après l’annonce de la dégradation, entre le 14 et le 16 janvier, ils sont 68% à le penser, dont 21% qui anticipent des conséquences très graves. Ces chiffres, bien qu’en très légère progression, et reflétant le pessimisme et l’angoisse des Français, montrent que l’annonce de la perte du triple A n’a guère provoqué de plus grande panique. Même constat dans les enquêtes de l’institut Harris Interactive portant sur les conséquences de la perte du triple A sur la vie quotidienne des Français. Dans une première enquête réalisée du 7 au 9 décembre dernier, 51% des Français déclaraient craindre des conséquences importantes (et même 14% très importantes) d’une dégradation de la note de la France sur leur vie quotidienne. La menace ayant été mise à exécution, ils sont 49% à indiquer, dans une enquête réalisée cette fois-ci les 16 et 17 janvier, penser que cette perte du triple A aura un impact important sur leur vie quotidienne, dont 9% très important. Si la moitié de la population craint donc toujours pour sa situation personnelle, il faut bien constater qu’on n’observe guère de véritable « coup de massue » ressenti par les Français.
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Un effet de cristallisation des rapports de forces
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Cependant, cette stabilité des chiffres d’ensemble cache des évolutions contrastées selon la proximité politique des interviewés, évolutions qui traduisent des mouvements d’opinions profonds en ce début de campagne électorale. En effet, sympathisants de Gauche et sympathisants de Droite ne prêtent pas la même portée à cette annonce, que ce soit en décembre ou en janvier. Dans la première étude de l’IFOP, dont la question se situe, rappelons-le, à un niveau macro-économique (les conséquences sur l’économie française), 69% des sympathisants de Gauche prévoyaient des conséquences graves, dont 17% très graves. Ils sont aujourd’hui respectivement 72% et 26%, soit des hausses de 3 et 9 points. Tandis que les sympathisants de Droite se montrent moins inquiets et en outre un peu moins inquiets aujourd’hui qu’en décembre. A cette époque, 56% anticipaient des conséquences graves, dont 12% très graves. Ces proportions sont dans l’enquête la plus récente de 54% et 8%. Dans une enquête plus récente de TNS Sofres, menée le 19 janvier, seuls 31% des sympathisants de l’UMP estiment que la perte du triple A va avoir des conséquences graves, contre 58% des sympathisants du PS.
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Les études Harris Interactive, dont la question se situe à un niveau individuel (les conséquences sur sa vie quotidienne) et pour lesquelles l’amplitude entre la première et la seconde enquêtes est plus large, révèlent un mouvement encore plus important. Ainsi, 64% des sympathisants de Gauche déclarent, dans l’enquête des 16 et 17 janvier, soit quelques jours après l’annonce, craindre un impact important sur leur vie quotidienne alors qu’ils étaient 56% en décembre dernier. En revanche, les sympathisants de Droite ne sont plus que 33% à prédire de telles conséquences, contre 59% en décembre. Ainsi, il semblerait bien que, le « couperet » étant tombé, les sympathisants de Droite adoptent davantage un réflexe de défense du bilan de Nicolas Sarkozy et de « minimisation » de l’annonce alors qu’en cette période de campagne électorale, les sympathisants de Gauche accentuent leur lecture critique. On le voit, le discours porté par la majorité présidentielle pour relativiser la décision attendue semble ainsi avoir porté ses fruits et on assiste presque paradoxalement à un resserrement des rangs à Droite derrière Nicolas Sarkozy, mouvement profitable avant la déclaration d’entrée en campagne du candidat. Quant à l’opposition, elle trouve là un argument imparable pour faire porter ses critiques du bilan de l’actuel Président. Tout se passe comme si cet événement et la politisation des débats avaient plutôt eu tendance à cristalliser les rapports de forces existants. Notons d’ailleurs que dans le dernier sondage d’Harris Interactive, on constate assez logiquement que les sympathisants de Gauche sont plus nombreux que la moyenne -52%- à imputer la responsabilité de la perte du triple A au Président de la République et au gouvernement (83% contre seulement 10% des sympathisants de Droite) tandis que les sympathisants de Droite ont davantage tendance à dédouaner l’exécutif dans ce contexte de crise (88% contre 14% des sympathisants de Gauche).
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Nicolas Sarkozy demeure, en dépit de toutes les critiques, un candidat perçu comme compétent – si ce n’est le plus compétent – sur les questions économiques
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En outre, aucun candidat à la succession de Nicolas Sarkozy n’apparaît aujourd’hui comme véritablement mieux placé pour faire face à la situation financière et économique actuelle. Dans l’enquête réalisée par Harris Interactive en décembre, les Français indiquaient davantage faire confiance à Nicolas Sarkozy qu’à François Hollande (24% contre 16%) pour aider la France à sortir de la crise, François Hollande étant en revanche perçu comme étant le plus à même d’améliorer le pouvoir d’achat des Français. Aujourd’hui, interrogés sur le candidat qui apparaît à leurs yeux comme celui qui permettrait le mieux à la France de surmonter la crise économique et financière, les Français placent toujours en première position l’actuel Président de la République, pourtant jugé en partie responsable de la perte du triple A par 52% des Français, devant François Hollande (21% contre 15%). Ceci s’explique par le large soutien que Nicolas Sarkozy recueille auprès de ses sympathisants (76% des sympathisants de Droite et 84% des sympathisants UMP) alors que François Hollande convainc moins sur cette dimension au sein de son propre camp (45% des sympathisants de Gauche et 58% des sympathisants du Parti Socialiste). Comme évoqué précédemment, il semblerait qu’en dépit de la perte du « trésor national », Nicolas Sarkozy fasse le plein de soutiens à Droite alors que François Hollande peine à tirer véritablement parti de la situation quant à sa stature sur les questions économiques.
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Dans l’enquête TNS Sofres, interrogés sur la capacité des candidats à « regagner » le triple A en cas de victoire à l’élection présidentielle, les Français déclarent majoritairement qu’aucun candidat n’en est capable, mais en relatif, Nicolas Sarkozy apparaît quand même comme le plus capable de tous (28% contre 27% pour François Bayrou et 20% pour François Hollande). Nicolas Sarkozy apparaît capable de le faire aux yeux de 74% des sympathisants UMP, alors que moins de la moitié des sympathisants PS prête un tel pouvoir à François Hollande (43%).
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Ainsi, la perte du triple A n’entraîne pas une remise en cause profonde de la compétence prêtée à Nicolas Sarkozy sur les thématique économiques, ou en tout cas pas véritablement auprès de nouvelles catégories de population. Certes, il ne s’agit pas là d’une bonne nouvelle pour le futur candidat de l’UMP et les dernières intentions de vote parues montrent bien que l’actuel Président de la République apparaît toujours largement distancé, au premier tour comme au second tour, par le représentant du Parti Socialiste. Mais le peuple de Droite ne semble pas, suite à la perte du triple A, s’être détourné de son candidat. Reste en revanche que dans l’hypothèse d’une qualification pour le second tour, Nicolas Sarkozy rencontrera bien des difficultés à rassembler au-delà de ses soutiens les plus permanents, les sympathisants du MoDem et les sympathisants du Front National ayant sur ces questions davantage tendance à adopter une vision proche de celle des sympathisants de Gauche. Et que face à la concrétisation de la crise dans le quotidien des Français, les attentes portent aujourd’hui moins sur les aspects macro-économiques que sur les propositions concrètes ayant trait à la vie quotidienne (pouvoir d’achat, système social…), François Hollande gagnant largement la bataille de la proximité face au Président sortant.