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Démesure et fuite en avant : les maux du système d’où nous devons sortir
Publié le 23 janvier 2012 par GezaleSamedi 14 janvier, surFrance Inter, dans son émission hebdomadaire CO2 mon amour, Denis Cheyssou recevait plusieurs invités sur le thème :« Quel sens écologique pour demain ? ».Parmi eux, Patrick Viveret, philosophe et magistrat honoraire à la Cour descomptes ne fut pas le moins brillant. La question qu’il lui posa était lasuivante : « Dans cette crisesystémique que nous traversons, y a-t-il un point commun à ses différents volets :écologique, financier et social ? ». La réponse apportée parPatrick Viveret nous a paru à la fois si pertinente et si riche d’enseignements,que nous avons choisi d’en faire la transcription pour nos lectrices et noslecteurs. Ils ne sont pas si nombreux, ceux qui, par les vertus de la pédagogie,rendent accessibles à tous, des problèmes dont on nous dit généralement qu’ilssont affaire de spécialistes et d’experts. La réponse de Patrick Viveret estpar ailleurs pleine d’intérêt dans la mesure où elle a le mérite d’élargir le débatet d’offrir sur cette question de la dette une sorte de synthèse de points devue développés ici ou là depuis la crise de 2008, sur chacun de ses aspects.
« Le point commun, constatePatrick Viveret, c’est la démesure. C’est ce que les Grecs anciens appelaient déjà :úbris, c’est-à-dire l’excès. La démesure dans nos rapports avec lanature, ce sont les conséquences de l’hyper productivisme ». À titre d’exemple,il suffit de reprendre le sujet de l’intervention d’Éric Tourneret,photographe, un des autres invités de Denis Cheyssou, dont nous avons parlédans notre précédent article, à savoir la terrible menace que fait planer surla biodiversité, le développement des cultures OGM et ses conséquences déjàvisibles sur l’apiculture. « La démesuredans le creusement des inégalités sociales, c’est lorsque la fortunepersonnelle de 225 personnes est égale au revenu cumulé de 2,5 milliards d’êtreshumains. C’est un bel exemple de démesure. Ladémesure financière, c’est enfin quand en 2007 déjà, des 3.200 milliards dedollars circulant chaque jour dans le monde sur les marchés financiers, 97,3%appartenaient à l’économie spéculative et seulement 2,7% à l’économie réelle, c’est-à-direcorrespondaient à des échanges de produits et de services.
Cette triple démesure – puisqu’onnous parle en permanence de la question de la dette –, génère en réalité, nonpas une dette mais trois dettes.— La première de ces dettes,c’est la dette écologique qui estmesurée par un indicateur tel que l’empreinte écologique. Et c’est, compte tenudes excès liés à notre mode de consommation et de production, ce que nousdevons, notamment à de nombreux pays du Sud.
— La seconde, c’est la dette sociale. C’est tout ce qui apermis, depuis ce qu’on peut appeler la contre-révolution conservatriceanglo-saxonne des années 80, de transférer 10 % des revenus du travail vers lecapital. Cela représente des sommes énormes : plus de 30.000 milliards dedollars. Cela, c’est de la dette sociale.
— Enfin, ce qu’on appelle aujourd’huila dette financière, c’est pour unebonne partie de la dette sociale inversée. Parce que, ce qui serait normalementdû aux catégories les plus modestes, par le biais de l’endettement, on finitpar le devoir aux catégories les plus aisées.
Je vous en donne un exemplesimple, poursuit Patrick Viveret. À l’époque où j’y ai travaillé, la Cour descomptes – pour la partie française –, avait travaillé sur la mise en évidencede 100 milliards d’euros d’exonérations fiscales et de baisses de cotisations sociales.Ces 100 milliards d’euros, du point de vue des catégories aisées, c’est undouble bénéfice. D’un côté, elles paient moins d’impôts, moins de cotisationssociales. Et d’un autre côté, ce supplément de revenus, elles peuvent sepermettre de le prêter, y compris de le prêter à l’État, avec intérêts. Mais vudu côté des populations les plus modestes, c’est une double peine. Ces dernièresreçoivent moins en transferts sociaux, moins en qualité de services publics,puisque leur dit-on : « il y a moins de moyens pour les financer ».Et maintenant, à titre, soit de citoyen contributeur, soit tout simplement deconsommateur, on est prié de venir payer les effets de la démesure financière.On a déjà payé une fois avec la crise bancaire de 2008 et maintenant on nousdemande de payer une deuxième fois et beaucoup plus gravement encore, avec lesprogrammes d’austérité. Cela, c’est ce que j’appelle de la pseudo dette financière, qui est en réalité de la dette sociale inversée.
Par conséquent, si on veutcommencer pour de bon à traiter la dette financière, dans des conditions tellesqu’elle n’aggrave pas encore des inégalités déjà tout-à-fait démesurées, il faut commencer par réduire drastiquementles inégalités de revenus. Et c’est seulement ainsi qu’on pourra envisager,en commençant à rembourser la dette, que les excès de dépassement de revenussoient ensuite récupérés pour aller financer des investissements écologiques etdes investissements sociaux.
Kofi Annan, avant dequitter le secrétariat général des Nations unies, a produit dans la presseinternationale, un article au contenu très intéressant. Il y faisait remarquerque les deux grands débats internationaux qui s’étaient construits, d’une partavec la question du climat dans le cadre de la préparation du sommet deCopenhague, d’autre part avec les grandes questions sociales : lesobjectifs du millénaire des Nations unies, avaient tous deux comme caractéristiqueque les mots clés qui étaient employés pour les caractériser, c’étaient des enjeux de moyen et de long terme, c’étaientdes enjeux de régulation, c’étaientmême des enjeux de planification. Ettous ces éléments, disait-il, ont complètement disparu du champ du débat publicinternational à partir du moment où on est entrés dans la crise financière.
Cette crise financière, soulignePatrick Viveret, elle est quand même très largement liée à la responsabilité d’acteursqui n’ont cessé, depuis quarante ans, de nous parler de ce qu’on pourraitappeler le modèle D.C.D., c’est-à-dire :Dérégulation à outrance, Compétition à outrance, Délocalisation à outrance. Tout le débatpublic mondial était en train de s’orienter au contraire vers de la régulation,vers la nécessité de coopération, vers des formes de relocalisation évidemmentnon autarciques.
C’était pour eux très gênant.Car quand vous avez des acteurs dont le seul objectif est la recherche d’unprofit à court terme et à n’importe quel prix, y compris au prix de régression écologiqueet sociale, cela veut dire pour reprendre une autre expression de Ban Ki-moon,successeur de Kofi Annan, à propos des problèmes du climat, que « L’humanité fonce vers l’abîme le piedsur l’accélérateur ». Alors de deux choses l’une : ou bien cemonsieur est un fou furieux et il faut le renvoyer à ses chères études, ou bienil dit quelque chose de profondément vrai, et à ce moment là, la prioritéabsolue, c’est d’arrêter de foncer vers l’abîme, c’est de ralentir, de préférencemême s’arrêter, et choisir un autre cap, qui serait justement le cap d’un développement humain soutenable ».
En conclusion, dès lors qu’on adhère à l’analyse quefait Patrick Viveret de la crise actuelle, on comprend donc aisément qu’il n’estplus possible de transiger avec le capitalisme financier, outil de l’oligarchiequi mène actuellement le monde. Par conséquent, toute politique d’accompagnementqui viserait à composer avec lui en espérant le réguler est vouée à l’échec. Sinous voulons pour demain préserver l’espoir d’un avenir digne pour nos enfantset nos petits-enfants, il faut le combattre pour lui briser les reins. Car sinous n’avons pas le courage et la volonté de l’affronter directement, il sera l’outild’une formidable régression, la cause de l’affrontement des peuples et duretour à la barbarie. En les appauvrissant, il réduira les peuples libres à denouvelles formes d’esclavage, et, rendant la vie impossible sur notre planète, finirapar détruire l’humanité toute entière.
Nos démocraties sont en péril. Que les États aientabdiqué leur pouvoir en faveur d’agences de notation privées, outils de lafinance internationale, décidant à leur place des politiques qu’ils doiventmener, en dit long sur l’état de délabrement de notre monde occidental. Commenta-t-on pu en arriver là ? Comment, en déléguant le pouvoir à leurs élus,les peuples ont-ils renoncé à la possibilité de décider de leur destin ?Comment la finance, au départ simple outil de l’économie, s’est substituée àelle pour asservir l’homme à son diktat ? Enfin comment imaginer que leseul retour à la croissance – sempiternelle incantation de l’ensemble descandidats du système –, comme par un coup de baguette magique, règlerait tousles problèmes ?
Il est plus que temps de reprendre en mains nosaffaires. La révolution citoyenne que prône le Front de Gauche, révolution parles urnes, ce n’est pas autre chose que cela.
Reynald Harlaut
Réécouter la dernière de « CO2 mon amour », l’émission de DenisCheyssou sur France Inter :http://www.franceinter.fr/player/reecouter?play=260745