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Si l’Opéra de Monte-Carlo en ce début d’année à voulu réserver une douche écossaise à son public, c’est réussi. Présenter dans la même soirée le poétique "Enfant et les Sortilèges" de Ravel avec la sanguinolente "Navarraise" de Massenet est un rude coup dont on sort tout ébaudi, tant les deux œuvres sont différentes, comme le blanc et le noir, le sucré et l’épicé.
Bien sûr, tout le monde garde en mémoire, pour le premier ouvrage, la fastueuse production parisienne signée par Lavelli sous l’ère Liebermann. Jean-Louis Grinda a donc relevé le défi avec brio, car loin du rêve en blanc satiné voulu par l’argentin, le monégasque substitue à la féerie vue par les yeux émerveillés de l’enfance, une sorte de cauchemar magique, psychédélique, animalier, mené tambour battant par quelques domestiques rancuniers, gentiment sadiques, envers un sale môme gâté.
"L’Enfant et les Sortilèges" nous parle de la cruauté instinctive des enfants. Mais là s’arrête la comparaison. Colette, la librettiste, s’intéressant à l’âme des objets et l’anime, donnant à son récit une allure presque surréaliste, au sens propre d’un réalisme sublimé. De plus la musique de Ravel prend plaisir à illustrer avec tact et malice ce "poème des métamorphoses" comme l’appelait Vladimir Jankélévitch.
Avec pas moins de vingt et un rôles solistes, un chœur d'adulte et un chœur d'enfants, des ballets plus acrobatiques qu’académiques, pour seulement cinquante minutes de musique, là encore, Ravel n'y est pas allé de main morte!
Pourtant, sous des apparences de simplicité enfantine, éclatent son art des contrastes, son humour distancié, bref, un petit chef-d’œuvre d'équilibre et d'esprit. Des objets qui prennent vie, un enfant passant par une infinie palette d’émotions, un ballet de grenouilles… C'est cette légèreté et cette délicatesse qui en font une œuvre hors norme car offrant tour à tour poésie, magie, humour, nostalgie, le tout servi par une orchestration grandiose.
Sortant de l’imagerie traditionnelle, Jean-Louis Grinda nous ouvre un grimoire luxueux, poétique, truffé d’ombres chinoises, de lyrisme éveillé, de simple magie, qui nous font retrouver notre âme d’enfant. Un voyage dans le temps où les décors et costumes de Rudi Sabounghi sont encore une fois d’une précision, d’une richesse, d’une originalité inouïes.
Impossible de citer tous les chanteurs ou d’adresser un seul reproche sérieux au plateau réuni pour l’occasion. Annick Massis raflant presque tout dans son triple rôle de Feu/Princesse/Rossignol et Carine Sechaye dans le rôle de l’Enfant, est simplement parfaite. Les Lapointe, Vanaud, Uria-Monzon, Vidal, Condoluci et consorts faisant plus que de la figuration intelligente…
Changement d’atmosphère avec "La Navarraise" d’un Massenet qui s’exotise, s’encanaille de belle manière dans les Guerres Carlistes. En prime, castagnettes, catalogue des vins d’Espagne, coups de feu… Olé!
Si l’orchestre a des couleurs crues, presque incisives, certaines pages sont bienvenues comme le Prélude, le chœur des militaires, l’air d’Araquil… Le livret à l’érotisme contenu garde un ton follement mondain. On rêve à ce qu’un Mascagni aurait fait d’un tel sujet.
Écrit pour la Calvé, le rôle-titre vous brosse un portrait de femme passionnée, incandescente qui doit en moins de vingt minutes passer par toutes les affres de l’amour, étaler ses états d’âme pour finir pensionnaire à vie dans les services psychiatriques de Bilbao.
Inutile de dire que la grande et belle Beatrice Uria-Monzon ne fait qu’une bouchée de ce rôle terrifiant, condensé de Tosca mâtinée gazpacho andalou.
Une certaine fatigue passagère allait finalement bien à sa très belle composition, suffocante d’accents, encore une fois d’une grandeur aux excès raciniens car pleine de feu intérieur, de mordant. L’artiste chez qui pointe désormais de grandioses accents de soprano, n’en fait point trop et c’est tant mieux. Il est vrai que la mise en scène de Jean-Louis Grinda – le spectacle est importé de Saint-Étienne – dans sa pertinente actualisation vous réconcilierait à vie avec ce Massenet grand guignol, mineur certes, mais non négligeable.
Grandiose réplique d’un Jean-François Lapointe très à l’aise chez Massenet, la ribambelle de petits rôles tenus par Marcel Vanaud, Guy Gabelle ou Philipe Ermelier sont d’une belle efficacité car claironnants, bien en place, concernés.
Pas très enthousiasmant par contre l’Araquil d’Enrique Ferrer, terne, presque anonyme et vocalement fatigué. Pour une fois qu’on avait un vrai espagnol chantant dans son arbre généalogique…
Au pupitre, Patrick Davin, dirige les deux ouvrages avec élégance et un enthousiasme communicatif. Notre Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo s’irisant de belles couleurs. Chœurs et Chorale Rainier III au-dessus de tout soupçon. Simplement parfaits. Comme toujours.
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