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La misère n’aliène pas la bétise

Par Raoulvolfoni

Mon appartement se situe à proximité d’un point de distribution des Restos du Coeur, dans un quartier en-devenir comme on dit (un peu Bobo donc). J’aurais donc légitiment pu dire que j’ai choisi cet endroit pour son côté branchouille et cosmopolite; ce n’est pas le cas, seul le hasard en est responsable.

Handicapé du sommeil et de la cigarette, je fume à ma fenêtre vers 6 heures du matin et observe avec un certain renoncement je l’avoue ce que j’appelle le ballet des ombres. Cette file continue de gens dans le besoin qui, charriant leur cabas vide, la démarche mal assurée et le regard inquiet (même dans la nuit je distingue ce détail (j’ai un oeil de lynx avec mes lunettes) mais qu’on ne s’y trompe pas, le regard n’est pas inquiet du qu’en dira-t-on mais plus du combien seront devant moi) se dirige uniformément vers le point de ravitaillement. Il fait froid, ils sont nombreux mais l’organisation est parfaitement huilée. Chacun stationne son caddie devant la porte, par ordre d’arrivée et vaque ensuite à ses occupations en attendant la précieuse ouverture.

Les dites occupations étant plutôt restreintes à cette heure dans le quartier, chacun se retrouve donc à discuter de tout et de rien avec son voisin d’infortune. Voisin qui j’imagine devient une connaissance, peut être même un ami tant le rythme de ces rencontres est rapide.

C’est généralement une fois que la grande majorité des ombres est arrivée que je sors la kien pour ses besoins naturels et matinaux. Mon tour (immuable lui aussi parce que maitrisé en nombre d’urines à renifler et zones propices au soulagement odorant) se termine immanquablement par une remontée de la rue en direction de mon appartement (il faut bien que je rentre hein). Les ombres patientant de part et d’autre de la voie, je marche au milieu pour éviter à ceux qui confondraient chien et loup de prendre peur inutilement (on remarque mieux la taille imposante de la kien que sa queue qui frétille dans le noir).

Chaque matinée débute ainsi sans autre anecdote que le rituel. Sauf ce matin.

Notre tour presque terminé, les besoins de la kiens assouvis, nous attaquons donc la remontée de la rue. J’ai la tête ailleurs, peu concentré (si tant est que promener un chien nécessite de la concentration) nous marchons sur le trottoir et pas au milieu. A l’approche d’une groupe, un de ses membres s’écarte, voit la kien et exprime avec vigueur (et trop fort pour l’heure matinale) à quel point il la trouve belle et puissante (en vrai c’était : ça c’est un bon chien). Dans la foulée, il enchaine avec : « vous devriez la lacher sur les autres de l’autre côté, ça ferait le ménage » et tout le groupe s’esclaffe. Il est tôt, il fait nuit, je ne saisis pas et à le regarder, mon interlocuteur ne semble pas comprendre mon oeil vitreux (la kien elle a déjà pressé le pas comprenant rapidement que le gars n’avait aucune croquette à lui donner).

Je tourne donc la tête pour observer « l’autre groupe » en question et comprends.

Il y a deux zones d’attente : celle des blancs et celle des autres. J’ai marché du côté des blancs et subi cette boutade niveau -2 de l’intelligence mais +4 du racisme ordinaire. La rue est donc séparée en deux communautés distinctes qui ne se mélangent pas, ne se parlent pas, s’épient et se détestent. Seuls les caddies sont mixables.

Pas de quoi écrire un post tant ce type de comportement est devenu d’une affligeante banalité. Sauf que ce type de comportement a généralement pour source la bêtise, l’inculture, la convoitise et la recherche d’un bouc émissaire. Devant les Restos du Coeur ces poncifs du racisme de base ne tiennent plus. La misère et le besoin sont communs. Comment accuser l’autre de sa propre misère quand celui-ci ne possède rien d’autre que le même cabas à roulettes, vide.

J’avoue que cette réflexion m’a totalement échappée. La misère collectivement subie n’adoucit donc en rien l’ignorance de l’autre et ne rapproche personne.

Brassens chantait « quand on est con, on est con », ça c’est certain mais le pire c’est surtout que visiblement, on le reste.


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