Il y a une petite semaine, l’arrivée tonitruante de Free sur le marché de la téléphonie avait déclenché un nouveau rapport de force et brisé le cartel ronronnant des opérateurs déjà en place. On se souvient qu’à la suite de cette entrée fracassante, l’un des opérateurs avait niaisement noté que cette nouvelle arrivée pourrait coûter 4 Milliards d’euros à l’État, dans le plus parfait style du cuistre de combat que je relevais ici-même. Après les capitalistes étatistes de l’oligopole téléphonique, il n’aura pas fallu attendre bien longtemps pour tomber sur la réaction des syndicalistes. Et sans surprise, elle est aussi caricaturale que les réactions des précédents fossiles.
Mais avant d’éplucher la réaction épidermique de nos pachydermes syndiqués, rassurez-vous. Certes, l’État va encaisser moins de taxes et moins d’impôts parce que les consommateurs vont se faire moins escroquer par les cartels qu’il aura mis en place, mais, au moins, on va limiter la guerre de prix : Orange a officiellement déclaré qu’il ne s’alignera jamais sur les offres de Free. Faut pas déconner non plus. Non, pour la déconne, on se contentera de lire les arguments avancés par Orange pour leur maintien d’un status quo qui sent déjà bon la naphtaline et l’enfumage de dindons ; selon Stéphane Richard, le PDG du vieux mammouth,
L’arrivée de Free Mobile va déplacer les équilibres, qui nous ont permis de créer des emplois, de baisser les prix. Le vrai risque serait que tous les opérateurs deviennent low cost, ce qui veut dire moins d’investissements, moins de services, moins d’emplois.
Ainsi, pour Richard, ancien de Bercy et du cabinet de Christine Lagarde et maintenant à la tête d’Orange, qui ne peut pas s’enorgueillir d’avoir créé des milliers d’emplois récemment, ce que fait Free est très très vilain (même si Free, lui, a effectivement créé des milliers d’emplois pour son nouveau réseau). Zut.
On appréciera aussi à sa juste valeur la remarque sur les « équilibres » que vient bouleverser Free, équilibres qui étaient tout sauf low-cost. En langage déchiffré, le vrai risque serait que les opérateurs deviennent peu cher. Pour Orange, on comprend que c’est une possibilité assez abominable : escroquant ses utilisateurs depuis plusieurs décennies, la remise en cause va être rude.
Et pour justifier les tarifs high-cost, le PDG d’expliquer qu’il offre en réalité la sécurité, la fiabilité et des innovations. Eh oui. Le minitel, c’est presque eux, avec tout ce que ça peut vous évoquer de modernité et d’adaptation à un marché internet en pleine explosion. Et aussi, n’oubliez pas, l’ADSL à pas cher, c’est aussi… Ah non, c’est vrai, ça, c’est Free. Dont, bizarrement, les clients ne fuient pas les services low-costs.
Quant à la fiabilité légendaires des lignes France Télécom, toute personne qui a eu l’occasion de tester en grandeur réelle la réactivité du pôle clientèle ou technique (en tant que particulier ou professionnel) saura qu’il est difficile de faire pire, sauf à considérer dans la comparaison la distribution téléphonique en Hongrie soviétique, par exemple. Si Orange perd des clients au profit de Free, si Orange a, en moyenne, une aussi mauvaise image de marque au moins auprès des particuliers, ce n’est pas seulement parce que ce fut l’ancien monopole et qu’il a, pendant des années, traité ses usagers comme d’agaçants enquiquinements dans sa léthargie institutionnalisée. C’est aussi parce que depuis sa libéralisation partielle, France Télécom / Orange fournit un service très cher, de qualité tout à fait moyenne et une sécurité ou une fiabilité médiocre pour un prix absolument pas concurrentiel.
Image de marque déplorable qui s’est d’ailleurs bien faite sentir dans les boutiques, aux dires même du PDG, tout secoué (le pauvre) :
Cela a provoqué dans nos boutiques une vague de comportements agressifs et d’incivilité.
En fait, on touche ici le problème des grosses sociétés françaises enkystées dans le capitalisme de connivence et les petits & gros arrangements avec l’État et les politiciens : tout va bien jusqu’à ce qu’on doive effectivement tenir compte de ces bestiaux de consommateurs.
À cette aune, la réaction des syndicats illustre parfaitement le paradigme frelaté dans lequel ce petit monde évolue : Free ne fait rien qu’à embêter tout le monde et va forcément provoquer la peste, le choléra et des massacres de chatons avec ses offres scandaleusement bon marché !
Évidemment, l’horreur de la situation (proposer des tarifs plus bas et un service moins cher aux consommateurs) sera présenté sous la forme de l’emploi, alpha et oméga de l’argumentaire syndicaliste huilé par des décennies de lutte des classes en socialie française :
L’arrivée d’un nouvel opérateur pèsera sur les emplois chez les opérateurs ; les patrons de ces entreprises vont inévitablement tenter de la faire payer aux salariés. Baisse de rémunération indirecte, gel des salaires, suppressions d’emplois, augmentation des charges de travail, augmentation de la pression au quotidien, aggravation du mal-être au travail… Voilà les conséquences prévisibles pour les salariés.
On regrette l’absence de mention des écrouelles et du SIDA qui vont évidemment s’abattre sur les salariés d’Orange, de SFR et de Bouygues suite à l’arrivée de Free. Pour eux, Free ne pourra pas créer d’emplois en France (ou seulement, très peu).
On est, là encore, dans le paradigme de la vitre cassée cher à Bastiat, dénoncé il y a plus de 150 ans : les encroûtés du syndicalisme ont fait un (très rapide) calcul sur ce que les tarifs de Free pourraient éventuellement coûter en emploi, sans s’interroger sur les gains dégagés par les consommateurs qui vont, mécaniquement, accroître leur pouvoir d’achat sur ce poste. Pouvoir d’achat qui se traduira donc là encore, en toute logique, dans d’autres ventilations de leurs dépenses (par exemple en épargne, en chaussures ou en restaurant). Et donc, en création d’emplois.
Mais ces syndicalistes oublient surtout qu’avec leurs arguments du plus profond débile, les baisses de prix observées dans absolument tout (de la nourriture aux objets technologiques les plus sophistiqués) sur les cent dernières années n’auraient pas pu créer d’emploi, et en auraient détruit à tour de bras : par exemple, la baisse constante du prix des voitures (à technologie équivalente, une 2CV vaut maintenant 2000€ neuve) aurait dû provoquer la disparition totale de Renault ou Peugeot. Autrement dit, le monde n’aurait jamais connu la croissance qu’il a connu, la France non plus, et nous aurions des hordes de chômeurs bien au-delà des nombres pourtant copieux que nous avons actuellement.
En réalité, les syndicats ont fort bien compris que l’arrivée de Free représentait simplement une opportunité de faire parler d’eux, ce qu’ils utilisent ici de façon assez grossière : le consommateur, ils s’en fichent ici comme d’une guigne, mais la médiatisation bruyante de leurs remarques leur permet de montrer à tous qu’ils sont toujours très pointilleux pour sauver la veuve chômeuse et l’orphelin sans emploi. Du reste, leur position actuelle, parfaitement attendue, promet d’être intéressante lorsqu’il s’agira pour eux de défendre l’emploi chez Free…
Enfin, pendant que les syndicats semblent tout ronchon à l’arrivée de Free et que les opérateurs concurrents sentent déjà le vent du boulet sur leur juteux marché, le gouvernement, en la personne d’Éric Besson, lui, ne manque surtout pas l’occasion de montrer à quel point il fut indispensable dans cette histoire et surtout que c’est grâce à lui que Free est arrivé sur le marché de la téléphonie mobile. Les déclarations du ministre (visible dans la vidéo suivante) ne peuvent que heurter par leur hypocrisie et le toupet de cuistre suffisant qu’on y voit étalé pendant plusieurs minutes :
Il faut en effet se rappeler les déclarations hostiles du locataire de l’Élysée lorsqu’il s’est agi de négocier la quatrième licence de téléphonie mobile pour Free. Le ministre de l’économie numérique a effectivement beau jeu de rappeler que Fillon, lui, était pour, mais c’est bel et bien en conflit contre Nicolas Sarkozy que Xavier Niel a réussi à s’imposer dans le paysage mobile français, et encore, en profitant d’une opération menée en catimini par le premier ministre : Fillon aurait fait adopter le texte en Conseil des ministres en vitesse pendant que Sarkozy était sorti répondre à un appel, et il a signé le décret en profitant de son malaise vagal.
En outre, rappeler ainsi que, finalement, le gouvernement et l’État se comportent ici comme des parrains mafieux et décrètent unilatéralement qui a le droit de faire du commerce ou pas, c’est toujours aussi agréable. Quel argument, exactement, y a-t-il pour imposer un nombre restreint d’acteurs sur ce marché ?
Si l’on ajoute à ce tableau les déclarations enamourées de frétillants ex-candidats socialistes à la concurrence libre, au marché et au capitalisme, l’arrivée de Free aura été un excellent révélateurs d’imbéciles et d’incohérents.
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