C’est dire que le silence, ou ce que le texte désigne aussi comme “ vide ”, perçu à travers la chute des mots qu’un à un on y lâche, réverbère chacun, fait entendre chacun d’entre eux comme on ne l’a peut-être jamais entendu, en fait retentir l’écho vivace, livre d’une certaine façon le secret de ce qu’est un poème, s’en fait, sous nos yeux, sous les doigts gourds de notre voix qui l’accompagne, l’exemplaire “ phénoménologie ”. On dira que c’est le propre de tout poème ; Consolatio s’en fait, délibérément, l’exemplaire.
Lire Consolatio, revient ainsi à éprouver paradoxalement comment dans un poème chaque mot pèse avant de sombrer, emportant le secret de celui qui dit, qui lit, mais en en laissant persister la trace, trace d’un “ cœur qui veille ” même quand il dort, que nous reconnaissons à cette persistance, à la fois comme fantôme et comme noyau ou cœur justement de ce dont il s’agit avec un poème.
Lire Consolatio revient en somme à éprouver, dans l’arrachement même de chaque parole, la voix prenant (mot après mot, en l’assumant, de tout cœur) congé d’elle-même.
Faut-il préciser que le mot consolatio désigne ici surtout le sommeil comme compensation de la veille ?
Consolatio n’est donc pas un désert, frappé de toute part de vanité et de silence. C’est plutôt l’expérience inverse d’un souffle. Souffle qui, d’une part, circule et anime, qui éclaire entre les mots, de toute sa capacité de veille - de conscience persistant au-delà des frontières indécises du je et de l’autre, de la vie et de la mort, de l’illusion et d’un “ réel ” plusieurs fois pointé. Et qui, d’autre part, retraverse comme un Styx les perceptions et les images, et les textes d’ailleurs nombreux de la tradition antique, médiévale ou moderne qu’il emmène avec lui et revisite ; quelques auteurs sont explicitement mentionnés dans une note finale, d’autres relevés dans la postface de Martin Rueff. C’est l’expérience d’un espace chaleureux, celui propre à la voix, où l’on circule, accompagné d’un guide et d’un souffle.
Tombeau du Je à sa façon (on serait là proche de Mallarmé), tombeau qui serait aussi celui d’Orphée, ce texte fait néanmoins signe de tout lui-même vers son lecteur, depuis une mortalité assumée, déjà inscrite au centre du livre précédent Vanités Carré misère. L’adresse, à soi et à l’autre, y est déterminante. Consolatio s’apparente ainsi plutôt à une Consolation à la Boèce (quand Philosophie console le prisonnier, en seconde personne) ou à un Congé, à la Jean Bodel ou Adam de la Halle. Le poème nous confie la voix comme la confidence même, son articulation confiante comme le secret de la “ consolation ”.
“ Dans la nuit du Tombeau ”, Consolatio est donc l’épreuve même de la voix, suscitée, presque fantôme, enjambant les frontières imprécises interrogées par Nerval au début d’Aurélia, mais assurée qu’elle répond, qu’elle répond à une écoute. Lisez, écoutez.
[Pierre Drogi]
Yves Boudier, Consolatio, postface de Martin Rueff, éd. Argol, janvier 2012 - lire des extraits de ce livre