Consultation chez le médecin. Illustration. | © Sebastian Pfuetze/zefa/Corbis
Être médecin de famille, c'est aussi être confident de l'un et de l'autre dans le couple. C'est être confronté à son propre couple, à son propre fonctionnement. Je ne suis pas sur qu'on puisse en sortir indemne, comme si de rien n'était.Je les connais depuis plusieurs années, via le cabinet médical, ils ont quatre enfants, le plus petit portant encore des couches, et le plus grand n'ayant pas encore de poils pubiens.
Ils ont tout deux été mariés, puis se sont rencontrés, ont chacun de leur côté divorcés, se sont mariés, et ont deux enfants en commun.
Elle, plus jeune que lui, une " rebelle " , dynamique, n'attendant rien de personne, me semble pas très bien dans sa peau. Elle est suivie par un psychiatre, sous anti-dépresseur. Le temps de consultations a permis de dégager une raison globale à son mal-être: son père ne l'aurait pas aimé à la hauteur de ses espérances.
Son premier enfant , elle l'a eu jeune, l'année de son bac. Le papa de l'enfant a disparu dans la nature, noyé dans les stupéfiants et les coups " fumeux ."
Lui, fils unique, a certainement têté les seins de sa mère jusqu'à un âge indécent. Et s'il sait se servir habilement de ses mains, il n'est pas sûr du tout que cette têtée tardive lui ait permis d'atteindre le degré de maturité qu'il est censé avoir à son âge.
Ils " fonctionnent " à leur manière: elle, le cerveau du foyer, lui, les bras.
J'apprends, avec le temps, un peu de leur fonctionnement, ils sont du genre " apéro arrosé " dès qu'ils le peuvent sans être tombés dans l'alcoolisme (mais... pas loin).
Régulièrement, ils sont venus l'un et l'autre, pour des motifs médicaux insignifiants, et bien souvent l'essentiel de la consultation était tourné sur leur problématique familiale.
Lui, m'indiquant qu'ELLE n'allait pas bien (la preuve " elle va voir un psychiatre, et elle prend des antidépresseurs "), que son comportement était anormal, notamment avec les autres.
Elle, lui reprochant de lui prendre la tête sur des " bétises."
C'est dans le détail de ces " bêtises " que les remises en question personnelles arrivent.
Entre amis, elle n'hésite pas à parler sexe, intimiste, à continuer la conversation sur MSN ou par coup de téléphone. C'est, pour elle, normal. Elle ne fait rien de mal. Ce sont des amis. Elle est avenante, n'a peur de rien, et lie très facilement les relations.
Lui supporte mal l'intimité verbale de son épouse avec ses copains.
Les concubines ou épouses de ses copains sont elles aussi réactives. Globalement, elles ne l'aiment pas ELLE. Elles la craignent. Certaines d'entre elles sont tombées sur des échanges MSN (attention l'historique !! ) de leur mec où il est question des problèmes de sexualité qui les concernent. Si bien, qu'elle a beaucoup plus d'amis que d'amies.
Elle semble claire dans sa tête, elle ne cherche pas " les mecs ", mais elle ne voit pas pourquoi parce qu'elle serait une femme, elle ne pourrait pas avoir les mêmes conversations que les mecs.
A vrai dire, je la comprends... et je le comprends.Le comportement verbal " ouvert " de madame, fait qu'elle est apparemment systématiquement repérée par la gent masculine. Il en découle une " mauvaise réputation ", qui me semble injustifiée.
Il vient me voir dernièrement furieux, au bord de la violence physique et du suicide. Il ne supporte plus la situation.
Lui: " Elle me prend pour un con. Elle reçoit des dizaines de SMS par jour. Y compris de numéros inconnus ".
Moi: " Ah... Elle vous les montrent ? Elle vous dit tout non ? "
Lui: " Ouhais, elle me les montrent... ou pas ! Je suis tombé sur l'alphabet du sexe aujourd'hui "
Moi: " Qu'est ce que c'est ? "
C'est en fait une " blague " SMS où à chaque lettre de l'alphabet est associé un mot à connotation affective ou sexuelle (A ? Amour, B ? Bite, etc etc) et qui finit, sous forme d'injonction, " si tu renvois pas ce SMS à au moins 5 de tes contacts, ta vie sexuelle sera réduite à néant."
Mouhais. Bof. Un peu con comme blague, mais de là à péter une durite...
Lui: " Des copains l'ont vue, elle était avec un mec en train de jouer du tambourin avec un alcoolique notoire fumeur de pétard au bord du lac de XXXX. Moi je travaillais et les petits étaient chez mes parents "
Ah... heu.
Moi: " Vous lui en avez parlé? Qu'est ce qu'elle vous a dit ? "
Lui : " Qu'elle s'ennuyait, qu'elle était dans son délire, qu'elle a le droit de vivre et que c'était bien !!! "
Mouhais... Encore un couple où ça sent le souffre.
Quelques jours plus tard, je la reçois elle, dans un état aussi énervé, déprimée.
Elle me confirme les dires de son époux.
Elle: " Ce con, il m'emmerde ! C'est pas moi qui m'envoie les SMS, c'est quand même pas ma faute si les mecs m'envoient des messages. En plus c'est marrant l'alphabet du sexe. Ça me fait rire. "
Elle: " es gens sont des salopards ! Qu'est ce qu'ils sont allés lui répéter que j'avais fait de la musique. C'est un bon copain, c'était absolument pas tendancieux et bien évidemment il ne s'est rien passé d'indécent. Pour une fois que je me faisais plaisir, que je m'occupais pas uniquement de tout faire à la maison, de m'occuper des gamins, du ménage, des papiers, des compte, de la bouffe."
Elle: " Il me reproche d'allumer les mecs. Je me comporte avec les hommes comme avec les femmes, et je suis libre de parler de tout. C'est les mecs qui ont les idées mal placées. D'ailleurs, preuve encore l'autre soir, je mangeais chez un couple d'amis. A la fin du repas, ils me raccompagnent au portail, et là, la lumière automatique s'éteint, et le copain, alors que sa femme est à 2 pas derrière lui, me fait un pointu! Qu'est-ce que j'y peux moi? "
Ah... heu.
Moi: " Et qu'est-ce que vous avez dit ? "
Elle: " Ben rien , j'allais pas griller le copain auprès de sa femme quand même, pour une fois qu'elle faisait pas trop la tronche."
Évidemment, il n'y a pas grand chose de médical dans tout ça, si ce n'est d'avoir été l'oreille recevant leurs histoires. Ça ne se traite pas par médicament.
Moi: " Vous êtes allée voir un spécialiste pour votre couple ? "
Elle: " Oui. Sans succès. Il nous a essentiellement dit de nous rappeler ce qui nous avait plu l'un et l'autre lorsqu'on s'est rencontrés."
Difficile de prendre du recul lors de telles discussions, une projection est faite sur mon propre couple. Qu'est-ce que j'accepterais ou pas, qu'est-ce que je ferais ou pas.. je me garde bien de le dire ouvertement... mais je suis quasiment sûr que certains sentiments sont visibles sur mon faciès.
(NB: comme dans quasiment tout les récits médicaux, des élements ont été changés afin que les intéressés eux-mêmes ne puissent se reconnaitre)