Article publié dans le Huffington Post, le 23/01/12.
Le problème est simple en apparence : nul ne peut gagner l’élection présidentielle s’il n’est capable de mobiliser la majorité des suffrages des catégories populaires. C’est le cas pour toute élection présidentielle, en raison notamment de la forte participation populaire qui distingue ce scrutin des autres. Mais c’est plus encore le cas cette année. Le peuple ayant fait un retour inattendu sur le devant de la scène politique française à l’occasion de la campagne.
“Retrouver le sens du peuple !” Voilà en effet le cri de ralliement de tous les candidats à l’élection présidentielle. Non tant parce que le Général de Gaulle a voulu en 1962 qu’elle soit cette fameuse rencontre entre un homme (il ne pensait pas à une femme à l’époque…) et le peuple français que parce que face à une crise sans précédent depuis un demi-siècle, chacun sent bien que la lassitude et le mécontentement populaire pourraient tourner à la révolte dans les urnes. Abstention bien sûr mais aussi vote de protestation pour des candidats vite qualifiés de populistes.
C’est donc entre injonction populaire et menace populiste que se joue une bonne partie de la campagne présidentielle de 2012.
Ce “peuple” qui renvoie les politiques à leur impuissance sondage après sondage, ce sont d’abord et avant tout les catégories populaires – même si une partie de l’insaisissable “classe moyenne” n’est pas loin. Ce sont ces ouvriers, ces employés et ces retraités issus des deux CSP précédentes de l’Insee qu’il faut majoritairement conquérir pour gagner l’élection présidentielle. Ce qu’a fait précisément Nicolas Sarkozy en 2007, en les mobilisant fortement (alors qu’elles s’abstiennent plus que d’autres) et en les arrachant, en grande partie, au vote FN qui avait été leur premier choix en 2002 – à l’époque Lionel Jospin avait obtenu un piètre 12% chez les ouvriers et 13% chez les employés, loin derrière Le Pen et Chirac. C’est d’ailleurs le soutien de ces catégories qui manque cruellement à la gauche depuis 1988 pour gagner une élection nationale, présidentielle bien sûr mais encore législative - à l’exception, toute relative, de la victoire aux législatives “de la dissolution” en 1997.
Cette année, chacun des candidats se bat donc pour la (re)conquête de cet électorat-clef. A juste titre puisqu’il représente encore, n’en déplaise aux faux experts ès-élections du think tank Terra Nova notamment, une large majorité des électeurs inscrits. Et, devrait-on ajouter, qui dans le contexte de crise que nous traversons, voit ses conditions sociales se dégrader plus vite que n’importe quelle autre catégorie sociale. Ce qui crée non pas une identité collective, comme ce fut le cas au temps de la classe ouvrière, mais à tout le moins une condition commune : celle de la France des fins de mois qui commencent de plus en plus tôt, d’une France largement invisible dans les médias, qui souffre en silence, comme l’a d’ailleurs souligné la quasi-totalité des candidats.
C’est pour le président sortant que le problème se pose avec le plus de difficulté. Il ne pourra pas réitérer son exploit de 2007. Il doit cette année défendre son bilan. Celui du président des riches et des privilégiés qui a trahi la promesse faite il y a 5 ans à la “France qui se lève tôt”, celle de lui redonner du pouvoir d’achat et un avenir pour ses enfants. La crise historique que nous traversons n’explique pas tout de cette faillite ; les Français, les plus modestes en particulier, le savent. Les attaques répétées contre la gauche, ses 35 heures et sa retraite à 60 ans ne portent pratiquement pas. Le seul espoir de réélection de Nicolas Sarkozy tient à la faiblesse potentielle de ses adversaires.
Ceux de la droite et du centre évidemment au premier chef. Ainsi un François Bayrou qui arriverait assez haut dans les intentions de vote pourrait-il menacer directement la qualification du président pour le 2nd tour. La multiplication des candidatures à sa droite pouvant lui faire perdre de précieux points, à la manière de ce qui est arrivé à Lionel Jospin à gauche en 2002. Sans une part significative du vote populaire, le président de la République ne peut pas surmonter ces aléas. Sans son socle de 2007, il peut donc tout perdre.
C’est aussi tout l’enjeu de la campagne pour François Hollande. Il a un boulevard devant lui mais encore faut-il qu’il sache dans quel sens l’emprunter ! Pour ramener vers lui le vote populaire, il n’a guère d’autre choix que d’aller de l’avant… sur deux jambes. D’une part, en proposant un programme économique et social ambitieux, celui d’une rupture à la fois effective, visible et lisible, avec le désordre et l’inégalité régnantes. C’est la réforme fiscale qui est l’arme principale d’une telle révolution. Profonde, radicale et égalitaire, elle est en effet dernier outil dont dispose l’Etat national dans un cadre européen et mondial aussi incertain que difficile à infléchir. D’autre part, en prononçant un discours d’autorité et de rassemblement du peuple, de la nation précisément, autour d’un projet républicain réaffirmé et renouvelé. Celui-là même que la gauche a oublié et perdu depuis tant d’années, entre pouvoir et opposition, entre dilution locale et errements doctrinaux.
Cette élection est un moment privilégié pour la gauche pour se réapproprier ces dimensions matérielles et symboliques. Il reste 3 mois à son principal candidat – les autres, Jean-Luc Mélenchon, Eva Joly ou Jean-Pierre Chevènement notamment ne pouvant en rien lui disputer ce statut – pour non seulement gagner mais pour le faire dans les meilleures conditions possibles. Celles qui lui seront indispensables s’il veut gouverner dans la durée, et pas seulement pendant quelques courtes semaines d’état de grâce, si tant est qu’il y en ait un.
Ce qui complique sérieusement l’affaire, c’est qu’en face il y a désormais Marine Le Pen. Et c’est elle qui pour le moment possède la clef du vote populaire, composante essentielle de ses 20% d’intentions de vote régulières. Un tel capital ne la conduira certainement pas à la victoire mais peut l’emmener suffisamment loin, et pourquoi pas au second tour, comme son père en 2002, pour faire trembler l’ensemble de l’édifice politique français. Si une telle situation devait se produire, contre François Hollande en particulier, celui-ci ne connaîtrait qu’une victoire à la Pyrrhus. Le pays serait ingouvernable. Et dès les législatives, la véritable “barrière d’espèce” construite dans la douleur parfois (souvenons-nous des régionales de 1998 !) entre droite de gouvernement et FN pourrait bien disparaître, définitivement. Les triangulaires qui ont si souvent profité à la gauche depuis des années ne seraient plus alors qu’un souvenir.
Quoi qu’il arrive, l’élection de 2012 marquera la fin du système politique mis en place depuis plus de 20 ans, celui qui a tenu le FN à sa lisière. Ce qui lui a d’ailleurs permis de prospérer, de devenir le refuge des votes contre ce système justement. Aujourd’hui, si une partie de la droite se lepénise à grande vitesse, le FN se banalise aussi, en grande partie. De ce double mouvement pourrait bien naître, dès l’élection du printemps, un casse-tête politique bien plus douloureux encore pour la gauche que l’échec national qu’elle subit depuis années.
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