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Espace public et communication populaires au XVIIIe siècle

Publié le 23 janvier 2012 par Fmariet

Arlette Farge, Dire et mal dire. L'opinion publique au XVIIIe siècle, 1992, Paris, Seuil, 314 p.
Travail d'historien, publié il y a une vingtaine d'années, portant sur la manière dont évolue la communication dans les années qui précèdent la Révolution de 1789. Travail important pour les spécialistes des médias. Tout d'abord, parce que l'analyse d'Arlette Farge donne à voir toutes les formes de communication de cette époque, leurs interactions et leur contribution à l'information de la population, à celle du pouvoir royal et à ce qu'il est convenu d'appeler opinion publique. Ensuite, parce que cet ouvrage traite de la communication au sein de populations pauvres, méprisées, voire ignorées par la France bourgeoise et plus encore par la France de l'aristocratie et de la Cour. L'auteur parcourt des territoires de communication laissés de côté par Habermas qui s'en tient essentiellement à l'espace public bourgeois et noble des Lumières. En cela, Arlette Farge rééquilibre l'histoire de la communication. Analyse fine de l'opinion publique : mobile, nomade, fluide, hyper-locale. L'auteur rappelle que ce public pauvre n'est pas si crédule qu'aiment à l'imaginer les politiques et autres maîtres à penser. Un espace public populaire se constitue, constamment espionné, réprimé, méprisé, revendiquant le droit de dire la chose publique ; quel rôle joue-t-il dans la genèse de la Révolution de 1789 ? Ce livre constitue une importante réflexion sur la communication politique ; sa modernité est inattendue : "Le savoir sur la chose publique commence par le savoir sur autrui, celui que la cité et sa configuration obligent chacun à détenir" (p. 289).
L'histoire, quand elle est aussi clairement analysée et exposée, désenclave notre compréhension de la communication souvent confisquée par les médias industriels et commerciaux des XIX et XXe siècles (radio, presse, télévision, affichage grand format). On oublie trop aisément que ces "grand médias"ne représentent qu'une part modeste de la communication, la plus commode à étudier aussi parce qu'elle produit beaucoup d'information chiffrée, économique notamment. Les médias sont récents (deux siècles), la communication, non. Il faut attendre les réseaux sociaux pour que soient mises en chantier des analyses quantitatives des conversations, de la circulation des opinions. Inversement, ce travail permet d'enclencher une réflexion sans condescendance sur la contribution du people à la formation de l'opinion politique, sur "l'intelligence satirique" (les moeurs des puissants, les "affaires", le statut de la vie privée des personnages publics, etc.).
Arlette Farge traite des différentes formes d'information qui alimentent et forment l'opinion publique populaire. C'est cet aspect de l'ouvrage que nous retenons.
  • Les "gazetins de police", rapports rédigés par des sortes d'indics et condés, surnommés des "mouches" (cf. mouchard). 
  • Les "nouvelles à la main", feuilles volantes manuscrites auxquelles on peut s'abonner (trois numéros par semaine) ; faisant l'objet d'autorisations, elles sont épluchées méticuleusement par la police. Les informations qu'elles charrient proviennent de l'étranger, des domestiques, du recueil de bruits qui courent (on parle de "nouvelles à la bouche"). Toutes ces nouvelles, peu vérifiables, rédigées à la va-vite, constituent le terreau de l'opinion publique. 
  • Les affiches et placards collés sur les murs. Culture orale, malgré tout : on y écrit sans manière, comme l'on parle. Le nouvelliste recherche les scoops, valorise les délais de diffusion : aux "liseurs de gazettes ", selon le mot de Louis-Sébastien Mercier, de se débrouiller comme ils peuvent avec ce mélange de vérité et de fausseté, d'anecdotes, de faits divers et de satires.
  • Les Nouvelles ecclésiastiques (1728), auto-éditées, militantes, elles sont l'organe du parti janséniste et font connaître l'oppression dont les prêtres soupçonnés de jansénisme sont victimes ; cette publication vulgarise le débat théologique.

Communication populaire d'avant 1789 : on ne peut s'empêcher toutefois de penser aux samizdats de la Russie soviétique, aux réseaux sociaux, aux conversations sur Facebook, à Twitter soucieux de brièveté, où s'expriment des opinions et un humour souvent lestes et irrespectueux de pouvoirs qui se verraient bien les contrôler, les récupérer ... En un peu plus de deux siècles, les supports techniques de la communication ont changé davantage que ses contenus. Surestime-t-on le rôle des technologies de communication ?

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