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Et caetera

Par Deathpoe

Le soir dans le vestiaire, D. disait avec le sourire "Là les gars, je vais rentrer, un bisous de mon fils et de ma femme et j'oublie toute la journée de boulot." Moi mes jambes me faisaient mal et je n'osais même plus espérer du réconfort d'une manière ou d'une autre. J'étais comme ça depuis le matin: pas malheureux, pas désespéré, mais complètement mort de l'intérieur. Des mois et des mois que je n'avais plus senti le poids plume d'une tête sur ma poitrine, que je me battais contre moi-même, mais pour rien.
Et puis même, les cicatrices de mes jambes me feraient maintenant avoir honte si je devais avoir à me déshabiller devant une fille. Le matin de ce vendredi, gardant en tête que cette hypothèse est encore loin, je taillai précisément dans la chair.
De toutes manières, ça devait s'arrêter maintenant. Tout était prêt, à nouveau, et j'avais tout ce qu'il me fallait. L'après-midi de travail avait été éprouvante et, en fermant la porte de mon vestiaire, je terminais a cinquième boîte de codéine.
La pluie tombait sur les rues messines. Une fois sortis du centre commercial, il téléphonait et commençait toujours par ces mots: "Oui Madame". C'est à chaque fois troublant de tendresse. Pendant ce temps, la pluie commençait de dégouliner dans mes cheveux et j'hésitai à l'accompagner jusqu'au campus, où il se garait chaque jour. Ses yeux étaient rieurs et il avait le sourire en parlant à sa femme. Moi, j'étais plutôt gêné de ne pas le laisser dans ce qu'il me semblait être une sorte d'intimité habituelle, néanmoins magique, et j'essayais de savourer ma clope. Je jetai mon mégot au moment où il raccrochait, et ça m'est apparu: je crevai d'ennui d'une part, et je rêvais aussi d'un foyer où rentrer le soir. Retrouver quelqu'un. Me sentir vivant dans ses bras et sentir un autre coeur battre contre ma poitrine. Peut-être regarder un film en mangeant des saloperies et en s'embrassant quelques fois. Se plaindre chacun de sa journée et pester contre les collègues ou la famille. Peut-être faire l'amour ou baiser tout simplement, s'endormir et se réveiller le matin avec l'odeur du café et le soleil du sourire.
L'un dans l'autre, j'avais eu tout cela, et l'avais rejeté en bloc. Je ne comprenais pas vraiment. De toutes manières, ma décision était prise et cela n'était guère plus qu'une contradiction de plus chez moi. Il était temps que tout ça s'arrête. Hors de question de s'épuiser encore à se battre contre moi-même, et pour moi-même. Le sens que je cherchais à toute cette merde était simplement évident: la présence de l'autre, fonder un foyer, peut-être même une famille.
Après l'avoir quitté, j'ai continué de marcher sous la pluie battante. Ainsi, mes larmes ne se voyait pas. C'était digne d'une comédie dramatique pour adolescentes. Je laissais la pluie couler et tirais sur ma clope en me disant que le soir-même tout serait fini. Que je n'aurai plus à continuer de payer encore et encore, avec les intérêts.
Tout était en place. J'ai attendu 23h et ai avalé d'une traite les réserves que j'avais faites durant la semaine. Ce n'était pas tant la solitude qui me rongeait, c'était surtout le fait de ne pas trouver de sens, d'intérêt, au quotidien, et de finalement s'apercevoir qu'il était là où je l'avais laissé, malmené, sans m'en rendre compte. J'ai avalé mon gramme de morphine et me suis couché, sûr de mon coup.
Finalement je me suis encore une fois réveillé. J'avais merdé, encore. Et je n'étais même pas aux urgences, simplement dans mon lit, complètement vaseux et avec un mal de crâne phénoménal. Le réveil sonnait au même moment. Je n'avais pas à me retourner dans mon lit une place. Je me suis levé, appuyé sur le bouton de la cafetière, laissé couler le café le temps d'une première cigarette. Une heure après, j'étais dans le bus, à oublier le fait que j'étais peut-être malgré tout condamné à vivre dans ces conditions, dans la douleur et la certitude du non-sens. Tant pis. Une journée de plus à traverser au plus vite. Et caetera. Et caetera.


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