Il y a deux sortes de visions cauchemardesques du monde : l’une est provoquée par les ravages perpétrés par les humains sur terre accusés de pêcher contre la nature et contre eux-mêmes et la seconde est structurale car elle touche l’essence même de la matière dont est composé le monde. Et c’est de la deuxième dont il est question dans ce poème où chaque objet capté par l’œil de la locutrice ou même par l’un de ses autres sens est d’emblée dénué de toute qualité normale de façon à y faire apparaitre toutes les formes possibles de laideur qu’on peut résumer dans l’asymétrie , l’amorphie et la difformité , ce qui suscite la répugnance, le dégout et même la peur : rouille , raideur , tiges de chair , lambeaux, érosion , kystes ... etc . Reste à savoir ce qui se cache derrière cette vision qui fait abstraction totale de toute beauté dans l’univers. Il s’agit en général d’un choc violent avec le monde externe provoqué par une naissance traumatisante et douloureuse qui laisse certains nouveaux nés incapablestoute leur vie de surmonter cette expérience extrêmement pénible . Et de cette inadaptation avec le nouvel environnement perçu comme un enfer nait un dégout accompagné parfois d’un retour inconscient au paradis perdu qui est la matrice de la mère. Sur le plan stylistique, ce poème vaut surtout par l’accumulation, du début jusqu'à la fin, de connotations évoquant cette " désolation ".
Mohamed Salah Ben Amor
DESOLATION
Les dents de la rouille hissent leurs odeurs de sel
et les géométries croisent angles de métal ;
au bout quelque part dans le mouillé du matin
une langue de brumeterre
enfin
se perd…
Les clowns raides et les marionnettes étoilées
se cherchent un Palais des Glaces où ils pourront
se mettre au garde-à-vous devant
les éléphants
dans l’obscurité lumineuse des miroirs.
Ici et là des tiges de chair pareilles à
des alfas se font courte échelle
vers le ciel
avec des grâces ma foi proches du frisson
qui distordent et se répercutent sans répit.
L’emprise des formes tend à se relâcher
sur la matière qui incube par lambeaux ;
l’on suggère peu à peu pas à pas
des plis
des lovements nacreux des tâches absentées
absinthées qui ont de Fée Verte la couleur
et la confusion des éléments prend le pas
sur l’ordre en séries de phrases inachevées
qui ondulent en dunes jusqu’à l’horizon.
Les volumes ne sont plus faits que d’érosion,
de sourdes dégringolades au centre du noir
où leurs kystes bataillent entrechoquent leurs rangs
en puisant dans la nuit
la force de briller.
P.Laranco.