Il y a des jours comme ça où l’on a juste envie de se mettre à sa fenêtre et de regarder tomber la neige ; ou bien d’aller s’asseoir dans la salle de méditation, loin des journaux, du tumulte et des nouvelles. Des jours où le monde est simplement trop lourd, et où l’on n’a plus que le désir de se retirer, de dire : « Je ne veux pas être là, ni être témoin, ni être partie prenante de ce qui se passe. Continuez sans moi ; je veux juste compter les nuages, remonter la rivière à sa source, m’envoler avec les oiseaux. Je ne peux ni faire, ni défaire, mais je ne veux plus regarder, ni entendre. Il est vrai que je fais partie du monde, de ce monde, comme le flocon qui tourbillonne et disparaît, comme la graine qui germe dans l’obscurité en ce moment même, comme la mouche qui se cogne, encore et encore, contre la vitre, ou comme le souriceau – ah ! – qui m’épie de dessous le placard… mais moi, dois-je absolument prendre conscience de ce qui m’entoure, de la douleur, des guerres, de l’insatiable violence, de la cruauté sans fin ? Dois-je toujours soupirer du plus profond du cœur devant la souffrance, l’errance, le deuil, la mort ? »
Aujourd’hui, je veux rêver, rêver de blancheur et de calme, rêver de réconciliation et de pardon ; rêver que le cri est de joie, et les gestes de tendresse. J’aimerais que le monde fasse une pause, qu’il nous offre un instant où s’essouffle la violence, cesse la folie ; une heure où l’impatience de l’amour prendrait le pas sur l’urgence de la colère. Un monde qui se réveillerait dans un éclat de rire…
Je sais, je sais : je n’ai pas raison. On ne peut pas, on ne doit pas fuir ce monde que nous partageons tous, pour le meilleur et pour le pire. Le laisserons-nous aux plus violents, l’abandonnerons-nous aux porteurs de haine ? Notre place est là, en plein milieu, j’en suis convaincue, mais aujourd’hui, je m’absente. C’est juste un de ces jours où est tombée la fameuse goutte qui fait déborder le cœur : un autre massacre, une autre horreur, une autre victime.
Je sais : après cette longue journée, doucement triste, demain je vais refaire un pas en avant, revenir avec tous les autres, reprendre ma place. Parce que je l’aime, ce monde qui nous est donné, que nous avons façonné, dans son imperfection, avec son chaos, ses limites ; ce monde qui contient aussi mon chaos et mes limites. Parce que je suis sûre que nous pouvons, même un peu, même imperceptiblement, le changer, l’enrichir, le rendre plus aimant. Et que si l’on ne peut pas, il faut quand même essayer – même s’il y a des jours comme ça…
Joshin Luce Bachoux
Nonne bouddhiste, Joshin Luce Bachoux anime la Demeure sans limites, temple zen et lieu de retraite à Saint-Agrève, en Ardèche.
Source : La Vie