Le décorum

Publié le 21 janvier 2012 par Badiejf
Cétout, le frère d’Asefi, est un peu en rogne contre son président. « Il se pavane un peu trop à mon goût. OK pour que Sweet Micky fasse dans la pub, mais là, il est président ! Michel Joseph Martelly devrait respecter davantage sa stature de président, oublier son statut de star. » La grogne de certains tourne autour du fait que le président se montrerait un peu trop, un peu trop dans le style ‘pub’. Partout dans la ville, le président pose enlacant une personne âgée pour dire que sa victoire est pour elle. Rit avec des étudiants pour dire que sa victoire est pour eux. Dans les dernières semaines, on a vu apparaître des affiches roses où sous la binette du président, on présente certaines statistiques sur les timoun qui ont eu accès à l’école dans les dernières semaines grâce à ‘son’ programme. On lit au bas de l’affiche : pwomes se dèt. Une promesse est une dette et le président est visiblement heureux de rembourser sa dette;.
- Qui a payé pour ces ‘publicités’ ? Est-ce que notre président utilise des fonds publics pour se faire de la publicité ? De l’auto-publicité ? Qui a validé si ces chiffres tiennent la route ?
- Tu me fais suer avec toutes tes questions, je ne suis pas journalistes !! Demande aux journalistes haïtiens que tu connais de faire leur travail. Mais sur le fond, je ne sais pas vraiment ce qui te frustre.
- C’est simple pourtant ! Le gars est président et se fait de la pub !! Le culte de la personne est une dimension nécessaire pour un vendeur de disques, mais pour le président d’un pays, il me semble qu’on pourrait s’en passer.
Asefi qui sirotait son jus de melon juste à côté se lance dans le débat.
- Avec ces pubs, il ne fait que nous confronter à une de hypocrisies nationales. Dans le fond, le gars est en train d’inscrire la politique dans une dimension de communication grand public qui existe partout sur la planète. On reste convaincu dans notre vision archaïco-nostalgique de la noblesse de la vie politique. Une vie qui nécessiterait une éthique ou un esprit supérieur. Quand il est question de politique, on se drape constamment dans une constitution et des principes qu’on n’est incapable de respecter aucunement. Il faudra arrêter un jour de se prendre au sérieux et le devenir …
- T’exagères lui lance Cétout. C’est quand même indécent que le gars se serve de son statut de président pour se faire de la pub.
- Qu’est-ce qui est vraiment indécent ? À mon avis, ce qui est indécent, c’est qu’on se maintienne la tête dans le sable d’une ‘vraie vie politique nationale’. En fait, le gars joue à fond la ‘game’ de la politique réelle. Il ne contrôle aucunement les deux chambres et n’arrivera à rien au plan politique s’il n’induit pas de nouveaux rapports de force. Le seul outil tactique qui lui reste est la population. L’appui populaire. Il se vend comme Nike vend ses espadrilles. Dans une société de consommation, une chaussure Nike est un concept au même titre que la scolarisation des enfants. Donc arrêtons de vivre dans l’imaginaire d’une vie politique haïtienne portée par la noblesse des intérêts supérieurs de la nation, par le respect de la lettre ou de l’esprit d’une constitution, ou encore par la hauteur d’une fonction. En fait Martelly rejoint directement le peuple avec ces publicités. Ce peuple qui n’a pu aucune confiance en cette classe politique qui se complaint dans une image fanée d’elle-même. Ce n’est pas parce que tu sors Dessaline, Pétion ou Louverture de ton chapeau à toutes les phrases, que t’es réellement bercé par leur esprit ou leur mémoire.
- Un peu de décorum quand même !!
Cétout avait perdu de sa hargne en lançant cette dernière phrase. Asefi semblait heureuse de se préparer à enfoncer le dernier clou.
- Justement, c’est probablement notre plus grand défi, sortir du décorum …