La vie de Melchiorre Gioia aurait intéressé, sans doute, un romancier comme Pío Baroja ; mais je crains que son œuvre ne réveille pas plus d’enthousiasme parmi les économistes.
Par Francisco Cabrillo, de Madrid, Espagne
On dit qu’il sortit de prison grâce à l’aide de Bonaparte, alors général, qui fit pression pour qu’il soit mis en liberté. Une fois dans la rue, il pensa qu’il serait meilleur de changer de profession. Il imprima ainsi à sa vie une toute nouvelle direction : il raccrocha la soutane et se consacra au journalisme et à l’étude des sciences sociales et de l’économie en particulier. Mais ses relations avec l’Église catholique seront toujours conflictuelles. À tel point que, des années après sa mort – qui eut lieu en 1829 – une bonne partie de son œuvre était incluse dans l’Index des livres prohibés.
Concrètement, l’édition de l’Index des livres prohibés de Grégoire XVI (qui fût pape entre 1831 et 1846) inclut rien moins que huit de ses ouvrages ; parmi ceux-ci celui qui est sans doute son livre d’économie le plus important : son Nuovo Prospetto delle Scienze Economiche qui compte six volumes et plus de 2.000 pages. Ce travail considérable fut publié à Milan entre 1815 et 1817. Et déjà en 1820 – sous le règne pontifical de Pie VII – le Vatican avait inscrit l’œuvre dans l’Index.
La vie de notre personnage fut bien aventureuse ; elle se déroula dans un pays en proie à de vives convulsions, dans une de ses époques les plus complexes et il se donna à fond dans l’activité publique. Au moins à deux reprises, il échouera en prison ; la première en 1799, et la seconde en 1820-1821 après avoir faire partie de la conspiration carbonariste contre l’occupation autrichienne de certains territoires et villes d’Italie.
L’œuvre économique de Gioia est très ambitieuse. Il eut un temps pendant lequel elle fut très appréciée. Un intellectuel de la taille de Silvio Pellico affirma que notre protagoniste avait été le penseur le plus éminent dans le domaine de la science économique de son époque en Italie. Mais il n’a pas résisté au passage du temps. Schumpeter définit ainsi son volumineux principal ouvrage : « Vous pouvez trouver des perles cachées sous un tas de déchet dont il est impossible de tirer profit », mais il est également vrai qu’il reconnut l’intérêt des données statistiques que son œuvre incluait et affirma que ce livre anticipa, sous certains aspects, les observations de Charles Babbage sur l’emploi des machines dans l’industrie.
La vie de Melchiorre Gioia aurait intéressé, sans doute, un romancier comme Pío Baroja ; mais je crains que son œuvre ne réveille plus d’enthousiasme parmi les économistes. Il ne fut pas non plus pleinement accepté par tous les penseurs italiens de l’époque. Une seule référence : le philosophe et théologien Antonio Rosmini (1797-1855), après avoir critiquer l’attitude excessivement complaisante de Gioia envers certains politiciens et puissants du moment, dit simplement de lui : « È un ciarlatano ». Ce qui n’est pas une bonne manière de passer à l’Histoire.
—
Article originellement publié par Libre Mercado.