Vous l'aurez compris au terme de notre entretien de ce mardi, amis lecteurs, après nous être penchés les 6 et 10 décembre derniers sur l'identité du propriétaire du mastaba dont subsistent, dans la vitrine 4 ² de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, quarante-trois morceaux de paroi initialement peints sur mouna, c'est à ceux d'entre eux faisant référence aux d'offrandes que nous allons à partir d'aujourd'hui consacrer toute notre attention quelques semaines durant.
Ma galanterie foncière n'ayant nul désir d'être prise en défaut, vous m'autoriserez ce matin à commencer par la gent féminine avec ce très intéressant fragment de "porteuses d'offrandes".
Malgré les difficilement surmontables reflets dont je vous prie d'excuser le désagrément, si vous observez attentivement la pièce ici devant nous, vous aurez sans conteste remarqué que nous nous trouvons en réalité en présence de deux morceaux fort endommagés que, soucieux du bon respect de l'oeuvre originale, les égyptologues français Jacques Vandier et Jean-Louis de Cenival, en 1965-66, eurent à traiter de manière à judicieusement les assembler ; la cassure ayant initialement traversé en diagonale le corps des deux jeunes femmes au centre de la composition.
E 25527, en dessous, à gauche, mesure 26 centimètres de hauteur et 27 de large, tandis que E 25528, au-dessus, à droite, 28 de haut et 33 de large. Dans le grand meuble vitré, leur emplacement arbitraire se situe dans la première moitié.
Il ne vous aura évidemment pas échappé que ces "porteuses d'offrandes" s'avancent ici vers la gauche. Or, dans le volume 1 de Une rue de tombeaux à Saqqarah, passionnant ouvrage pionnier datant de 1907 qu'Internet vous permet de lire et télécharger gratuitement, l'égyptologue belge Jean Capart explique que les personnes participant à semblable défilé se dirigeaient toujours en direction de la stèle fausse-porte, au pied de laquelle se trouvait la table d'offrandes sur laquelle étaient déposées toutes les denrées dont le défunt aurait besoin pour continuer à se sustenter dans l'Au-delà ; "porte" que seul il serait censé franchir chaque jour.
En constatant qu'un peu plus loin dans la vitrine, - j'aurai l'occasion de m'y attarder prochainement -, d'autres éclats proposent des processions analogues mais dont les participants progressent cette fois vers la droite, je puis sans hésitation aucune, dans un premier temps, affirmer qu'ils ne furent pas arrachés à un seul mur de la pièce dans laquelle ils avaient été peints et, dans un second, déterminer sur lequel d'entre eux, par rapport à la stèle fausse-porte, ils évoluaient originellement. Ce qui, aux niveaux de la recherche archéologique et de la bonne compréhension de ce qui anima les artistes de l'époque, constitue une indication de première importance.
Ainsi, pour ce qui concerne les élégantes personnes auxquelles nous consacrons
notre attention ce
matin, je note qu'elles se situaient sur la paroi de droite en entrant, c'est-à-dire sur le mur nord.
Sans toutefois reprendre ici par le menu le déroulement d'un exposé didactique à propos de l'iconographie des mastabas d'Ancien Empire, j'aimerais néanmoins très succinctement en rappeler les composantes de façon à ainsi vous permettre d'entrevoir par la suite l'emplacement qui fut au départ celui de certains de ces fragments en général et, pour l'heure, de nos "porteuses d'offrandes" en particulier.
Nonobstant qu'une paroi peinte (ou gravée) ne sous-entendait ni cohésion d'un espace réel ni détermination d'une unité temporelle dans la mesure où, intrinsèquement, elle donnait à voir simple juxtaposition de données épigraphiques et iconographiques, le respect de ce que représentaient les points cardinaux fit partie des conventions appliquées par les scribes des contours égyptiens en semblable situation.
De sorte que, traditionnellement, - toute pratique s'offrant, n'en doutez pas, l'une ou l'autre exception -, l'entrée d'un mastaba, partant, de sa chapelle funéraire, premier et unique lieu accessible à la famille et aux prêtres ritualistes après un éventuel couloir d'accès, était orientée à l'est. Ce qui, en Egypte, signifiait face à la vallée du Nil, ce fleuve qui, entre autres fonctionnalités, acheminait les cortèges funèbres.
Raisons pour lesquelles, sur la paroi est, à l'intérieur de la chapelle, vous
découvrirez tout naturellement d'éventuelles scènes de navigation, d'activités dans les marais et, bien évidemment, de travaux des champs qui, sans le Nil nourricier, sans ses crues, sans les
alluvions charriées amendant les sols, n'eussent pu avoir lieu.
Du côté opposé, à l'ouest, celui séparant la sépulture du désert occidental, en fait, de la nécropole proprement dite, vous trouverez la (ou les) stèle(s) que je mentionnai voici quelques instants.
Formulation assez bizarre, seriez-vous en droit de me reprocher.
A laquelle remarque je répondrai simplement en précisant que mes propos connotent le fait
qu'à partir de la fin de la IVème dynastie, l'habitude se prit de représenter deux fausses-portes sur le mur ouest.
Et donc qu'ici, chez Metchetchi, il est possible que ce fut le cas ! Possible, mais non point certain puisque, comme déjà j'eus l'occasion de vous le signifier, nul ne sait où avait été
aménagé son tombeau ; partant, nul n'est à même d'en décrire le moindre recoin !
Quant aux cloisons nord et sud, conventionnellement dévolues aux offrandes alimentaires, l'une donnant plus spécifiquement à voir les préparatifs et le repas du mort, ainsi que ses invités au banquet funéraire, l'autre proposant plus souvent la liste des mets, ce que les égyptologues appellent volontiers le "menu", elles proposaient aussi les processions de "porteuses" ou de porteurs d'offrandes.
Là seront patentes les divergences quant à l'orientation de ces personnes en marche : parce que se dirigeant vers l'ouest, vers la table d'offrandes au pied de la stèle la fausse-porte, leurs visages seront tournés vers la droite pour celles du mur de gauche et, bien évidemment, vers la gauche - comme notre présent exemple -, pour celles du mur de droite.
Notez également que c'est la jambe la plus éloignée par rapport à nous qui est posée en
avant : donc, ici, celle de droite ; étant bien entendu que ce serait la gauche si les femmes s'étaient avancées dans l'autre sens.
Vous souvenez-vous que nous avions déjà rencontré cette disposition à l'intérieur de la chapelle du mastaba d'Akhethetep visitée de conserve en octobre 2008, dans la précédente salle 4 ?
A la seule aune d'une interprétation narrative de la scène, que puis-je ajouter concernant ces dames trop mutilées à mon goût ?
Que la première, "décapitée", avait une fleur de lotus en sa main gauche ; que les trois autres, guère plus favorisées par les déprédations humaines, la deuxième mise à part, maintenaient de la main droite sur leur tête coiffée d'une perruque tri-partite un panier vraisemblablement en osier, bellement réalisé, dont les teintes lumineuses et les motifs du décor, remarquablement bien conservés, me charment encore. Malheureusement, leur contenu a disparu dans la brisure.
Il se peut que la première portait également un quelconque couffin ; et que les deux
dernières tenaient un cabas dans la main gauche, comme celle qui les précède.
Remarquez, par parenthèse, que sous la mince ligne de sol qui barre horizontalement l'éclat inférieur (E 25527), subsistent des détails d'autres pièces de vannerie : ce qui, sans trop risquer de me fourvoyer, m'invite à conclure que sur au moins un autre registre se poursuivait ainsi l'évocation de ce défilé féminin.
Mais vous n'ignorez plus maintenant, amis lecteurs, si d'aventure vous me suivez régulièrement, que me contenter d'une explication aussi platement descriptive me paraît devenu totalement insuffisant. Les études menées il n'y a guère par feu l'égyptologue belge Roland Tefnin ont prouvé qu'il nous fallait débusquer plusieurs sens à une peinture égyptienne.
En outre, vous aurez aussi assurément relevé qu'à chaque fois que j'ai aujourd'hui employé le syntagme "porteuses d'offrandes", je l'ai assorti de guillemets. Vous me connaissez suffisamment, je le présume du moins, pour savoir que le choix de cette typographie ne résulte nullement du hasard ou d'un caprice personnel.
De sorte que, vous l'aurez compris, nécessité s'impose de décoder ensemble ce tableau récurrent des tombes égyptiennes de l'Ancien Empire.
C'est ce à quoi j'envisage de m'atteler avec vous lors de notre rencontre prochaine,
mardi 24 janvier, si d'aventure, le sens propre de cette théorie d'accortes jeunes femmes parfois quelque peu dévêtues vous
intrigue ...