La démocratie en danger ?

Publié le 20 janvier 2012 par Marc Lenot

Autant l’exposition sur l’art et l’argent à l’étage fascine, autant celle au sous-sol, dans la Strozzina, l’espace dédié à l’art contemporain de ce palais florentin déçoit (jusqu’au 22 janvier). S’interroger aujourd’hui sur les rapports entre la démocratie et l’art aurait pu être passionnant, soulever des questions sur la représentation par l’art des mouvements démocratiques et des atteintes à la démocratie, s’interroger sur la censure, mettre en avant les (rares ?) cas où l’art a joué un rôle dans la prise de conscience démocratique, parler aussi peut-être du printemps arabe, ou des indignés ; mais ce n’est pas le cas ici, ou seulement à la marge. Est-ce parce que les commissaires ont mis l’accent sur le déclin de la démocratie ? C’est surtout, à mon avis, que l’échantillon d’artistes invités n’est guère cohérent et est très inégal. Qu’avons-nous à faire des carnets de notes de Thomas Hirschhorn ? Si on voulait vraiment le considérer comme un parangon des luttes démocratiques, une œuvre plus forte aurait été plus pertinente que ces quelques feuilles dans des vitrines ou sous des cadres, qui ne génèrent qu’un intérêt poli, sans émotion.

Et si on voulait faire de cette exposition une action participative, où le public avait son mot à dire (mais, en remmetre une couche sur l'esthétique relationnelle, était-ce vraiment nécessaire ?), alors on aurait pu choisir des démarches plus innovantes que des slogans anti-Berlusconi à écrire au mur, qu’un choix de bouton à épingler sur sa veste pour indiquer comment on a été un bon citoyen pendant les dernières 24 heures  (la répartition entre les différents boutons traduisant les opinions du public : mon choix « Ho infranto la legge »), ou qu'un atelier épisodique de réflexion sur la démocratie, incompréhensible au visiteur lambda. Avec le grand mur d’images animées sur lesquelles on peut tirer avec un joystick, on approchait vraiment le degré zéro de la participation...

Ensuite, il y a un certain nombre de pièces assez simplistes, bons documentaires sans plus (sur Wall Street ou sur les afro-colombiens), projet de construire un phare à Lampedusa,... Par contre, les onze écrans d’Artur Zmijewski, montrant onze manifestations filmées de manière neutre, sans trop de pathos, ni sympathie, ni antipathie, permettent de réfléchir, au-delà de chaque situation, à ce qu’est une manif : pas nécessairement les bons et les méchants, des signes permanents (drapeaux, slogans, chants), un ordre plus ou moins visible, une recherche du climax, affrontement ou communion. On examine ainsi quatre manifestations polonaises (de la procession religieuse à un affrontement entre féministes et anti), trois allemandes (un 1er mai berlinois festif et violent, un match de foot Allemagne – Turquie, une cérémonie après une tuerie dans un lycée), l’enterrement de Jorg Haider, les protestations contre l’OTAN à Strasbourg, un défilé à Ramallah (et non à Gaza comme le dit le cartel) pour le 60ème anniversaire de la Nakba, et une tentative par des militants israéliens de bloquer une des routes de l’apartheid. Mais, tout en pouvant s’intéresser à telle ou telle manifestation, on peine à voir l’argument de l’artiste au-delà de sa neutralité documentaire.

Une des vidéos les plus amusantes est celle du groupe espagnol Democracia qui a invité des ‘traceurs’ parisiens (plus vrais que nature…) à faire un parcours dans un cimetière, mais pas n’importe quel cimetière : le premier cimetière laïque de Madrid, à La Almudena, où pouvaient être enterrés les non catholiques et les sans-dieu. C’est le contraste entre les performances acrobatiques de ces jeunes gens au visage caché, et les inscriptions sur les tombes (« Amor, Libertad y Socialismo », « Ici reposent deux marxistes-léninistes », …) qui fait sourire, et leur indifférence à cette histoire, cette page tournée, qui fait réfléchir.

Toutefois, les deux pièces à mes yeux les plus intéressantes sont celles où il se passait vraiment quelque chose, où l’artiste a, à sa mesure, tenté de changer le monde. La performance de Francis Alÿs Quand la foi déplace les montagnes est bien connue; est présenté ici un film sur le déroulement de l’opération, l’enthousiasme des participants, les difficultés du projet.

Et enfin (étrangement, elle n’apparaît pas sur leur site) la vidéo The Grand Rapids LipDub 2011 : cette ville du Michigan avait été désignée par Newsweek comme une des dix pires villes des Etats-Unis, une ville en phase terminale. Des habitants ont organisé une performance, un défilé dans la ville où, chacun des 5000 participants, au son de Miss American Pie, a droit à ses cinq secondes de visibilité : un par un, énergique, marchant en chantant, chaque habitant témoigne. C’est peut-être ainsi, au niveau des ‘grassroots’ que s’écrit la démocratie aujourd’hui. Mais il n'y a pas d'artiste ici, seulement un vidéaste enregistrant le défilé...

Photos provenant du site de la Strozzina.