[Feuilleton] Mont Ruflet d'Ivar Ch'Vavar - 21/41

Par Florence Trocmé

Mont-Ruflet 
poème-feuilleton d’Ivar Ch’Vavar 
21e épisode 
Résumé de l’épisode précédent : Pauvre loup !... Les corbeaux passent dans le ciel et regardent la Terre depuis là. La camarade cligne les yeux en boudant. Il y a beaucoup de brouillard et les troncs des hêtres sont poisseux d’humidité. 
    
Ressent forcément toi et moi, mais quoi ? C’est bien sûr 
Que tu ne le sais pas non plus ? Corneilles croassent, re 
Passant par là (c’est ici) elles répètent toujours le même 
Mot : croââ.. croââ... Tu parles, Charles ! Croire à quoi ? 
Mais aujourd’hui je saurais dire que ce bois était « grand »... 
Que ce monde était grand, ce « petit » monde était grand: je 
N’ai pas su le dire sur le moment... Je le ressentais ! Mais si l 
Oin de toute parole.
On reviendra ! On recommencera tu 
Verras, un proche matin, encor t’emmenerai-je à ce tou 
Rnant du chemin. Là, les grands champs, et là, les bois   (1050)   
Où s’enfoncer. Même, ce sera peut-être demain... Et on 
Regardera jusqu’à tant – que les yeux nous tombent de 
La tête, tout le pays —  
                                         La forêt, plus on s’approche de 
Son cœur : en cercles concentriques ou par des biais, et 
Moins on se sent près d’y arriver. Au fil des tours...  des 
Avancées... un soupçon... enfin tant de déceptions et de 
Rages, un soupçon a bourdonné longtemps en nous, et 
Il a bouilli avec l’écho,  pris avec lui dans la profondeur 
Du bois, dans le volume du moment, ça a bouilli. Nous 
Sommes arrivés à la nudité de l’évidence : jamais on ne    (1060) 
Gagnera ce parage ; et pourtant on ne peut douter qu’il 
Existe, et se trouve bien quelque part... Alors, marcher ! 
Battre buissons ; arpenter les futaies. Chablis, taillis. En 
Jamber la fougère ; traverser les clairières.  Et, en allant, 
Que  de caches se sont trouvées dans les fonds du bois ! 
De toutes tailles et de tous surplombs.  Et que d’entrées 
De sentiers, sentes et sentines ; tunnels de feuillages,  tu
bes glaiseux et encombrés de racines... Et, tout le temps 
On est invité à l’égarement, on sent à quel point on vou 
Drait bien se perdre mais se perdre vraiment. Peut-être    (1070) 
Est-ce qu’on sait, sans savoir qu’on le sait, que : le cœur 
De la forêt, on ne peut le gagner autrement. Il n’y a pas    
D’autre voie que celle-là.  Mais pour  éviter de se laisser 
Obnubiler, de s’obséder, de s’obstiner sur cette énigme, 
Il y a d’autres questions à traiter, moins abyssales peut- 
Être... Par exemple, je prends cet exemple du soleil cou 
Chant. Ça n’a l’air de rien, mais... accordez-moi une mi 
Nute, écoutez.  Est-ce que le soleil se couche au fond de 
La forêt, jamais ? Quelqu’un a-t-il jamais été témoin, et 
J’insiste : témoin – d’un coucher de soleil forestier ? Ah !    (1080) 
Vous voyez bien que vous êtes intrigué ! Alors des ban 
Des de témoins, j’en ai trouvées. Oui, des bandes, et éti 
Rées au fil des tournants, plaquées par une force centri 
Fuge sur les bords perdants... Ils ont émergé il y a long 
Temps dans la lumière de leur diminution : lumière hâ 
Ve (du francique °haswa, « gris comme le lièvre ») ils se 
Sont tenus devant cette lumière, comme devant un nou 
Vel univers ; mais c’en était un très vieux, c’était le trou 
Du cul de l’Histoire  et leurs rhapsodes ils ont senti que 
Le sens des grands poèmes était changé, et que les vers    (1090) 
En avaient tourné blets, ils surent que la race s’effiloche 
Rait sur place, s’émacierait – avec ces yeux de bêtes qui 

prochain épisode lundi 23 janvier 2011