Mont-Ruflet
poème-feuilleton d’Ivar Ch’Vavar
21e épisode
Résumé de l’épisode précédent : Pauvre loup !... Les corbeaux passent dans le ciel et regardent la Terre depuis là. La camarade cligne les yeux en boudant. Il y a beaucoup de brouillard et les troncs des hêtres sont poisseux d’humidité.
Ressent forcément toi et moi, mais quoi ? C’est bien sûr
Que tu ne le sais pas non plus ? Corneilles croassent, re
Passant par là (c’est ici) elles répètent toujours le même
Mot : croââ.. croââ... Tu parles, Charles ! Croire à quoi ?
Mais aujourd’hui je saurais dire que ce bois était « grand »...
Que ce monde était grand, ce « petit » monde était grand: je
N’ai pas su le dire sur le moment... Je le ressentais ! Mais si l
Oin de toute parole. On reviendra ! On recommencera tu
Verras, un proche matin, encor t’emmenerai-je à ce tou
Rnant du chemin. Là, les grands champs, et là, les bois (1050)
Où s’enfoncer. Même, ce sera peut-être demain... Et on
Regardera jusqu’à tant – que les yeux nous tombent de
La tête, tout le pays —
La forêt, plus on s’approche de
Son cœur : en cercles concentriques ou par des biais, et
Moins on se sent près d’y arriver. Au fil des tours... des
Avancées... un soupçon... enfin tant de déceptions et de
Rages, un soupçon a bourdonné longtemps en nous, et
Il a bouilli avec l’écho, pris avec lui dans la profondeur
Du bois, dans le volume du moment, ça a bouilli. Nous
Sommes arrivés à la nudité de l’évidence : jamais on ne (1060)
Gagnera ce parage ; et pourtant on ne peut douter qu’il
Existe, et se trouve bien quelque part... Alors, marcher !
Battre buissons ; arpenter les futaies. Chablis, taillis. En
Jamber la fougère ; traverser les clairières. Et, en allant,
Que de caches se sont trouvées dans les fonds du bois !
De toutes tailles et de tous surplombs. Et que d’entrées
De sentiers, sentes et sentines ; tunnels de feuillages, tu
bes glaiseux et encombrés de racines... Et, tout le temps
On est invité à l’égarement, on sent à quel point on vou
Drait bien se perdre mais se perdre vraiment. Peut-être (1070)
Est-ce qu’on sait, sans savoir qu’on le sait, que : le cœur
De la forêt, on ne peut le gagner autrement. Il n’y a pas
D’autre voie que celle-là. Mais pour éviter de se laisser
Obnubiler, de s’obséder, de s’obstiner sur cette énigme,
Il y a d’autres questions à traiter, moins abyssales peut-
Être... Par exemple, je prends cet exemple du soleil cou
Chant. Ça n’a l’air de rien, mais... accordez-moi une mi
Nute, écoutez. Est-ce que le soleil se couche au fond de
La forêt, jamais ? Quelqu’un a-t-il jamais été témoin, et
J’insiste : témoin – d’un coucher de soleil forestier ? Ah ! (1080)
Vous voyez bien que vous êtes intrigué ! Alors des ban
Des de témoins, j’en ai trouvées. Oui, des bandes, et éti
Rées au fil des tournants, plaquées par une force centri
Fuge sur les bords perdants... Ils ont émergé il y a long
Temps dans la lumière de leur diminution : lumière hâ
Ve (du francique °haswa, « gris comme le lièvre ») ils se
Sont tenus devant cette lumière, comme devant un nou
Vel univers ; mais c’en était un très vieux, c’était le trou
Du cul de l’Histoire et leurs rhapsodes ils ont senti que
Le sens des grands poèmes était changé, et que les vers (1090)
En avaient tourné blets, ils surent que la race s’effiloche
Rait sur place, s’émacierait – avec ces yeux de bêtes qui
prochain épisode lundi 23 janvier 2011