Album BD : La Rafale de Patrick Cothias, Patrice Ordas et Winoc

Par Manuel Picaud

Double regard sur la décolonisation de l’Indochine
Depuis sa pause de bande dessinée et ses années d’écritures de romans, Patrick Cothias a retrouvé sa flamme épique dans la collection Grand Angle chez Bamboo en coécriture commune avec Patrice Ordas. Après la Première Guerre mondiale avec Ambulance 13 et la Seconde avec L’œil des dobermans, les deux auteurs s’intéressent à la Guerre d’Indochine. Le sujet est resté encore peu traité dans le neuvième art. Cette Indochine encore française au lendemain de la libération de 1945 apparaît dans Les Oubliés d’Annam de Frank Giroud et Lax (Dupuis, Aire Libre), Mékong de Jean-Claude Bartoll et Xavier Coyère, (Dargaud), le dernier cycle de la série Le Boche de Daniel Bardet et Stéphane Boutel (Glénat) et bien sûr Tramp de Patrick Jusseaume et Jean-Charles Kraehn (Dargaud). Dès 1946, et jusqu’au départ des Français en 1954, les communistes vietnamiens vont rendre la vie impossible aux forces d’occupation.
La Rafale est le nom d’un train blindé – authentique – chargé de ravitailler les troupes françaises aux avant-postes de la piste H’Ô Chi Minh, longue de 2000 kilomètres au travers la jungle du Laos, du Cambodge et de l’actuel Vietnam. Un bataillon de 200 hommes de la Légion étrangère est chargé de le défendre. Composé de tous les soldats rescapés du dernier conflit mondial des opposants au franquisme jusqu’aux anciens soldats de la Wehrmacht, il est basé à Saïgon. Pour assurer le fonctionnement, les militaires ont besoin d’un ingénieur. Ce sera le rôle imposé à Daguet, un ancien résistant communiste employé de la Compagnie des chemins de fer transindochinoises. Parallèlement, une belle jeune femme, My Linh, endoctrinée par les révolutionnaires, cherche à venger le sinistre sort de son père et chasser définitivement les envahisseurs. Elle aura pour mission de faire échouer le premier…
Bon départ pour cette nouvelle fresque historique qui débute en 1948. Les auteurs proposent deux regards croisés, et finalement peu divergents, sur la colonisation française, l’exploitation des  autochtones, le recours à la force armée, notamment de 70.000 légionnaires. Dans leurs camps respectifs, My Linh et Daguet doivent se convaincre des méthodes utilisées. Cette première partie campe bien le cœur du conflit et de l’enjeu autour des deux protagonistes et bien sûr le fameux train. Les personnages de cette fiction inspirée de faits réels sont bien campés, et l’ambiance tout à fait crédible. Avec de jolies couleurs à dominante orange et verte réalisées à l’informatique par Nadine Voillat, Winoc réalise une très belle prestation graphique, même si nous aurions aimé découvrir encore un peu plus de la vie dans Saïgon et profiter davantage de décors.
Une mise en bouche réussie pour une trilogie pleine d’actions.

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