C'est un véritable phénomène de société. Bienvenue chez les Chtis pulvérise un à un tous les records du box-office nationale. Même l'aviron du Titanic semble à portée de recettes et déjà, on se dit que même le monumental Indiana Jones n'arrivera jamais dans sa quatrième aventure à détrôner cette année le film de Dany Boon. Faut-il forcément s'en réjouir ? En fait non. On ne souhaite pas vraiment jouer la carte des rabats joie de service mais voila, Bienvenue chez les Chtis fait aussi du mal à ceux qui aiment le cinéma. Dany Boon est excusé, son film fait du bien à la France entière et c'est quand même ça qui importe le plus. Le ton se cette critique sera néanmoins volontairement polémique et le débat sera lancé...
Bienvenue chez les Chtis est éminemment sincère et jovial. On ne peut rien nier du caractère sympathique du film, de la bonne humeur qu'il suscite, du côté humain vers lequel il bascule. Le film contrebalance admirablement avec le récent Paris de Klapisch. Le caractère franchouillard, libre et naïf du long-métrage de Dany Boon s'oppose à la tonalité beaucoup plus sérieuse et mélancolique du film de Klapisch. Une capitale sinitre face à une campagne plus sereine ? Le raccourcis est peu évident, facile a démonter probablement, mais il y a quelque chose de cet ordre là. Paris est sans doute une ville trop sérieuse.
Dans Bienvenue chez les Chtis, on rit de bon coeur, dans trois séquences en particulier (le caméo instantanément culte de Galabru, le "les meubles, c'était les ch'iens" et le "j'appelle et je vous dit quoi"), même si les occasions de rire et de sourire sont nombreuses par ailleurs. Dany Boon s'amuse des clichés qui collent à l'image du Nord, et visiblement ça marche. Line Renaud, les petits rôles de Patrick Bosso et Stéphane Freiss sont assez savoureux, et le duo Kad Merad/Danny Boon fonctionne plutôt bien.
Voilà, avec tout ça, tout est dit. On comprend que le film séduise. Bienvenue chez les Chtis est un film modeste, gentil, proche des gens et qui ne prend en otage aucune catégorie de la population. Le succès du film se mesure probablement à toutes ces qualités là.
Mais prenons aussi le contre-point forcément très peu populaire qui incite à trouver aussi ce film consternant. Point de vue radical mais qui mérite d'être exposé. Bienvenue chez les Chtis s'inscrit dans une tradition très française du cinéma comique depuis Gérard Oury. En clair, il n'y a dans ce film aucune ambition cinématographique, une authentique médiocrité technique, qui sont le cauchemard du cinéma français depuis 30 ans. Le cinéma français recycle avec ce film ses stéréotypes de la comédie franchouillarde. C'est noble, le public peut être ravi de bénéficier de ça, il n'est jamais mauvais de rire et les gens n'attendent d'ailleurs rien d'autre d'une comédie qu'elle les fasse rire. Mais ce qui déçoit c'est donc cette absence totale de faire du cinéma, d'utiliser les moyens du cinéma.
Depuis Louis de Funès ou Bourvil, le cinéma français, et le cinéma comique français en particulier, a abandonné toute idée de produire de la mise en scène. Le cinéma ce n'est pas que du dialogue, c'est aussi de l'image. Chez Oury comme chez Dany Boon aujourd'hui, l'image ne vaut pas le grand écran, l'image est aussi peu inspirée que les pires téléfilms de TF1. Bienvenue chez les chtis ratisse large car il est humble, consensuel et efficace au niveau de l'hilarité. Ce qui est alors désespérant, c'est qu'aucune voix, ou si peu, ne s'élève pour exiger des réalisateurs qu'ils ne se contentent pas de nous faire rire, mais qu'ils prennent à bras le corps l'idée même de réaliser un film. Les américains l'ont toujours fait via quelques unes de leurs plus grandes signatures. Le cinéma français se refuse à ça. Le public est alors conditionné par ces principes sans doute inconscients.
Bienvenue chez les Chtis est en train de marquer l'histoire du cinéma français et donc de devenir un modèle pour l'avenir. A court terme, on nous recyclera en beaucoup moins bien des films beaucoup moins sincères fonctionnant sur un principe comique similaire. A moyen terme, une suite est fatalement envisageable mais qui a toutes les chances de ne pas surprendre autant. A long terme, on continuera encore et toujours à produire des films sans aucune ambition de cinéma mais qui auront la prétention de vouloir faire rire, faisant perdurer un système vicieux ou l'idée de cinéma est quasi morte-née.
Alors certes, Bienvenue chez les chtis est un film agréable, qui procure du bien aux gens, et on ne peut que le louer pour ça. Le reste, tout le monde ou presque s'en moque. C'est tout le problème. Bienvenue chez les chtis est du côté du public et pas du cinéma. Mais nous ici qui sommes du côté du cinéma, qui admirons d'abord l'audace et le courage de certains cinéastes, qui adorons adorer des films qui plaisent à tous les publics, nous ne pouvons pas nous empêcher d'être du côté du cinéma. Bienvenue chez les chtis ne s'invite pas dans notre coure et étant donné l'ampleur du succès du film, nous trouvons ça vraiment dommage.