"Et tandis que je fais alterner les chants tristes aux gais,
Qu'à présent nul oiseau ne bouge dans ces arbres,
Que tous les flots sur ces rives se taisent,
Et que la moindre brise en sa course s'arrête."
Ainsi la Musique ordonne-t-elle à la nature de faire place à son histoire lors du prologue de l'Orfeo de Monteverdi. Quand on raconte une histoire, on suspend en quelque sorte l'ordre naturel des choses. L'opéra se place donc très rapidement dans le champ de la fiction, qui sera celui de la musique et de la narration. A l'inverse, la nature est le monde de la réalité, et elle s'efface donc pour les besoins du mythe. Cependant, on le voit dans l'histoire d'Orphée, musique et nature ne sont-elles pas intimement liées par les mythes eux-mêmes?
Claudio Monteverdi, Orfeo: favola in musica, "Dal Mio Permesso"
Le paysage est un genre pictural, c'est entendu; mais osons s'éloigner de cette évidence. Je base cela sur mon expérience personnelle: ce qui m'a toujours attiré dans le paysage comme genre, c'est plus l'histoire qui s'y raconte et le travail de l'œil vers la profondeur que le jeu de couleurs et de cadres. Les ambiances m'ont toujours plus touchés que la finesse des textures et des formes. Une des principales conséquences de ce goût est que la qualité artistique intrinsèque de l'œuvre n'entre qu'à peine en considération. Evidemment, un bon tableau aura tendance à produire un effet plus important et plus durable qu'une croûte, mais l'honnêteté simple et un peu naïve d'un exemple lambda du genre s'accorde à mon sens bien avec les objectifs du genre paysage.
L'école dominante étudie le paysage à l'aune du cadre, selon la théorie un peu convenue que "le paysage est la nature selon un point de vue". Or il me semble que plus qu'un point de vue, le paysage est la nature qui se raconte, se livre, et s'offre comme décor à une histoire.
Plus encore, la peinture de paysage cherche à montrer la nature comme mouvement, en utilisant toutes les techniques possibles de profondeur et de mise en scène pour exposer le temps qui passe et les variations sublimes de la nature. Le changement de météorologie, de saison ou même d'état de la civilisation cherchent à s'exprimer dans l'image fixe. Il faut donc représenter le temps dans un langage qui ne le permet à priori pas.
Tout comme pour la peinture, la narration se construit en musique par la profondeur, et le paysage est un splendide point d'accroche pour étudier ce phénomène.