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« Retour à Killybegs », Sorj Chalandon

Par Sijetaisdeboutsurmatete
Sélection du Grand prix des lectrices de ELLE 2012

« Jésus n’aurait rien pu entreprendre sans Judas »

Ce livre est une consolation. Une consolation pour ceux qui ont lu « Mon traître » et qui trouve dans cette suite irrésistible à nouveau l’Irlande du Nord et son histoire si méconnue ; une consolation tout désignée dans cette dédicace « A ceux qui ont aimé un traître » ; une consolation littéraire face à l’intransigeance de la guerre. Dans « Retour à Killybegs », Tyron Meehan, le traître de Sorj Chalandon a été reconnu comme tel, lâché par les Anglais qui n’en avait plus d’utilité après la signature de la trêve et jugé par ses pairs. Ces derniers n’auront de cesse de l’interroger mais ne le condamneront pas si ce n’est au mépris éternel de la nation irlandaise et à un lynchage certain de ceux qui, pendant des dizaines d’années, l’avaient respecté comme un héros.

En homme meurtri, il retourne à ses racines, dans la maison familiale, abandonné depuis longtemps, pour boire et écrire, pour oublier et se souvenir. Il veut répondre à cette question :

Quand a-t-il commencé à trahir ? Quand, jeune garçon à l’école républicaine, il remet en question le parti pris de l’Irlande, naturellement opposé à l’Angleterre pendant la seconde guerre mondiale : « Poser des questions, c’était déjà déposé les armes ». Ou quand, petit Fianna déjà en résistance, il croise à un barrage le regard d’un soldat britannique aussi jeune que lui et au sourire bienveillant, il y voit un enfant, un homme avant un ennemi : « Sous ce casque de guerre, il ne pouvait pas y avoir un homme, mais seulement un barbare. Penser le contraire, c’est faiblir, trahir. »En déroulant sa propre histoire, on se rend bien compte que la complexité de l’âme humaine n’a pas sa place dans la violence politique. A cet égard, la violence et souvent la barbarie dont ont fait preuve les Britanniques sourds à la moindre revendication, ont cristallisé cette haine réciproque.

Cette pensée-là, que la violence politique ne peut comprendre, est peut-être le germe de la trahison de Tyron Meehan. Mais il y a aussi la faiblesse, celle de se taire et de préférer devenir un héros plutôt que d’avoir le courage de la vérité. Encore jeune combattant, Tyron Meehan tue par accident un combattant républicain et décide de ne rien dire et de laisser porter en héros de la République irlandaise. Durant des années, Tyron Meehan vivra avec ce secret et gravira les échelons de l’IRA avant que les Britanniques ne le fassent chanter : s’il ne collabore pas, alors tout le monde saura qu’il n’est pas le héros qu’il prétend être depuis 25 ans. C’est donc bien dans cette faiblesse, ce secret que les Britanniques vont s’engouffrer et faire chanter Tyron Meehan.

Tyron Meehan a trahi par orgueil ; il n’est pas comme ces mères qui entre la nation et leurs fils ont choisi ce dernier et sauver de quelque grève de la faim, dans son dilemme, il n’a été question que de lui. Que peut-on comprendre de la trahison ? Le livre de Sorj Chalandon a l’ambition d’explorer la complexité d’un personnage en retraçant son parcours, en nous livrant comment il tente malgré tout de se justifier, mais jamais le livre lui ne tombe dans la trahison. Comprendre n’est pas pardonné et c’est là la supériorité de la littérature sur la guerre, elle est le lieu de la complexité.

"Retour à Killybegs" Sorj Challandon, Grasset


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