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La souterraine de Christophe Pradeau

Par Sylvie

PREMIER ROMAN


Editions Verdier, 2005
Décidément, les éditions Verdier regorgent de trésors. N'oublions pas que c'est Verdier qui publie Pierre Michon, sûrement le plus grand écrivain contemporain français, étudié de son vivant à l'Université. 
Christophe Pradeau, né en 1971, signe ici un court roman majestueux que l'on pourrait situer justement entre l'oeuvre de Pierre Michon et de Sylvie Germain. Contes, légendes, rêves, souvenirs d'enfance : voici le terreau de cette oeuvre de poète qui, à partir d'un événement anodin, va tisser toute une intrigue sur notre "vie souterraine" : nos peurs, notre inconscient, nos rêves, notre imagination. 
L'intrigue se déroule sur une route près de Lubersac, en Corrèze,lors d'un hiver très froid. Dans cette région forestière et marécageuse, le brouillard envahit facilement la route. Le narrateur jeune garçon, se retrouve en compagnie de ses parents et de sa soeur Laurence sur cette route, en voiture, une nuit de grand froid, de retour de chez la grand-mère. . Pour conjurer la nausée et  la peur de la nuit, ils apprennent les éléments du paysage par coeur et le reconstituent la nuit tombée. 
Mais ce soir là, le brouillard persistant immobilise la voiture. L'occasion pour le narrateur de se rappeler les rituels de sa grande soeur Laurence pour conjurer l'ombre, la nuit. Dans la deuxième partie, La route de l'ambre, nous sommes plongés dans un monde de rêves et de fantasmagories. Le frère se rappelle les histoires que se racontait Laurence pour combattre la nuit, les légendes d'un héros qui avait découvert une cité souterraine merveilleuse.
Ce livre est comme un tableau clair/obscur. D'un côté le réel, le bonheur de la lumière, les souvenirs d'enfance dans la nature. De l'autre, le monde de l'ombre, la nuit, les marécages, les forêts, le brouillard. Entre, les rituels, les histoires, les contes qui maintiennent éveillés, qui assurent la continuité du monde et du temps et qui permettent au monde de l'enfance de conjurer ses peurs. 
Des phrases amples, un style classique et en même temps très métaphorique, érigent ce jeune auteur en poète. Ce poème en prose n'est pas non plus sans faire penser à l'univers de Georges Sand : les croyances liées aux marécages, l'univers forestier etc...
Il serait dommage de voir en ce texte qu'un roman du terroir amélioré ou de simples souvenirs d'enfance. Il s'agit réellement d'un poème en prose jouant sur des jeux d'ombres et de lumières et sur les chemins souterrains de notre âme. 
Du grand art qui redonne ses lettres de noblesse à la littérature française contemporaine.  

Un extrait :

Le moment venait où les récits finissaient par s’épuiser. Le silence se faisait. Quelqu’un confessait sa fatigue. Nous montions nous coucher, en veillant à ne pas faire de bruit pour ne pas risquer de réveiller ceux qui dormaient déjà. À peine Maman avait-elle éteint la lumière et quitté la pièce que Laurence me rejoignait sous les draps et me redisait sa certitude que c’était des ptérodactyles. Elle était persuadée que le passé tout entier était encore là, au fond de l’étang de Cherchaux, depuis les monstres préhistoriques jusqu’à la petite chienne de Mamie, Quinette, morte un soir d’hiver, écrasée par un chauffard. C’était là que l’on allait quand on mourait. Il suffirait d’avoir le cran d’y descendre pour retrouver tous ceux qu’avait emportés depuis le commencement des temps la navette des nuits et des jours. Ils demeurent tous ensemble sur les rives d’une mer souterraine aux eaux lourdes, luminescentes, dont la houle irrite les ténèbres de lueurs, du brasillement, des saccades de ces noctiluques qui venaient danser autour des caravelles, inquiétant l’œil des Grands Découvreurs. Du jour où l’oncle Raymond avait entrepris de nous apprendre à regarder le ciel, le prestige de l’étang de Cherchaux avait passé toute mesure. Rien n’avait retenu l’attention de Laurence comme le Big Crunch incidemment évoqué un soir, alors que nous admirions la Voie lactée et qu’elle nous apparaissait emportée par le mouvement d’un grand départ. Que l’on dût considérer comme probable un reflux de l’univers nous avait coupé le souffle. De comparaison en métaphore, à force de questions et de réponses embarrassées, le Big Crunch était apparu à Laurence comme l’instant où il faudrait qu’enfin le monde se débonde. Il serait aspiré tout entier. Rien n’échapperait : montagnes, mers et forêts, soleils, lunes et constellations ; l’univers, ses milliards de milliards de mondes, viendrait en tournoyant s’engouffrer, en un immense effondrement de formes, dans l’étroit goulot de l’étang de Cherchaux.


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