On revient toujours à la grande solitude des images. Ou est-ce peut-être
que, les images nous parvenant forcément depuis une forme arrêtée, échappée,
silencieuse, nous renvoient insidieusement à notre propre solitude ? On en
est là, croisant des morceaux ramant dans l’épaisseur de la nuit,
émergeant du tumulte, nous percutant net. Claire Tabouret parle à ce sujet de
« visions » : des indices ténus comme ceux auxquels les croyants
raccrochent leur foi et à la faveur desquels ils s’embarquent bientôt tout
entier. Et peut-être qu’image ne
signifie rien d’autre que ce caractère percutant d’un détail dégagé du tout,
qui se dresse. Comme une terre à laquelle raccrocher dans l’immensité de nos
dérives : On s’accroche aux images comme elles nous accrochent, comme
elles s’accrochent en nous. Ainsi peut-on nommer l’île : ce morceau dur
échappé à la coulée du monde et sur lequel on échoue. Qui échoue en nous, loge
sa nuit dans la notre. On aurait tous dans nos ventres ces papiers enfouis, images
conscientes et inconscientes, mutiques ou bavardes, refoulées. Images qui
travaillent. Squames du monde échoués au dedans. Les peintures de claire
Tabouret ont ce quelque chose de crépusculaire qui les renvoit à notre
intériorité ou plus exactement à la zone floue où intérieur et extérieur se
confondent. C’est en cela qu’elles sont romantiques. Les paysages sont un état
d’âme, les ciels chargés, quartiers inondés, lumières bleues sur la ville, les cataractes
sourdes portent quelque chose d’intime, comme ces spectateurs contemplatifs
chez Friedrich font pénétrer en eux l’immensité sublime et terrifiante. Des
images s’accrochant, avec notre culpabilité aussi sans doute, notre trouble vis
à vis de ce qui se passe, se déploient dans des formats monumentaux dans
lesquels on est pris ou réduisent inversement à proportion d’un détail :
c’est un mouvement là encore, d’un extrême à l’autre. Peindre ces images serait
questionner ce qui en elles nous parvient. Ce qui, par elles, se raconte en
nous du monde.Claire Tabouret, l'île, galerie Isabelle Gounod jusqu'au 18 février 2012. Image : île de la jeunesse, 2009.