Janvier 2012
Un changement de gouvernement inattendu : après les promesses électorales progressistes, on constate un virage vers un libéralisme « pragmatique »
par Mariella Villasante Cervello
Anthropologue (EHESS), Chercheur associé à l'Institut de démocratie et droits humains de la Pontificia Universidad Católica del Perú (IDEHPUCP)
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Après seulement cinq mois d'installation du nouveau gouvernement, le Premier Ministre, Salomón Lerner Ghitis, a présenté sa démission le 9 décembre 2011 en raison de désaccords flagrants avec le Président Humala dans le règlement des conflits sociaux, dont celui qui était en cours depuis plusieurs mois dans la région de Cajamarca. Dans sa lettre de démission, Lerner écrit : « La ligne directive [du gouvernement] a été celle du dialogue et de la recherche du consensus, en évitant la confrontation entre Péruviens, et en réaffirmant [notre] vocation démocratique » ; cependant « le début d'une nouvelle étape de travail nécessite des ajustements dans la conduite générale du gouvernement, dans la stratégie de l'action gouvernementale et dans l'exécution d'un agenda qui puisse correspondre aux lignes pragmatiques du gouvernement. Je vous présente ma démission irrévocable de la charge de Président du Conseil des Ministres dans le seul but de vous laisser votre totale liberté pour réaliser les ajustements mentionnés. » L'ensemble des membres du gouvernement, ainsi que les conseillers du Premier ministre — dont María Cecilia Israel, Sinesio López et Isabel Coral —, ont présenté leur démission, comme il est habituel dans ces cas de crise politique. Le nouveau gouvernement est présidé désormais par l'ancien ministre de l'Intérieur, le lieutenant-colonel à la retraite Oscar Valdés, et il se compose majoritairement de personnalités situées à droite de la scène politique péruvienne. Après les promesses électorales et le soutien massif des citoyens de gauche et du centre, le gouvernement de Humala a amorcé un virage inattendu vers les valeurs libérales qu'il avait tant critiquées pendant sa campagne. Cette situation a été précipitée par le conflit social radicalisé dans la région de Cajamarca, où la population s'oppose à la réalisation d'un grand projet d'exploitation minière d'or et de cuivre qui met en danger leurs ressources hydriques à long terme, et qui n'a aucune retombée positive en termes de développement durable.
De toute évidence, l'ancien Premier Ministre Lerner voulait parvenir à un arrangement consensuel avec les dirigeants du mouvement, alors que le Président Humala avait opté pour une réponse rapide au conflit. Ainsi, le 5 décembre, alors que Lerner était en train de mener les négociations, Humala déclara l'état d'urgence dans plusieurs provinces de Cajamarca (Cajamarca, Celendendín, Hualgayoc et Contumazá). Il envoya l'Armée pour assurer l'ordre social, et présenta un ultimatum aux dirigeants : cesser leur grève illimitée comme préalable pour la reprise des négociations. Les principaux dirigeants du mouvement furent arrêtés pendant une dizaine d'heures le 6 décembre, et finalement ils décidèrent de cesser leur grève le 15 décembre. L'état d'urgence fut levé dès le lendemain. Cette mesure n'a pas manqué d'être fortement critiquée tant sur le plan national qu'international [voir http://servindi.org/actualidad/55547#more-55547].
Le départ de Salomón Lerner Guitis remet en question la réalisation des programmes politiques proposés avant et après l'élection présidentielle et il marque une prise de distance avec la politique de concertation qu'il avait promue avec succès parmi les divers secteurs de la gauche, du centre et de la droite démocratique. Certes, les conflits sociaux liés aux mines ne datent pas de l'année dernière, ils se sont simplement renforcés dans un contexte de crise internationale et de pression des entreprises minières transnationales et nationales qui prétendent imposer leurs conditions d'exploitation sans tenir compte des problèmes sociaux, écologiques et économiques locaux. Face à ce nouveau scénario, le Président Humala a choisi de laisser de côté la stratégie de concertation et il répond de manière autoritaire en s'entourant d'un cabinet entièrement disposé à accepter ses positions et à les appliquer. Le Premier Ministre Valdés vient de faire, le 7 janvier, des déclarations surprenantes et graves sur son « pragmatisme » dont l'origine viendrait du premier gouvernement de Fujimori, qu'il jugea « bon parce qu'il y eut beaucoup de pragmatisme et de sens commun ». Le danger d'une dérive autoritaire, militariste, anti-démocratique et d'une concentration du pouvoir politique aux mains de l'exécutif apparaît à l'horizon de la scène politique péruvienne pour les cinq années à venir.
Le nouveau gouvernement dirigé par un ex-militaire, Oscar Valdés
Avant de prendre la direction du nouveau gouvernement, Oscar Valdés Dancouart était Ministre de l'intérieur, il s'agit d'une personnalité connue de longue date par le Président Humala car il avait été son instructeur à l'École militaire de Chorrillos, au début des années 1970. Plus tard ils se rencontrèrent à Tacna, où Valdés avait installé sa famille [il avait épousé Ana De Coll, fille d'un entrepreneur de la région]. En 1991, Valdés se présenta au concours militaire pour obtenir le grade de Colonel, mais il ne l'obtint pas — c'était l'époque où Montesinos désignait les officiers de l'Armée et choisissait des hommes susceptibles d'être facilement manipulés. Valdés fit valoir ses droits à la retraite et s'installa comme entrepreneur à Tacna, où il administra les trois entreprises de son beau-père [Molinera Tacna, Minera de Coll et Fide Tacna]. Depuis cinq ans, il avait repris contact avec Humala dans le cadre des élections de 2006 ; à cette occasion il soutint la candidature de Dora Quihue, actuelle Gouverneure de Tacna, à la Mairie de la ville, sur la liste Gana Pérou. [La República du 11 et du 12 décembre 2011].
La démission de Salomón Lerner a conduit à un profond remaniement gouvernemental ; dix ministres ont été changés et huit confirmés dans leurs postes). Les nouveaux ministres sont : Luis Ginocchio (Agriculture), Luis Peirano (Culture), Manuel Pulgar Vidal (Ecologie), Jorge Merino Tafur (Energie et Mines), Ana Jara (Condition féminine), Juan José Jimenez (Justice), Alberto Otárola (Défense), Jorge Urquizo (Production), José Villena (Travail), et Daniel Lozada Casapia (Intérieur). Conservent leurs anciens postes les ministres suivants : Patricia Salas (Éducation), Luis Miguel Castilla (Économie), René Cornejo (Habitation), Carolina Trivelli (Développement et inclusion social), Alberto Tejada (Santé), Carlos Paredes (Transports et communications), Luis Silva Martinot (Commerce extérieur et tourisme), et enfin Rafael Roncagliolo (Affaires étrangères).
La plupart des analystes s'accordent pour affirmer que la stratégie économique choisie dès le départ se réaffirme avec le maintien de Castilla au poste de Ministre de l'économie, et que de manière générale les nouveaux ministres sont censés soutenir de manière plus cohérente la ligne politique forgée par le Président Humala. En effet, on attribue la sortie de certains ministres à leurs prises de position divergeant avec celles promues par l'exécutif [Caillaux de l'Agriculture, Giesecke de l'Écologie, Descalzi de l'Énergie et mines, Susana Baca de la Culture, Eguiguren de la Justice, et Daniel Mora de la Défense].
Cela étant posé, la nouvelle ministre de la condition féminine a fait récemment des déclarations contraires à la politique nationale ; elle a déclaré le 20 décembre dans un programme de télévision qu'elle rejetait l'utilisation de la « pilule du lendemain » et que de manière générale elle était opposé au contrôle de la natalité avec des méthodes « non naturelles », ainsi qu'à l'interruption de grossesse, y compris pour des raisons médicales. Des critiques ouvertes lui ont été opposées non seulement par la Première dame Nadine Heredia, mais aussi par les associations féministes qui défendent l'utilisation des moyens contraceptifs et le droit à l'interruption des grossesses non désirées. Depuis, lors de son message à la Nation du 31 décembre, le Président Humala a déclaré que Ana Jara avait le droit d'exprimer ses « positions personnelles sur la contraception ou les traitements d'IVG, mais que cela ne faisait pas partie de la politique nationale qui soutient l'utilisation de la pilule du lendemain et tente de la mettre à la portée de toutes les femmes, sans aucune discrimination ». Certes, le Pérou ne se situe pas encore dans le cadre de la généralisation des traitements d'IVG, et le gouvernement ne s'est pas encore prononcé sur cette question délicate qui soulève régulièrement des tollés au sein de la hiérarchie de l'Église péruvienne ; il reste que la ministre Jara s'est permis d'exprimer une opinion personnelle qui va à l'encontre d'une politique nationale en cours, et contredit la modernité du discours officiel sur la condition des femmes au Pérou.
Critiques et baisse de la cote de popularité du Président Humala
Le changement de gouvernement n'a pas tardé à avoir des effets ; la cote de popularité du Président Humala est descendue de 65% en octobre à 47% en décembre. La perte de popularité est plus importante dans les régions que dans la capitale. On considère que le mauvais traitement du conflit de Cajamarca est à l'origine de cette perte de confiance après seulement six mois de gouvernement. Contrairement à ce qu'on pouvait avancer il y a quelques mois, et à l'instar de ses prédécesseurs, Humala n'est plus et ne sera probablement jamais un « président populaire ». Il est évident que ses positions autoritaires ont déçu les électeurs qui pariaient sur un grand changement dans le fonctionnement de l'État péruvien ; il a déçu également les organisations sociales qui avaient salué son arrivée au pouvoir, notamment la Confédération nationale agraire (CNA), la Confédération générale des travailleurs du Pérou (CGTP) et l'Association interethnique amazonienne (AIDESEP) [voir http://servindi.org/actualidad/55827, http://servindi.org/actualidad/55975]. C'est le cas aussi des organismes de défense des droits humains (dont APRODEH et IDL) qui, comme autrefois, ont été attaqués avec des arguments de propagande et de manipulation des faits au cours de la guerre interne établis par la Commission de la vérité et la réconciliation (CVR). Dans ce contexte, on ne s'étonnera pas de compter parmi les premiers à accorder leur soutien au nouveau gouvernement les groupes fujimoristes, l'APRA et la Confédération nationale des entrepreneurs (CONFIEP). [Voir : http://www.idl.org.pe/notihome/notihome01.php ?noti=247].
La confiance au nouveau gouvernement a été votée le 5 janvier. Le discours du Premier ministre aborda plusieurs points déjà explicités par le Président Humala en juillet, mais sans apporter de propositions claires sur le problème des mines, ni sur le thème de la Loi de Consultation préalable [voir : http://www.larepublica.pe/05-01-2012/lea-el-mensaje-del-premier-valdes-en-el-congreso-de-la-republica]. Le gouvernement semble vouloir répondre à deux questions centrales dans la politique nationale : l'ordre public et les conflits sociaux ; cependant, comme le suggère Diego García Sayán [ancien Ministre de justice et actuel Président de la Cour interaméricaine des droits de l'Homme], les conflits ne vont pas diminuer si le gouvernement n'affronte pas leurs causes réelles et si le travail de prévention n'est pas effectué correctement. Depuis cinq ans, plus de 50% des conflits sociaux sont associés aux mines et cela devrait s'amplifier compte tenu des politiques actuelles de développement des activités d'extraction. Du reste, l'année 2011 a connu le plus grand investissement dans les mines (plus de 4000 millions de dollars). Cela augmente les attentes des populations rurales et leurs inquiétudes d'un point de vue écologique et social. L'État, largement absent jusqu'à présent, devra assumer ses responsabilités et changer les manières de traiter les conflits sociaux [voir son article : http://www.larepublica.pe/columnistas/atando-cabos/conflictos-algo-debe-cambiar-16-12-2011].
Certes, le Premier Ministre Valdés a annoncé la création d'un Fonds de garantie écologique destiné à surmonter les éventuels problèmes liés à l'exploitation minière, et celle d'un Fonds d'inclusion sociale affecté à la mise en place de projets locaux en éducation, d'accès à l'eau potable, en santé, en électricité, etc. Le gouvernement Valdés ne prévoit pourtant pas l'établissement de règles organisant le travail en entreprise et la manière d'encadrer à la fois le respect de l'environnement — ce qui éviterait toutes sortes de « problèmes » devant être « résolus » par le Fonds de garantie — et les besoins en développement des populations locales. On ne prévoit pas non plus la création de zones écologiques distinguant sur l'ensemble du territoire national les régions protégées de celles où l'exploitation encadrée par l'État peut être développée dans le respect des populations. Il reste donc beaucoup à faire pour renforcer, voire faire exister, le rôle de l'État en matière d'exploitation des ressources naturelles, pour ne parler que de ce thème.
La résistance des populations de Cajamarca face à l'expansion des mines
En 1980, un géologue français, Pierre Maruejol, du Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM), découvrit de l'or et du cuivre dans la région de Cajamarca et obtint l'autorisation de l'exploiter en association avec l'entreprise nord-américaine basée à Denver Newmont Mining Corporation et l'entreprise péruvienne Compañía de Minas Buenaventura. Pendant une dizaine d'années, ces groupes réunis sous la bannière de la nouvelle entreprise Minera Yanacocha ont acheté des terres à des prix dérisoires, et ont parfois obtenu des expropriations pures et simples. C'est en 1993 que le premier lingot d'or fut présenté par Fujimori avant que, en 1994, l'entreprise française ne se retire à la suite de conflits judiciaires avec l'État péruvien. Minera Yanacocha continua ses activités avec un nouvel associé, la Corporación financiera internacional, dépendant de la Banque mondiale, qui acquit 5% des actions tandis que Newmont Mining conservait la majorité des actions (51,35%) contre 43,65% à la Compañia de Minas Buenaventura. Voilà une chronologie des faits qui aide à mieux comprendre la situation de crise sociale à Cajamarca.
[Voir Rafael Bolívar Grimaldos, http://www.monografias.com/trabajos84/cronologia-conflictos-minera-yanacocha/cronologia-conflictos-minera-yanacocha.shtml].
En 1999, le Président du Patronato cultural de Cajamarca, Reinhard Seifert, dénonça la contamination de l'eau de la ville devant le Conseil municipal en réclamant une enquête approfondie. En janvier 2000, le procureur local clôtura l'enquête sans se référer au moindre rapport. En juin 2000, un camion perdit plus de 11 litres de mercure utilisé dans la production de l'or, sur une route qui conduit aux zones d'extraction. Plus de mille familles furent intoxiquées et des milliers de truites retrouvées mortes dans les rivières du Porcón, Puruay, Llaucano et Jequetepeque. Minera Yanacocha se borna à exercer un meilleur contrôle du transport et à réparer la route de Choropampa.
En 2001, des analyses effectuées par le Ministère de la pêche constatèrent la présence des métaux lourds (aluminium, arsenic, fer, zinc, cyanure) dans les rivières de plusieurs fleuves du bassin du Jequetepeque ; les milliers de truites découvertes avaient été contaminées par ces métaux. Le 18 janvier 2001, le journal New York Times publia les déclarations de l'ancien vice-président de la Newmont affirmant qu'ils avaient appris en 2000 que la mine de Yanacocha n'opérait pas suivant les standards écologiques exigés aux États-Unis. Le 22 mai 2002, un spécialiste du Center for science, Steve Blodgett, effectua une inspection à Yanacocha et constata : (1) que des acides en provenance de la mine vont vers le bassin de Cuchuro à La Quinua de manière non contrôlée ; (2) qu'il existe des traces de ces acides dans les fleuves Porcón et Río Grande ; (3) que l'élevage est largement affectée par l'eau de ces sources.
Le 20 mai 2003, un document signé par l'ingénieur Peter Orams Casinelli, administrateur des relations communautaires de l'entreprise Yanacocha, reconnaît l'impact négatif généré par la qualité de l'eau dans la rivière Cushuro.
Le 18 juin 2004, on assista à de violentes manifestations des paysans directement touchées par les activités d'extraction de Yanacocha menaçant leur accès à l'eau potable et pour l'agriculture. L'entreprise fut obligée d'annuler ses plans d'exploration dans la zone du Cerro Quillish, dont l'exploitation aurait eu des conséquences désastreuses pour plus de 15.000 paysans de la zone et pour les 120.000 habitants de la ville de Cajamarca. Depuis cette année les manifestations n'ont pas cessé. Le 28 août 2006, les habitants de la zone bloquèrent une route menant à Carachugo, où l'entreprise Yanacocha comptait continuer ses explorations.
Les manifestations ont repris avec force en 2010, la défense des ressources naturelles, est désormais assumée par le Président de la Région de Cajamarca, Gregorio Santos, et par toutes les instances collectives, dont le Front de défense des intérêts de Cajamarca dirigé par Ydelso Fernandez, les Rondas campesinas [groupes de défense civile qui ont joué un rôle central dans lutte anti-terroriste pendant la guerre interne], les organisations paysannes et les syndicats d'étudiants, de l'éducation nationale et des professions libérales. La situation de tension sociale ne date donc pas d'hier, elle est née pendant le gouvernement de Belaunde, a continué pendant les gouvernements de García et de Toledo, et elle a fini par se radicaliser après la prise du pouvoir de Humala. Précisons encore que les dénonciations contre l'entreprise Yanacocha, en particulier son Projet Conga d'exploitation d'or et de cuivre situé à 24 km au nord-est de la mine d'or de Yanacocha, ont été régulièrement passées sous silence par les gouvernements successifs. Après 19 ans de présence de l'entreprise Yanacocha, le visage de Cajamarca et de ses provinces s'est transformé plutôt négativement : près de 40% de la vallée a disparu autour de la ville de Cajamarca qui dans le même temps a enregistré une croissance démographique importante (90.000 habitants en 1993 et 250.000 en 2011), sans que les services publics suivent ce rythme de croissance et alors que 26% de la ville ne dispose pas d'eau potable. Deux lagunes qui alimentaient la ville en eau ont disparu comme résultat de l'exploitation de l'or à ciel ouvert. Cela dit, la productivité de Yanacocha est exemplaire, de 81.497 onces d'or en 1993, la production est passée à 1.471.620 onces en 2010 alors que le district où elle est installée, La Cañada, reste l'un des plus pauvres de la région, avec 38% de malnutrition selon le recensement de 2007 (La República du 3 janvier 2012). Si Yanacocha a fourni environ 10.000 emplois, les conditions de travail sont mauvaises, avec des journées d'environ 12 heures, des menaces en cas de plaintes, et des licenciements arbitraires. Bref, cette entreprise n'a apporté aucun service d'envergure à Cajamarca, ses activités contaminent l'eau des lagunes et des terres agraires et d'élevage, et elle se contente de maintenir un discours de « respect des ressources naturelles et de promotion du développement durable » qui ne correspond pas à la réalité. [Voir www.yanacocha.com.pe, voir aussi « Mitos y verdades sobre Conga » du collectif présidé par Marco Arana : http://servindi.org/actualidad/56791].
Dernière phase du conflit
Pour revenir à la chronique politique, après la déclaration d'état d'urgence à Cajamarca, le 5 décembre, les grévistes ont cessé leurs actions pour reprendre les négociations, et l'état d'urgence a été levé le 16 décembre [voir http://servindi.org/actualidad/55932]. Cependant, les positions arrogantes et autoritaires du Premier Ministre qui ne cherchait qu'à faire accepter la poursuite du Projet Conga paralysé depuis plusieurs mois, ont entraîné dans une impasse. L'ex-ministre de l'écologie, Ricardo Giesecke, a déclaré que la situation actuelle résulte des largesses du gouvernement de García qui a tout autorisé à l'entreprise Yanacocha, notamment le Projet Conga, alors qu'un tel projet serait inacceptable dans n'importe quel pays européen à cause des graves conséquences écologiques qu'il entraîne [voir http://servindi.org/actualidad/56363#more-56363].
Le 28 décembre 2011, le Président régional de Cajamarca, Gregorio Santos, a émis l'ordonnance municipale n° 036 qui dispose la non-viabilité du Projet Conga et déclare intangibles toutes les lagunes de la région. Mais l'ordonnance a été aussitôt remise en question car les autorités gouvernementales la jugent « non-constitutionnelle ». Le 3 janvier Gregorio Santos a organisé une marche pacifique pour la non-viabilité du Projet Conga
L'Observatoire des conflits miniers au Pérou a présenté son IXe Rapport au début janvier, en précisant que le Président Humala était revenu sur ses promesses de campagne relatives au respect des droits des communautés locales à disposer des ressources minières de leurs territoires, au profit de la continuité du modèle d'extraction pratiqué au Pérou depuis de siècles. Ce faisant, Humala suit une logique identique à celle de son prédécesseur García, polarisant les conflits sociaux et les réduisant à des situations de manipulation des populations par des « groupes extrémistes ». Or, au cours de la dernière décennie, les concessions minières ont été multipliées par deux et les gouvernements les ont attribuées sans tenir compte d'une planification territoriale ni de la conservation des écosystèmes fragiles. Ainsi, le Projet Conga prétend remplacer quatre lagunes par des réservoirs, alors même que ces lagunes alimentent les fleuves et que leur élimination affectera le système hydrologique de toute la région. D'autres projets présentent des problèmes similaires (Tía María, Río Blanco à Arequipa). Le rapport se termine par une demande de zonage écologique et économique qui ordonnerait le territoire national pour déterminer l'impact social et écologique des activités d'extraction (La República du 6 janvier 2012, voir http://servindi.org/actualidad/55522#more-55522).
Une « Marche nationale pour l'eau » a été prévue le 1er février 2012 ; elle doit partir de Cajamarca pour arriver le 10 février à Lima, où les autorités régionales présenteront une pétition au Congrès déclarant l'eau comme un bien intangible, un droit humain libre de toute appropriation privée [voir http://servindi.org/actualidad/55727#more-55727].
Il est évident qu'un dialogue véritable devra être mis en place entre les autorités et les représentants de la population de Cajamarca. Comme le suggère García Sayán, l'investissement dans les mines ne peut s'effectuer dans un environnement marqué par la misère ; l'État péruvien doit être enfin responsable de ces situations et non seulement exiger des impôts, mais aussi dicter des normes claires sur les conditions d'exploitation minière propres à assurer la protection écologique et le bénéfice des populations [voir son article : http://www.larepublica.pe/columnistas/atando-cabos/cuatro-lecciones-de-conga-09-12-2011].
La continuité de la politique des concessions pour l'exploitation des ressources naturelles
Cette responsabilisation de l'État péruvien est d'autant plus urgente que le nouveau gouvernement a réaffirmé sa décision d'élargir l'exploitation des ressources naturelles, rendue impossible pendant les vingt années de guerre interne. Ainsi, le Président Humala était récemment en visite officielle à Caracas et il vient de signer avec Hugo Chavez neuf accords économiques « stratégiques », dont l'exploitation par Pétroperú d'un bloc dans la Faja petrolífera del Orinoco, la réserve la plus importante au monde (La República du 8 janvier 2012).
Par ailleurs, Petroperú a signé un accord avec l'entreprise brésilienne Braskem pour construire une usine pétrochimique dans la ville de Ilo, dans le sud du pays ; cette construction dépend néanmoins de la réalisation du Gasoducto Andino del Sur, qui mènera le gaz naturel, indispensable pour développer l'industrie pétrochimique. Des compagnies vénézuéliennes et coréennes sont aussi intéressées à participer à cette nouvelle voie d'industrialisation au Pérou qui envisage la vente de gaz au Chili, à la Bolivie, à l'Équateur et à la Colombie (La República du 8 janvier 2012). Sur le même registre, le Ministre de l'économie a annoncé qu'en 2012 la croissance attendue serait de 5,5%, taux optimiste qui se fonde sur l'application stricte de la politique fiscale, les taxes demandées aux entreprises minières, et une croissance de l'investissement public, le reste (55%) devant venir du secteur privé. Les concessions seront plus importantes que dans les années précédentes, dans le but affiché d'attirer les investissements privés nationaux et étrangers. Cependant, ce scénario optimiste pourrait s'assombrir et la croissance être inférieure (entre 3% et 4%) si la crise internationale s'approfondit ; ce qui semble plus proche de la réalité des choses. On voit bien que le plan économique et politique s'oriente vers un modèle libéral assez proche de celui qui a prévalu depuis 1990. Cependant, le nouveau gouvernement ne semble pas se rendre compte que la libéralisation en vogue dans toute l'Amérique Latine, fondée notamment sur l'exportation des ressources minières, s'accompagne partout de résistances des communautés locales et régionales qui ne veulent plus accepter de subir les impacts négatifs d'une économie libérale privilégiant le bénéfice au détriment de l'écologie et des besoins humains. La situation est particulièrement grave en Amérique du Sud qui concentre 26% des ressources hydriques de la planète — dont 75% au Pérou — et se trouve directement concernée par le réchauffement climatique. [Voir http://servindi.org/actualidad/52982].
Le Brésil est peut-être l'exemple paradigmatique des dérives de l'exploitation sauvage des ressources naturelles et des conflits sociaux permanents face aux compagnies minières et aux installations hydroélectriques dont la construction des barrages implique le déplacement de milliers de personnes, la destruction des villages et des champs de culture. Si ce modèle est adopté par le nouvel gouvernement péruvien on doit s'attendre à des retombées semblables.
[1] mariellavillasantecervello@gmail.com->mariellavillasantecervello@gmail.com