« Un matin de 1989, j’arrive dans les bureaux d’ACIUS à Cupertino, en Californie, et, comme d’habitude, je vais dire bonjour à Guy. Nous avions créé ensemble en avril 1987 cette filiale américaine de la société ACI que j’avais fondée un peu plus tôt à Paris. ACI avait publié la première base de données relationnelle graphique sur Macintosh, 4ième Dimension. Guy était le président d’ACIUS.
Ce jour-là, la conversation ne s’engagea pas sur les affaires du jour comme d’habitude. Guy avait autre chose en tête :
- Comment écrit-on un livre ?, m’a-t-il demandé.
- On commence page 1 et on termine page 200 ou 250, ai-je répondu.
- Vraiment ? Si c’était si facile, tout le monde en écrirait…
- Mais tout le monde n’a pas quelque chose à dire.
- Est-ce que tu crois que j’ai quelque chose à dire?
- Oui.
Il a alors affiché un immense sourire et m’a dit :
- Je voudrais écrire un livre.
- Parfait! Vas-y.
Je ne crois pas que Guy ait jamais eu peur que je manifeste quelle que réserve que ce soit sur sa capacité à écrire, mais sans doute se devait-il, au moins pour la forme, de me signaler que cela allait lui prendre du temps que par ailleurs il aurait consacré à la société. Je ne me souviens plus des détails, mais je me vois bien lui faire remarquer que s’il n’écrivait pas ce livre à cause de son travail dans l’entreprise, il aurait des regrets, y penserait toujours et qu’il ne serait donc pas productif. Il m’a demandé si j’avais suivi des « creative writing classes » – des ateliers d’écriture – pour rédiger les miens. Je ne comprenais même pas de quoi il parlait, ce qui l’a amusé.
- Et comment je vais savoir si c’est bien? m’a-t-il demandé.
- C’est comme pour tous les produits… Ou bien les gens en ont envie. Ou pas. Tu le sauras si les gens le lisent.
Après avoir écrit une soixantaine de pages, il m’a montré son texte pour recueillir mon avis. Je n’ai pas le souvenir d’avoir fait beaucoup de remarques. J’avais trouvé cela bien, tout simplement. Il s’agissait des premières feuilles du Macintosh Way, « Le Style Macintosh. »
Vingt-cinq ans plus tard, me voici en train de relire avec plaisir ce livre, dont les longs extraits que voici ont été traduits par ma belle-soeur Brigitte Delphis (qui travaillait aussi à ACI à l’époque de son écriture). J’y retrouve vraiment le Guy Kawasaki que j’avais rencontré en 1985 et celui que je connais toujours aujourd’hui.
Je ne sais plus qui a dit que les bons auteurs n’écrivent jamais qu’un seul livre, mais en un sens, c’est vrai. Le Macintosh Way contient en germe une grande partie des idées que Guy a développées au cours de ses ouvrages suivants, dont les plus récents que j’ai traduits en français: L’art de se lancer, La réalité de l’entrepreneuriat ou L’art de l’enchantement (aux Editions Diateino). Je veux bien admettre qu’il y a au constat de l’unité d’inspiration d’un auteur, un facteur rétrospectif et qu’il faut avoir lu les livres ultérieurs pour percevoir la pérennité des intuitions et des thèmes du premier ouvrage d’un auteur. Jugez-en vous-mêmes et dites-moi si je me trompe quand je pense que Le Style Macintosh est du pur Kawasaki.
Pour les fans d’Apple, c’est un retour aux sources et pour les fans d’informatique, un retour aux sources de l’informatique personnelle, une expérience qui est elle-même à l’origine d’une attention au confort de l’utilisateur que nous attendons tous désormais. Quelques semaines après la mort de Steve Jobs, ce livre est évidemment d’une incroyable actualité, car il peut se lire à la fois comme un témoignage historique et comme un manifeste quasiment atemporel de l’esprit entrepreneurial.
Comme un témoignage historique : Même si le but de Guy n’est pas de faire la chronique de sa vie dans la division Macintosh où il avait été recruté en 1983 par son copain de fac, Mike Boich, son activité dans le groupe Macintosh est présente à peu près à toutes les pages, par des anecdotes ou en toile de fond. Bien que nous ayons supprimé un certain nombre de références à des informations que tout le monde pouvait encore comprendre aux début des années 1990, de multiples détails rappellent l’extraordinaire ébullition juvénile dans la Silicon Valley des années quatre-vingt, où le génie n’attendait pas, non plus que de nos jours, le nombre des années, où le sentiment que les choses changeaient à toute vitesse et poussaient des personnages devenus historiques à se dépasser constamment – au point que souvent et vingt ans plus tard, ils avaient encore l’énergie d’imaginer le futur et de changer le monde. C’était le cas de Steve Jobs, naturellement, mais c’est aussi le cas de Bill Gates, qui de programmeur génial est aussi devenu l’un des plus fascinants philanthropes du monde contemporain.
Lorsque Guy m’a dit en 1989 qu’il intitulerait son livre The Macintosh Way, j’ai trouvé cela bien, mais il me semblait que le titre pouvait dater avec le temps. J’en comprenais la raison, naturellement, puisque pour Guy, le Macintosh était le point de départ de sa vie professionnelle, comme il était aussi celui de ma vie comme chef d’entreprise. A la même époque, cependant, le monde Apple avait changé, et aussi convaincus que nous fussions de la puissance et de la beauté du Mac, nous avions déjà le sentiment d’un paradis perdu. Les stars qui avaient créé l’aura Macintosh, Steve Jobs en tête, avaient presque toutes fui Apple et les sujets de conversation dans les cocktails portaient au moins autant sur les continuelles réorganisations internes que sur les mises à jour du système et l’apparition de nouvelles fonctionnalités. En fait, beaucoup d’entre nous pensions que l’esprit Macintosh était désormais à l’extérieur d’Apple. Nous en étions fiers, c’est évident, mais j’avais quand même le sentiment qu’il y avait en cette ferveur un relent de la nostalgie de l’ancien combattant, même s’il était aussi clair que le style Macintosh avait façonné notre approche entrepreneuriale.
Avec le recul du temps, le titre The Macintosh Way est beaucoup plus puissant qu’on pouvait le croire en 1989. The Macintosh Way n’est pas simplement une collection de recettes apprises dans le monde Macintosh. D’ailleurs, comme le rappelle Kawasaki dans tous ses livres, et celui-ci notamment, l’expérience peut-être aussi un « guide trompeur »: « Méfiez-vous de l’expérience [..]. Il vaut mieux travailler avec un candidat inexpérimenté et enthousiaste qu’avec un vieux pro qui va seulement transférer ses vieilles habitudes vers le nouveau produit et la nouvelle société ». Le Style Macintosh est plutôt une expérience existentielle, un manifeste de l’entrepreneur, qui a l’art et le courage de croire à sa vision et de faire ce qu’il faut pour la mettre en œuvre dans le monde réel afin de le changer – le rendre meilleur en offrant aux gens quelque chose dont ils ne savaient pas qu’ils avaient besoin.
En 1989, alors que la Valley regardait avec scepticisme l’évolution de NeXT et n’avait pas encore pris la mesure du changement radical que Steve Jobs pouvait opérer dans l’industrie du cinéma via Pixar, Kawasasi résumait la signification symbolique de Steve Jobs pour tout entrepreneur: « Steve a défié le statu quo et déclenché un mouvement qui s’est amplifié comme personne n’aurait pu l’imaginer. Au départ, le Macintosh était un ordinateur. Il est devenu un culte. Puis un phénomène. Et enfin un standard. Maintenant, c’est une référence dans la manière de faire du business. Le développement et le lancement du Macintosh fournissent une quantité d’exemples sur l’art de faire quelque chose de bien et de bien le faire. »
Avec le temps, l’annonce du départ de Steve Jobs d’Apple, puis de sa mort, le Macintosh est devenu une métaphore pour exprimer l’audace entrepreneuriale et les moyens de la mener à bien. C’est ce que raconte Le Style Macintosh et que Kawasaki exprime de nouveau à la fin de sa préface de L’Art de l’Enchantement : « La lecture de ce livre vous communique l’expérience que j’ai acquise en tant qu’évangéliste, entrepreneur et capital-risqueur et vous aide à faire de votre « Macintosh » un succès ».
Bonne lecture!
Marylène Delbourg-Delphis
Menlo Park, Novembre 2011
Le Style Macintosh, extraits du livre de Guy Kawasaki, traduits par Brigitte Delphis.
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