Un peu comme homo candidatus, le Claude Allègre est un être qui alterne phases d’hibernation et phases d’activités intenses, au moment des élections présidentielles, ou quand il en arrive au point où l’anxiété de ne plus entendre parler de lui devient insupportable. Il est alors capable de déployer une énergie prodigieuse pour attirer les regards : et, plus prodigieux encore, il se trouve toujours quelques médias pour accorder une attention bienveillante au bruit qu’il fait avec sa bouche, à l’ombre des ses broussailleux sourcils.
Le cycle d’activité sismique, si ce n’est volcanique, du Claude Allègre a pu longtemps entretenir l’hypothèse de son appartenance au règne minéral. Mais il ne s’agissait en fait que d’une confusion avec son champ de charlata… pardon, d’expertise universitaire, la géochimie. Sans compter que sa souplesse et sa capacité au retournement de veste excèdent largement les capacités observées chez les minerais et les roches les plus malléables. La question de sa place dans la nature, et dans la chaîne de l’évolution, reste donc entièrement posée : certains biologistes ont vu en lui un prédateur naturel (mais plus bruyant qu’efficace) du mammouth laineux ; d’autres ont tenté de le classifier comme un mystérieux chaînon manquant entre Eric Besson et les frères Bogdanov. Mais, étant donné qu’on ne lui connaît ni frère jumeau, ni pratique aiguisée de Twitter, c’est une hypothèse qu’il faut ranger au rayon des théories farfelues et de la grossière vulgarisation scientifique – domaine bien connu, pour le coup, par le Claude Allègre.
Cette difficulté à étiqueter le Claude Allègre frappe tout particulièrement les journalistes. Saisis d’une étrange confusion mentale quand ils sont confrontés à lui, ils persistent à le décrire comme ce qu’il n’est pas, et surtout quand il vient cogner ce qu’il prétend être. Par exemple : « Claude Allègre, homme de gauche et socialiste qui vient fustiger le PS », « Claude Allègre, grand scientifique qui vient accuser d’imposture la communauté scientifique et ses mises en garde sur le réchauffement climatique ». Cela sans jamais rappeler que l’appartenance du Claude Allègre à ces deux communautés – socialiste et savante – est une histoire aussi ancienne que les âges géologiques les plus reculés, et tout aussi révolue. On en viendrait presque à penser, parfois, que le Claude Allègre est une création journalistique, élaborée dans le secret des éprouvettes d’un docteur Elkabbachstein, Aphatov ou Barbierev, pour résoudre l’équation infernale des matinales radiophoniques et des journaux : comment trouver, chaque jour, chaque semaine, un nouveau clash, un nouveau papier à sensation pour relancer les ventes ou doper l’audience ?
Il faut reconnaître que dans ce struggle for life à l’ère du tweet, le Claude Allègre est doté de quelques avantages évolutifs non négligeables. Peu de créatures (c’est un euphémisme) présentent une aptitude aussi prononcée au persiflage contre leurs anciens amis, et à l’attaque ad hominem. Peu de spécimens peuvent se targuer d’écrire des livres entiers en hommage à Nicolas Sarkozy, sur un ton que même les fidèles les plus inconditionnels du président sortant renâclent à adopter. Encore moins ont été vus, le regard, la voix et le corps fuyants comme ceux d’un traître d’opérette, en train de se faufiler hors du QG du camp adverse durant une élection présidentielle.
Il est au bout du compte regrettable que le Claude Allègre ne se soit pas encore acclimaté aux réseaux sociaux : il pourrait y faire œuvre charitable, en rendant sympathique, par contraste, la @Nadine__Morano.
Romain Pigenel
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