« Faire le clown pour réussir à faire l’homme »
« Certains témoins mentionnent qu'aux derniers jours du procès de Maurice Papon, la police a empêché un clown de rentrer dans la salle d'audience. Il semble que ce même jour, il ait attendu la sortie de l'accusé et l'ait simplement considéré à distance sans chercher à lui adresser la parole. L'ancien secrétaire général de la préfecture a peut-être remarqué ce clown mais rien n'est moins sûr. Par la suite l'homme est revenu régulièrement sans son déguisement à la fin des audiences et aux plaidoiries. A chaque fois il posait sur ses genoux une mallette dont il caressait le cuir tout éraflé. Un huissier se souvient de l’avoir entendu dire après que le verdict fut tombé : - Sans vérité, comment peut-il y avoir de l’espoir ? »
Voici un tout petit roman absolument magnifique, autant par sa poésie que la façon dont il aborde le souvenir de la guerre.
Lucien se raconte. Adolescent, il avait les clowns en horreur et un mal fou à accepter que son père, pourtant instituteur respecté, se grime, se déguise, s’affuble du nez rouge et régulièrement aille faire le clown auprès des gens en difficulté, pour les faire rire, leur changer les idées, mais aussi pour gagner quelques sous de plus.Pour lui, tout cela n’était que ridicule et il avait honte de ce père, le méprisait même. Jusqu’au jour où son oncle Gaston décida de lui dévoiler le secret du père, de lui raconter ce qui avait amené cet homme plutôt sérieux et taciturne à se travestir ainsi les dimanches pour entrer dans la peau d’un clown.
A l’époque, la France était encore occupée. Adolescents, André, le père, et Gaston rêvaient d’actes de résistance héroïques, tout en participant à quelques attentats plutôt mineurs. Un jour cependant, la chance tourna et ils firent exploser par erreur un poste de commande d'aiguillage ferroviaire, dans lequel le gardien était présent. Le vieux cheminot fut très grièvement blessé et ils furent capturés et placés par le commandement allemand dans une fosse dont ils ne pouvaient sortir, dans le froid, sous la pluie, sans rien à manger ni à boire, juste à attendre le moment où ils seraient fusillés.
C’est Bernd, le soldat allemand en charge de leur surveillance, qui avec humour et humanité, discrètement cependant pour ne pas se faire prendre, les aida. Il leur donna à manger, et surtout arriva à leur changer les idées et même à les faire rire en faisant le clown…
On comprend ainsi que le père, en devenant clown de temps à autre, tente de se prouver son courage, devenir humain, au service des autres. C’est un hommage à celui qui les a sauvés à l’époque, peut-être aussi une façon de racheter sa culpabilité pour avoir blessé le garde barrière.
Le roman se passe dans le Nord, terre natale de Michel Quint qui réussit à la perfection à peindre cette région, ses habitants, de même que la langue. Le climat est rude, les hommes aussi. Pas des rigolos, mais des hommes d’honneur. Le roman est dédié au père et au grand-père de l’auteur, qui fut résistant.
Un petit livre magnifique, très émouvant, très poétique malgré le sujet. Et un beau récit des petites choses de la guerre, ces petits actes héroïques individuels, qui auraient pu coûter la vie de ceux qui les vécurent, ne sont inscrits dans aucun livre d'histoire et ne sont pas passés à la postérité, mais touchent cependant au plus profond du coeur. Car malgré l'horreur, malgré la rage, la haine et la violence, malgré la mort et la déchéance, parfois, un homme ou plusieurs étaient capables de faire jaillir la lumière, l'espérance, la foi en un monde meilleur, en des hommes redevenus humains.
Une belle leçon d'humanité.
Le titre du roman est tiré d’un poème de Guillaume Apollinaire :
Les grenadines repentantes – Calligrammes – Lueurs des tirs
En est-il donc deux dans Grenade
Qui pleurent sur ton seul péché
Ici l'on jette la grenade
Qui se change en un oeuf coché
Puisqu'il en nait des coqs Infante
Entends-les chanter leurs dédains
Et que la grenade est touchante
Dans nos effroyables jardins