Magazine Culture
Je me souviens de la première fois où j'ai vu, en librairie, des volumes de la collection Folio. Ils venaient de sortir, c'était il y a quarante ans, je ne connaissais rien, mais alors, moins que rien, à la vie de l'édition française, et je me suis longuement interrogé sans trouver de réponse: ils n'étaient pas bien en Livre de poche, les Malraux, Camus et autres Saint-Exupéry? Que leur prenait-il, d'aller faire un tour ailleurs, sous une couverture illustrée où le fond blanc prenait beaucoup de place? (Il allait d'ailleurs très vite jaunir, ce blanc-là - même la reproduction de La chute, de Camus, dans le dépliant envoyé par Gallimard pour l'anniversaire n'y échappe pas.)Quarante ans, cela représente 5400 titres de 2500 auteurs, 365 millions d'exemplaires vendus, 32 prix Goncourt, presque autant de prix Nobel (31), 13 collections dérivées, depuis les trois lancées en 1985: Folio Essais, Folio Histoire et Folio Actuel. La bande dessinée a trouvé sa place l'an dernier et, pour célébrer les multiples réussites de Folio en quatre décennies, des éditions spéciales paraissent tout au long de l'année. Gastby le magnifique, de Francis Scott Fitzgerald, dans une nouvelle traduction de Philippe Jaworski, est la première. Elle sera suivie par une anthologie du Journal d'André Gide, Candide de Voltaire, illustré par Quentin Blake, les Exercices de style de Raymond Queneau, les Œuvres farfelues d'André Malraux, Sa majesté des mouches de William Golding...Au fond, la collection a assez peu changé depuis ses débuts. La preuve par deux couvertures du n° 1 de Folio. En haut, celle de 1972, en bas, celle d'aujourd'hui. Il ne vous échappera pas qu'il s'agit de la même photo, dans une maquette pourtant revue de fond en comble. L'auteur a retrouvé son prénom et a pris de la couleur, dans une police de caractères différente. Le rectangle qui symbolisait la collection a disparu. Et la couverture est clairement divisée en deux espaces, auteur et titre dans la partie supérieure, illustration dans la partie inférieure, la plus grande.Ce que ne montrent pas ces deux couvertures, c'est la variété des modifications apportées au fil du temps. Car il y en a eu d'autres, plus éloignées du modèle d'origine vers lequel revient la dernière mouture. La preuve, peut-être, que les premiers choix étaient à peu près les bons, et que la suite n'a été que des concessions faites à l'air du temps.L'air du temps a peut-être quelque chose à voir aussi avec la qualité du fonds sur lequel repose Gallimard, cent ans et des poussières. Les éditeurs qui se sont succédé dans la vénérable maison ont très souvent réussi à capter le meilleur de la littérature en train de s'écrire. Depuis le début de cette année (encore très jeune), dans la série de livres au format de poche que ce blog a proposés, il y avait deux excellents romans parus en Folio: un prix Nobel (Herta Müller) et un prix Femina (Maylis de Kerangal). Arrivés là par des chemins parfois détournés: les premières traductions françaises de Herta Müller étaient parues au Seuil et Maylis de Kerangal publie depuis ses débuts chez Verticales. Mais Gallimard avait signé le contrat du dernier roman de Müller avant l'attribution du Nobel et Verticales, belle petite maison d'édition à la survie économique parfois fragile, avait d'abord été soutenue par Slatkine, puis par le Seuil, et enfin intégrée au groupe Gallimard. On ne s'y trompe décidément pas si souvent, même si d'autres ont parfois défriché le terrain.Et vous voyez aussi que je connais la vie de l'édition française un peu mieux qu'il y a quarante ans...