1 – Irak: la guerre finie, la normalisation se fait attendre
Après huit ans d’occupation, les Etats-Unis ont finalement mis un terme à leur aventure en Mésopotamie. Leurs ultimes soldats ont quitté par la route dans les derniers jours de 2011 le pays qu’ils avaient envahi en mars 2003. Cette opération qui a conduit à la chute de Saddam Hussein s’est révélée extrêmement coûteuse, en vies humaines et en richesses. Des milliers de soldats américains ont été tués et blessés. Des dizaines de milliers de civils irakiens, voire des centaines de milliers, selon les estimations les plus pessimistes, ont également perdu la vie, et deux millions ont choisi de s’exiler dans les pays voisins, la Syrie et la Jordanie. Le coût de la guerre est astronomique, avec pour le moment une facture de 800 milliards de dollars payés par les contribuables américains. Des experts ont effectué des projections pour les coûts induits, et les chiffres donnent le vertige : la guerre en Irak devrait saigner l’économie américaine de plus de 3000 milliards de dollars dans les années qui viennent. Une formidable ponction qui doit prendre clairement sa part de responsabilité dans la crise mondiale actuelle. Cette énorme masse d’argent a enrichi les entreprises du secteur de la défense et celles du nouveau domaine de la sécurité privée, mais elle constitue des investissements notoirement improductifs. Ils ont une forte dimension politique et spéculative, et n’ont pas été un facteur de création d’emplois aux Etats-Unis où le chômage à 8,5 pc se maintient à un niveau record.
En Irak, les Américains ont laissé un pays ravagé par l’invasion elle-même, et le conflit qui a suivi. Comme l’écrivait récemment dans le Financial Times, Jack Fairweather, auteur d’un ouvrage sur l’engagement britannique en Irak : « ceux qui défendent encore la décision de faire la guerre expliquent que se débarrasser de Saddam Hussein justifie tout ce qui s’est passé par la suite. Cela semble un prix bien élevé, particulièrement, à la lumière du Printemps arabes ». De fait, 2011 a démontré qu’il était possible d’aboutir à des changements de régimes dans des pays arabes sans en passer par une intervention étrangère de grande envergure, une guerre destructrice et une occupation prolongée.
Les Américains abandonnent un terrible héritage de fractures multiples : ethniques, religieuses, sociales, que l’occupation a engendrées ou aggravées. Les 30 millions d’Irakiens sont divisés entre les Kurdes dans le nord, qui bénéficient d’une large autonomie, les sunnites, majoritaires dans le l’ouest, mais qui se considèrent marginalisés au niveau national, et les chiites, plus nombreux dans le centre et dans le sud, et qui dominent l’actuel système politique.
Les chiites, qui forment 60 pc de la population, sont eux-mêmes divisés entre des courants nationalistes et populistes, et d’autres plus philo-iraniens et libéraux. Le jeune chef Moqtada Sadr, que les Américains voulaient éliminer, s’est notamment positionné comme un protagoniste incontournable du jeu politique. Et son mouvement, l’armée du Mahdi, ancré dans les classes les plus défavorisées détient la clef de la paix sociale. Ses miliciens se sont illustrés dans la lutte contre l’occupant américain, et sont prêts à défier le pouvoir s’il se montre incapable d’améliorer rapidement les conditions de vie des Irakiens. Plus d’un quart de la population irakienne vit en dessous du seuil de pauvreté, et plus de 20 pc est officiellement sans emploi. Le pays dont les infrastructures et les services ont terriblement souffert a besoin d’importants investissements publics. La production pétrolière a retrouvé son niveau d’avant guerre mais elle est en deçà des projections budgétaires trop optimistes.
Le gouvernement de Bagdad, sous la houlette du premier ministre chiite Nouri al Maliki –que le président George W. Bush avait qualifié de « brave type »– a insisté pour que les Etats-Unis ne conservent aucune présence militaire en Irak. En dépit des mises en gardes des experts du Pentagone, le président Barack Obama a finalement décidé d’accéder à la demande irakienne. Mais les Américains ont laissé derrière eux leur plus grande ambassade dans le monde. Construite à prix d’or sur les bords du Tigre dans l’enceinte de l’ancienne résidence présidentielle du maître de Bagdad, elle doit employer plus d’un millier de diplomates. Ils seront protégés par un bataillon de marines, mais surtout par des milliers de mercenaires –-les « contractors »– qui ont trouvé depuis huit ans en Irak leur véritable El Dorado. Le rôle de cette mission est dès le départ handicapé par l’impossibilité pour son personnel de se déplacer sans des escortes lourdement armées. Les conseillers censés collaborer à la remise sur pied du pays seront incapables d’interagir avec ceux là même qu’ils prétendent aider, les citoyens irakiens. Et ils se retrouvent en temps de paix tout aussi isolés qu’étaient leurs prédécesseurs confinés dans la « zone verte », l’enclave ultra-protégée qui a abrité pendant la guerre les ministères irakiens et les légations étrangères. Récemment, le Financial Times décrivait la situation en ces termes : « dans les rares occasions où les diplomates se risquent en dehors de l’enceinte sécurisée, ils doivent porter des casques et des équipements de protection, et il est difficile pour les Irakiens de la rue de faire la différence entre cette nouvelle opération de nature civile et le rôle précédent de l’administration militaire ».
2 – La nouvelle donne régionale : l’épouvantail iranien
Le retrait militaire des Etats-Unis d’Irak et la réduction drastique de leur capacité à influencer diplomatiquement le devenir de ce pays a créé une donne stratégique radicalement nouvelle dans la région. Et à Washington, à Riyad, à Qatar, mais aussi en Israël et en Europe, les responsables et les experts craignent que Téhéran ne soit le grand bénéficiaire du vide provoqué par le désengagement de l’Amérique.
Les liens de M. Maliki avec l’Iran sont connus : il a passé des années d’exil à Téhéran, lors qu’il était sur la liste des ennemis de Saddam Hussein. Et aujourd’hui ses relations avec les autorités politiques iraniennes sont étroites. Il serait toutefois erroné de le présenter comme une « marionnette » entre les mains des responsables de Téhéran. Et les dynamiques entre les deux voisins sont autrement plus complexes qu’un simple rapport de suggestion. Elles doivent tenir compte notamment de la concurrence qui ira en s’exacerbant entre les centres du pouvoir religieux chiites installés en Iran et en Irak. Qom, le siège des grands ayatollahs iraniens, a joué un rôle prépondérant depuis la victoire de Révolution islamique en 1979 jusqu’à la chute du régime de Saddam Hussein, qui avait persécuté les élites et les fidèles chiites. Mais l’intervention américaine en Irak a eu comme conséquence paradoxale de redonner aux deux villes irakiennes les plus saintes aux yeux des chiites, Nadjaf et Kerbala, leur rôle historique de lieux de pèlerinages, d’enseignement et d’influence. La concurrence de l’Irak et de l’Iran dans ce domaine aura un impact qui reste à mesurer sur le niveau de collaboration politique entre les Bagdad et Téhéran.
Si l’alignement de l’Irak de l’après-guerre avec l’Iran révolutionnaire reste donc à démontrer, sa neutralité dans ce qu’un ancien ministre irakien Ali Allawi décrit dans une contribution au New York Times comme la « guerre froide » irano-américaine semble acquise. Bagdad ne jouera plus jamais le rôle de champion des arabes face à la menace perse. L’armée irakienne ne sera jamais plus au service des monarchies pro-occidentales du Golfe pour les défendre contre ce qui était considéré comme une remise en cause révolutionnaire des pouvoirs dynastiques, notamment celui des al Saoud. Et jamais plus un régime de Bagdad –qui se disait laïc mais s’appuyait pour sa survie sur une clique étroite largement sunnite– ne se présentera comme le bras armé de l’orthodoxie religieuse contre l’affirmation du courant schismatique –-les chiites–, né il y a 14 siècle en Irak même.
En somme, pour les monarchies du Golfe -–l’Arabie et le Qatar en tête–, le retrait des Américains d’Irak et la neutralisation de ce pays les met en première ligne d’une éventuelle confrontation avec l’Iran. La zone tampon a sauté, et le gendarme qui la surveillait s’en est allé.
3 – Le nucléaire iranien: l’Occident hausse le ton
Au cœur du différend entre l’Iran et l’Occident, le programme nucléaire de la République Islamique relancé au milieu des années 90. Les paramètres de cette controverse sont bien connus. Depuis des années, les Etats-Unis, les Européens et Israël soupçonnent les Iraniens de vouloir se doter d’un potentiel nucléaire militaire. Téhéran se défend de toute intention de ce genre et maintient que ses efforts dans ce domaine sont concentrés sur la simple production d’énergie. Le nucléaire, assure Téhéran, est nécessaire pour faire face aux besoins d’une nation de 75 millions d’habitants, et réserver le pétrole et le gaz à l’exportation. Les Russes ont largement aidé les Iraniens dans leur programme nucléaire et ont participé à la construction et à la mise en route de la centrale de Busher, sur le Golfe. Moscou, tout comme Pékin, ne partage pas les craintes des Occidentaux sur les intentions iraniennes, et ces deux pays, membres du Conseil de sécurité de l’ONU, sont opposés à toute escalade de la tension.
Au-delà du problème purement technique du nucléaire irakien, le différend est bien sûr de nature politique et stratégique. Les Etats-Unis, qui ont remplacé dès la fin des années 60 les Britanniques comme suzerains exigeants de cette région dont dépend l’équilibre du monde, n’ont jamais accepté que Téhéran échappe à leur tutelle après la révolution islamique. Depuis, l’Iran qui considère que son destin est celui d’une puissance régionale, se sent agressée, assiégée, et menacée et il saisit toutes les occasions d’affirmer son autonomie, et sa disposition à relever tous les défis, y compris militaires. Le danger de ce face à face est accentué par le fait –unique dans l’histoire diplomatique contemporaine— que depuis plus de trente ans Washington et Téhéran n’ont plus de relations et plus de communications directes. Les deux pays dont dépend la paix ne se parlent pas, alors même qu’un « téléphone rouge » existait entre les Etats-Unis et l’URSS lors de la guerre froide, pour prévenir tout malentendu entre les deux géants.
Sur le dossier iranien, le gendarme nucléaire, l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique, basée à Vienne, a longtemps fait preuve de beaucoup de prudence. Elle a publié régulièrement des évaluations selon lesquelles ses inspecteurs assuraient ne pas en savoir assez pour affirmer que l’Iran avait des intentions militaires. Mais en novembre 2011, un changement radical s’est produit. De nouvelles informations fournies à l’AIEA lui font hausser le ton : l’Iran aurait conduit dans le passé des recherches liées à un programme militaire, assurent aujourd’hui les experts de l’Agence, et elle pourrait même les avoir poursuivies. Le chef de l’AIEA, le japonais Yukiya Amano, a exigé des éclaircissements. Téhéran a répondu qu’il s’agissait d’accusations mensongères, basées sur des rapports truqués de services de renseignements hostiles à Téhéran.
Les services mis en cause par les Iraniens sont en réalité très indécis sur la manière de traiter les efforts iraniens dans le domaine du nucléaire militaire. Réalité ou fiction, ils ne se prononcent pas. La CIA a longtemps soutenu qu’elle était convaincue que Téhéran avait stoppé toute recherche dans ce domaine depuis 2003, et que rien ne prouvait que le régime des mollahs veuille se doter d’une arme atomique. Dans un récent rapport sur la question, les analystes de l’agence de Langley répètent qu’ils ne savent pas si le pouvoir iranien a pris la décision d’aller de l’avant avec le développement d’une arme atomique. Et ils ajoutent qu’ils estiment que les Iraniens « gardent ouverte l’option » de le faire, au cas où la décision serait prise. Une manière de dire que les espions américains refusent pour le moment d’émettre un avis qui pourrait être utilisé comme justification d’une action militaire. Comme l’ont toutefois démontré en 2002 les mensonges officiels américains sur le programme d’armes de destruction de masse de Saddam Hussein, des arguments peuvent toujours être trouvés une fois que le pouvoir politique a décidé d’agir.
4 – Nouvelles sanctions : déclaration de guerre pour l’Iran
Le rapport de novembre 2011 marque toutefois un tournant majeur pour les Occidentaux dans leur stratégie de pression contre l’Iran. Et il a servi immédiatement de justification à de nouvelles sanctions que les Etats-Unis et les Européens veulent mettre en œuvre contre le régime de Téhéran. A Washington, le Congrès et le président Obama envisagent notamment de pénaliser les entreprises étrangères qui font des affaires avec l’Iran. Le cœur du dispositif est d’identifier et de punir les entités qui effectuent des paiements à la Banque centrale iranienne dans le cadre de transactions commerciales. Cette mesure va toucher directement les grands opérateurs qui achètent du pétrole ou du gaz iranien. Ils devront renoncer à le faire, sous peine de se voir mis à l’amende ou même interdits d’opérer sur d’autres marchés. Si elles sont effectivement mises en œuvre, ces sanctions pourraient avoir un impact important sur les ressources financières du régime de Téhéran. En rendant plus difficile la commercialisation de son pétrole, elles créent les conditions d’une forme d’embargo. Pour les Iraniens, il s’agit là d’une véritable déclaration de guerre — au moins économique. Et ces mesures leur rappellent comment les Britanniques avaient organisé un blocus naval de la raffinerie et du terminal pétrolier d’Abadan en 1951 après la nationalisation de la Compagnie anglo-iranienne des pétroles par le gouvernement de Mohammed Mossadegh. La crise économique qui a suivi a servi de toile de fond au coup d’état fomenté par les Britannique et les Américains pour écarter Mossadegh et ramener le schah au pouvoir en 1953.
Ces sanctions américaines sont les plus strictes jamais imaginées contre l’Iran. Le Congrès qui reste le meilleur allié d’Israël au sein de la machine politique américaine est bien décidé à ce qu’elles soient appliquées avec une grande rigueur. Le Président Obama, qui a renoncé à sa politique d’ouverture vers Téhéran, doit lui se montrer à la hauteur du défi iranien alors qu’il cherche à obtenir un deuxième mandat. Il a bien la possibilité de neutraliser l’impact des mesures contre Téhéran, s’il considère qu’elles mettent en danger la sécurité nationale américaine. Mais ses adversaires républicains se feraient une joie de le dénoncer comme un dangereux irresponsable incapable de faire front à la menace des ayatollahs. M. Obama a jusqu’au mois de juin 2012 pour émettre un jugement dans ce domaine.
5 – L’échéance de juin 2012
Cette échéance de juin est donc cruciale : si, à ce moment là, les mesures prises ou envisagées n’ont pas eu de résultats, « nous serons à la fin de la route des sanctions », relevait récemment le journaliste américain John Vinocur. Il y a de fortes chances qu’il en soit ainsi : il n’y pas d’exemple dans l’histoire récente de sanctions économiques, même draconiennes, qui aient obtenu le résultat escompté. Il semble donc aussi difficile de tarir les exportations pétrolières iraniennes, que de faire abandonner à Téhéran ses ambitions nucléaires. Et, à quatre mois de l’élection présidentielle de novembre, le président Obama se retrouvera dans la difficile position d’expliquer pourquoi il a été incapable de museler le pays qui menace, selon les plus pessimistes, les intérêts américains et la survie d’Israël.
En juin donc, le président américain sera laissé avec une série d’options toutes aussi mauvaises les unes que les autres pour sa réélection : ne rien faire, comme le lui suggère aussi bien sa nature que les précédentes interventions américains au Moyen Orient. Au lieu de régler les problèmes, elles les ont aggravé. Pour ne pas apparaître indécis et se voir accusé par les Républicains de laisser l’Iran se doter de la bombe atomique, il peut ordonner des frappes limitées contre des installations du complexe nucléaire iranien. Sur le modèle de ce qu’avait fait le président Bill Clinton contre l’Irak en décembre 1998. Le résultat est connu : en dépit de cette démonstration de force, Saddam Hussein est resté au pouvoir, il a continué à contrarier les efforts américains de mise sous tutelle de son pays et finalement les Etats-Unis ont dû envahir l’Irak en 2003. De même, Clinton avait ordonné des frappes plus tôt en 1998, contre des objectifs d’Al Qaida en Afghanistan et au Soudan. Mais, là encore, ces frappes avaient été loin d’éliminer la menace terroriste d’Ossama ben Laden, comme les attentats du 11 septembre 2001 l’ont démontré. Et les Etats-Unis se sont lancés en octobre 2001 dans une guerre en Afghanistan qui n’est toujours pas conclue.
En dépit du peu d’efficacité démontré de ce genre d’opérations, le président Obama peut être tenté d’y avoir recours pour éviter de perdre toute chance de se voir réélu. Il va subir dans les mois qui viennent d’intense pressions pour agir dans ce sens, et un récent article de la prestigieuse revue américaine Foreign Affairs a donné le ton. « Il est temps d’attaquer l’Iran », assure en titre de sa contribution Matthew Kreonig, un expert en prolifération nucléaire. Et son long article explique « pourquoi une frappe est la moins mauvaises des options possibles ». « Faire face à la menace maintenant fera faire aux Etats-Unis l’économie d’avoir à confronter dans l’avenir une situation bien plus dangereuse », conclue le spécialiste. Ce genre d’analyses alimentent la formidable machine de communication des partisans de la guerre, du complexe militaro-industrielle, et des milieux de la droite religieuse radicale aux Etats-Unis. Elles forment un contexte, mélange d’ignorance et de partis pris idéologiques, qu’aucun candidat à la présidentielle américaine ne peut ignorer. Et qui contribue au lent glissement vers une prise de décision injustifiée d’un point de vue stratégique mais quasi inévitable dans le contexte d’une bataille politique interne régie par l’efficacité des slogans simplistes.
6 – Israël, dans le rôle périlleux du boute feu
Israël joue dans cette affaire à la fois les victimes et l’aiguillon. Le gouvernement du premier ministre Benjamin Netanyahou insiste sur le « danger existentiel » que représente un régime dont le chef, le président Mahmoud Ahmadinejad, a contesté la réalité de l’Holocauste et nié le droit à l’existence d’un « état sioniste ». Et des militaires ou des experts israéliens se relaient pour, périodiquement, évoquer l’éventualité de frappes aériennes préventives de l’état hébreu contre les installations du programme nucléaire iranien. Cette éventualité est rendue crédible par les précédents des raids israéliens contre des cibles identiques en Irak en 1981 et en Syrie en 2007.
Au mois de novembre, le ministre de la Défense israélien Ehud Barak a accru la pression sur les Américains en exposant dans la presse l’approche israélienne du défi iranien. Il a alors explique que les analystes du Mossad donnaient neuf mois à l’Iran pour faire entrer leur programme nucléaire dans « une zone d’immunité ». Par là le responsable entendait les mesures de précaution prise par Téhéran autour de ses installations nucléaires. Certaines ont été construites dans des massifs rocheux qui leur assurent une protection naturelle quasi impénétrable. Barak assurait également que les Iraniens ont tout fait pour que remplacer immédiatement par des installations identique invulnérables des éléments de leur programme nucléaire mis hors d’état de fonctionner par des attaques étrangères. Et le ministre de la Défense de l’état hébreu laissait alors entendre que cette perspective était intolérable, et que si personne ne faisait rien pour dénier à l’Iran cette « zone d’immunité », Israël allait s’en charger. Récemment, Téhéran a répondu par une de ses traditionnelles provocations en annonçant justement la mise en route prochaine d’un nouveau réacteur sous terrain construit dans les flancs d’un massif rocheux près de Qom.
Pour autant, une frappe préventive israélienne contre l’Iran comporte des risques non négligeables, qui la rendent improbable. L’aviation israélienne devrait notamment tenir compte du fait que les Irakiens ont repris le contrôle de leur espace aérien avec le retrait américain. Et qu’ils ne laisseraient pas sans réponse une intrusion d’escadrilles israéliennes lancées dans une mission contre l’Iran. Un bombardement israélien créerait en outre une situation extrêmement embarrassante pour les Etats-Unis et pour les Européens. Il soulignerait de façon trop flagrante le silence occidental sur l’arsenal nucléaire israélien, développé avec l’aide des Français dans les années 60. Seule puissance atomique de la région, l’état hébreu dispose de plus de cent munitions nucléaires de tous genres qui lui donnent un avantage stratégique sur l’ensemble de ces éventuels ennemis en cas de conflit. Aux yeux des responsables israéliens, cet arsenal est un élément de dissuasion indispensable à la survie de l’état hébreu face à un monde arabe qui lui a contesté le droit d’exister dés les premières heures de sa création en 1948.
En outre, comme le faisait remarquer dans une analyse récente Bennett Ramberg, un ancien responsable des affaires politico militaires au Département d’Etat, la puissance nucléaire israélienne est une arme à double tranchant. Dans une contribution au New York Times, cet expert faisait valoir que si les Israéliens attaquaient Busher, les Iraniens pouvaient riposter contre le réacteur de Dimona. « Le risque d’un échange de ce genre fait surgir une menace que peu de gens semblent vouloir considérer : celle de la première guerre radiologique de l’histoire », avertissait M. Ramberg. Il soulignait dans son analyse les terribles conséquences pour l’environnement, les populations des zones touchées, et l’économie générale de la région, que de telles frappes pourraient avoir. « Vus les dangers, Israël et l’Iran feraient bien de se demander si ouvrir une boite de Pandore radiologique sert vraiment leurs intérêts respectifs », s’interrogeait l’expert américain.
7 – Téhéran contre attaque, et menace Ormüz et le Golfe
Pour le moment, Téhéran semble craindre plus les nouvelles sanctions occidentales, que des frappes chirurgicales. Ces sanctions interviennent après toute une série d’incidents qui font penser au régime de la République islamique que Washington a déclenché une guerre secrète féroce pour ralentir ou même arrêter ses efforts nucléaires. L’attaque du virus Stuxnet en 2010 contre les systèmes de contrôle des centrifugeuses iraniennes pour l’enrichissement de l’uranium n’a jamais été revendiquée, mais les Iraniens peuvent à bon droit soupçonner les Américains ou les Israéliens d’en être responsables. En novembre 2011, une explosion suspecte a détruit un site iranien de développement de missiles, et fait une quinzaine de tués. Parmi les victimes figurait le général Hassan Moghadadam, le patron du programme iranien de production d’engins balistiques. Là encore, les causes de la déflagration sont mal connues et les officiels iraniens ont parlé d’un accident pendant le chargement de combustible dans une fusée, mais la thèse du sabotage ne doit pas être ignorée.
Auparavant, des scientifiques iraniens avaient été assassinés en plein Téhéran.
Face à ce qui lui apparaît comme une mise en cause de sa sécurité, l’Iran a choisi de faire monter la tension sur le front même où les dernières sanctions occidentales veulent la frapper : le pétrole. Les officiels iraniens ont menacé au mois de décembre de fermer le détroit d’Ormuz, qui relie le Golfe à la Mer d’Oman, puis à l’Océan Indien. Plus d’un tiers du pétrole mondial exporté voyage dans des tankers qui empruntent cet étroit passage de 50 km de large. Les militaires iraniens qui ont mené récemment des manœuvres dans le Golfe assurent être en mesure d’y empêcher le trafic du brut vendu par les différents pays riverains. Les Etats-Unis ont répondu que leur marine de guerre, notamment la Vème flotte basée à Bahreïn, avait pour mission d’assurer la libre circulation des navires dans cette zone. Avec des dizaines d’unités, et notamment un groupe aéronaval, la plus puissante marine du monde a certainement les moyens de mettre à mal la flotte iranienne.
Des experts soulignent toutefois que l’Iran a acquis auprès des Chinois des mines sous-marines et des missiles sol-mer capables de menacer le trafic dans le détroit d’Ormüz. Leur mise en œuvre constituerait une escalade extrêmement dangereuse, qui rappellerait les heures les plus noires du conflit entre l’Iran et l’Irak. Bagdad et Téhéran se sont attaqués à leurs installations pétrolières respectives et ont commencé à viser en 1984 les navires marchands qui croisaient dans le Golfe. La « guerre des pétroliers » a duré trois ans, et près de 550 navires marchands en ont été victimes. « Les menaces iraniennes de bloquer le trafic pétrolier ne laissent aucun doute sur l’irresponsabilité de Téhéran et sur son mépris pour le droit international », a commenté un éditorial du New York Times. « Il s’agit d’un régime qu’aucun pays ne peut souhaiter voir en possession d’armes nucléaires », concluait le quotidien américain dans une claire allusion aux réticences de Moscou à faire pression sur l’Iran. Mais aussi en direction de Pékin, puissance qui s’affirme de plus en plus, et qui refuse de se voir contester le droit de commercer avec qui elle veut. Et surtout d’acquérir ce dont la croissance à marche forcée de son économie a un besoin vital : le pétrole de Golfe, et notamment celui des deux pays avec qui elle veut tisser des liens étroits : l’Irak et l’Iran.
8 – La grande peur de l’Arabie Saoudite
La tension avec l’Iran et la disparition du bouclier irakien inquiètent toutes les monarchies du Golfe, mais en particulier l’Arabie saoudite. Le royaume, de quelque 28 millions d’habitants, dispose des plus importantes réserves de pétrole prouvées du monde, abrite les lieux les plus saints de l’Islam, la Mecque et Médine, et se veut le gardien de l’orthodoxie sunnite. La monarchie des Saud a également l’ambition de jouer un rôle régionale décisif, et s’appuis pour le faire sur ses énormes réserves de liquidité. Le roi Abdallah, rentré en février 2011 d’une longue absence pour raison de santé, a été en mesure de distribuer à ses sujets plus de 100 milliards de dollars en l’espace d’un mois pour faire taire les appels à des réformes politiques. Ennemis des changements radicaux, les Saoud, souverains absolus, ont vu avec inquiétude la chutes de régimes arabes qui semblaient sûrs comme en Tunisie et en Egypte. Et ils sont intervenus rapidement pour stopper les mouvements de revendications dans des émirats voisins, à Bahreïn et à Oman.
Mais, lorsque Riyad y voit son intérêt, la diplomatie saoudienne est disposée à assurer la couverture arabe d’une action internationale. Elle l’a fait de façon claire en 1990, lorsque le souverain d’alors, le roi Fahd, a autorisé les Etats-Unis à déployer leur corps expéditionnaire dans le désert saoudien pour chasser Saddam Hussein du Koweit. Et, en 2011, les Saoudiens n’ont pas hésité à apporter leur caution aux opérations lancées par l’Otan contre le colonel Mouammar Kadhafi, qui avait tout fait pour s’attirer la vindicte de la lignée des Saoud. Riyad, dernier poids lourd du monde arabe, après l’affaiblissement de l’Egypte et de l’Irak, a donné son accord aux appels du Conseil de Coopération du Golfe puis de la Ligue Arabe pour une intervention internationale contre le régime libyen. Et cette absolution arabe a ouvert la voie aux condamnations de l’Onu et aux opérations de l’Otan.
Même si le Printemps arabe a perdu de son dynamisme et ne menace pas la stabilité du royaume, la dynastie des Saoud est confrontée à une série de défis, et veut les affronter sans la crainte que les Iraniens puissent en profiter. La monarchie doit faire face à des mouvements de contestation de la communauté chiite qui forme une minorité importante dans les provinces de l’est du pays, au cœur de l’industrie pétrolière. Les chiites se disent marginalisés dans une société où ils sont considérés comme des hérétiques. Le régime de Riyad accuse régulièrement –comme l’a fait la famille régnante de Bahrein—- les services secrets iraniens de fomenter des troubles dans ces régions, et de vouloir affaiblir la monarchie sunnite. Le pouvoir saoudien a également accusé en 2011 le régime de Téhéran d’avoir comploté contre la vie de son ambassadeur aux Etats-Unis.
La monarchie doit également se préparer à une éventuelle succession. Le roi Abdallah approche les 88 ans et son état de santé a fait naître des inquiétudes au cours de l’année dernière. Après son retour de convalescence, il a nommé son demi frère le Prince Nayef, puissant ministre de l’Intérieur, comme son successeur. Mais dans le système opaque de pouvoir et d’influences de cette monarchie absolue, les successions peuvent souvent donner lieu à des réalignements d’intérêts. Et le prince Nayef est connu pour avoir une vision politique plus conservatrice qu’Abdallah, et des liens étroits avec les autorités religieuses wahabites, qui ont permis à la lignée des Saoud de prendre le pouvoir et de s’y maintenir. Nayef est également connu pour avoir des relations peu amènes avec les Etats-Unis et pour appeler ouvertement Washington à plus de fermeté face à l’Iran.
La lutte d’influence entre le royaume sunnite et la théocratie chiite a un tel potentiel de déstabilisation régionale, que l’ex-ministre irakien de la défense Ali Allawi, déjà cité, y voit un grave danger pour son pays : « Dans la confrontation régionale entre l’Arabie saoudite et l’Iran, l’Irak doit se ranger du côté de la justice et de l’équité et appuyer des élections libres et transparentes, des gouvernements représentatifs, la protection du droit des minorités, et le respect du droit dans des pays comme Bahreïn, la Syrie, le Liban, et le Yémen ». Autrement dit, en renvoyant ainsi dos à dos les deux puissances qui se font face dans le Golfe, l’ancien responsable irakien soulignait l’impuissance des autres acteurs régionaux à arrêter une escalade si elle devait être déclanchée.
9 – Le délicat exercice d’équilibre du petit Qatar
Un autre pays de la région est lui aussi en position d’équilibre entre les Saoudiens et l’Iran : le Qatar. Le petit émirat est devenu en une décennie un protagoniste incontournable dans le monde arabe et en Occident. C’est sa chaîne de télévision al Jazeera qui a l’a d’abord fait connaître et qui est depuis devenue un outil puissant de sa diplomatie. La chaîne est née en 1996, a connu un développement spectaculaire après les attentats du 11 septembre 2001 et est devenue accessible aux Occidentaux avec son canal en anglais lancé en 2006. Al Jazeera a joué un rôle déterminant dans l’orchestration des révoltes qui ont conduit au renversement de dictateurs en Tunisie, en Egypte et en Libye. Sa mise en cause de républiques autocratiques laïcs ne s’est toutefois pas étendue de façon aussi agressive aux monarchies à forte composante religieuse qui règnent dans le Golfe. En cela elle peut prétendre à un rôle de promoteur du changement, mais pas de défenseur d’un système de gouvernement répondant aux critères de la démocratie à l’occidental.
Al Jazeera est un des éléments qui font du Qatar un acteur unique sur la scène arabe. Mais il y en a d’autres qui soulignent tout autant la complexité de sa position, à la fois géographique et politique. En forme de péninsule, le Qatar semble une excroissance de l’Arabie Saoudite, baignée par les eaux du Golfe. Ses relations avec son grand voisin n’ont pas toujours été au beau fixe, et il a fallu attendre 1991 –soit 20 ans après l’indépendance du Qatar de l’empire britannique—pour que le tracé de leur frontière commune soit finalement acté. L’émirat a une population d’un million et demi d’habitants, dont seulement 20 pc sont des nationaux. La famille régnante des Al Thani a un pouvoir absolu, mais a essayé depuis l’arrivée sur le trône de l’émir Hamad ben Khalifa –qui a délogé son père en 1995– de donner du Qatar une image de monarchie progressiste. Les Al Thani ont été aidé bien sûr par l’immense richesse de leur royaume, grand producteur de pétrole et de gaz, et qui s’enorgueillit du plus haut revenu par habitant dans le monde.
Le pays est devenu une plate forme avancée de la présence militaire américaine dans le Golfe, notamment avec la construction d’une vaste base aérienne dans le désert à l’ouest de Doha. Et le petit émirat a été l’un des premiers pays arabes à ouvrir avec Israël des bureaux d’intérêts commerciaux. Ces échanges ont toutefois été interrompus après l’offensive israélienne sur Gaza, à la fin de l’année 2008. Qatar maintient également des contacts étroits avec l’Iran. Les deux pays sont même liés par les mystères de la géologie : il sont les deux bénéficiaires d’un immense réservoir de gaz naturel, qui s’est formé sous les eaux du Golfe. Ils doivent coordonner leurs efforts d’exploitation de ce fabuleux gisement, le South Pars – North Dome. Ce réservoir, considéré comme le plus vaste du monde, symbolise le destin commun des deux rives du Golfe, et sert de rappel approprié des dommages qu’un conflit dans cette région pourrait provoquer.
Le petit émirat a également fait la démonstration de ses ambitions d’être un acteur autre que médiatique dans le monde arabe. Il ne s’est pas contenté de donner à Al Jazeera les moyens de prêcher le credo du changement dans les dictatures d’Afrique du Nord. Il a joint le geste à la parole, et des avions qataris ainsi que des unités des forces spéciales ont pris une part active dans les combats contre les forces loyales au colonel Kadhafi. Selon le chef d’état major du Qatar, le général Hamad bin Ali al-Atiya, ce sont même des centaines de soldats qataris qui ont été dépêchés au secours des combattants de la révolution libyenne, peu aguerris, désorganisés, et manquant clairement d’une structure de commandement.
10 – Riyad et Qatar, parrains fortunés des islamistes
Le rôle du Qatar, et l’influence de l’Arabie saoudite, ont donc été loin d’être négligeables dans l’affaire libyenne. Et les changements de régime sur l’ensemble de la cote méditerranéenne de l’Afrique leur ouvrent des perspectives nouvelles pour affirmer leur influence dans cette zone aux confins de l’Europe. Des processus électoraux ont mis en évidence le rôle nouveau que des formations islamistes allaient pouvoir jouer dans des pays comme la Tunisie et l’Egypte, mais également au Maroc. En Libye, les puissants du nouveau pouvoir ont également des liens étroits et déclarés avec l’Islam. Dans l’ensemble de cette région si stratégique pour l’Europe, les Frères Musulmans, ou leur adeptes, sont devenus une composante du paysage politique. Ils en avaient été écartés pendant des décennies par des régimes pseudo démocratiques pro-occidentaux. Les milieux populaires et les classes moyennes privées des bénéfices d’une croissance en trompe l’œil les ont désignés comme leurs représentants. Cette entrée en lice des islamistes se fait sous la bonne garde de l’armée aussi bien en Tunisie, en Egypte, qu’au Maroc. Le processus risque d’être plus chaotique en Libye, où les milices tribales ne sont pas prêtes à se soumettre aisément à un pouvoir central. Mais dans tous ces pays un facteur va jouer un rôle déterminant pour guider vers la stabilité des expériences de renouveau politique d’une ampleur sans précédent : la capacité de financement de l’indispensable relance économique, seule à même d’éviter une désintégration politique.
« L’explosion démographique a été le moteur du Printemps arabes », écrivait récemment Patrick Seale, l’un des meilleurs connaisseurs du monde arabe. Et d’ajouter : « le chômage des jeunes est l’étincelle qui a allumé les feux de la révolte arabe ». « Quand les frustrations économiques prennent une allure politique, les régimes autoritaires commencent à s’écrouler », concluait ce fin analyste du Moyen Orient. M. Seale a raison et ne fait que constater la terrible réalité économique de la région secouée par les révoltes arabes. L’Egypte notamment, un géant pauvre de quelque 90 millions d’habitants, dont la moitié vit avec moins de deux dollars par jours. Et où 40 pc des adultes ne savent ni lire ni écrire. La fiction d’une révolution animée par des cohortes de jeunes diplômés armés de téléphones mobiles et de comptes twitter a laissé la place à la dure réalité d’un terrible sous développement. Certes, la Libye, avec ses ressources énergétiques et sa faible population, va jouer le rôle de poumon pour ses deux voisins. Ce sont les Tunisiens et les Egyptiens qui viendront reconstruire le pays, le remettre en marche, et développer les secteurs gaziers et pétroliers. Mais cela ne suffira pas. Et seule une injection rapide et conséquente d’argent frais sera à même aussi bien en Tunisie qu’en Egypte d’éviter que ces pays connaissent le sort de la Somalie.
11 – La perspective d’un « quid pro quo »
Aujourd’hui, l’Europe et les Etats-Unis, aux prises avec leur propre crise économique, n’ont pas les moyens de financer la stabilisation des régimes nés du Printemps arabes. Seuls des pays comme l’Arabie saoudite ou le Qatar peuvent le faire. Avec un prix du brut résolument installé autour des 100 dollars, les deux pays ont accumulé des réserves imposantes, qui leur donne un pouvoir indiscutable.
L’usage qui peut en être fait de cette richesse pour stabiliser une région stratégique qui va du Maroc à l’Egypte constitue pour Ryiad et Doha un formidable levier sur les Etats-Unis et sur l’Europe. Les deux monarchies se sont d’ailleurs réparties le travail d’une manière très explicite. Le Qatar a pris sous son aile la Libye, et il est en charge de gérer ce dossier somme toute périphérique. Pour la situation beaucoup plus explosive de l’Egypte, frontalier d’Israël, lié à l’état hébreu par une paix séparée, c’est Riyad qui est à la manœuvre. Les milieux les plus actifs dans le royaume des Saud ont déjà commencé en finançant le mouvement salafiste et son parti Nour qui a remporté un succès éclatant aux récentes législatives. Avec un quart des sièges, cette formation, à peine mise sur pied, a rogné sur la victoire des Frères Musulmans, mouvance traditionnelle de l’Islam politique. Nour se positionne à la droite des Frères, et sera en mesure de faire entendre ses revendications les plus rigoureuses. Cette poussée d’un islamisme politique sévère offre un terrain favorable aux Saoudiens pour accompagner leur éventuelle générosité financière d’exigences politiques ou sociales précises. Ils ne feront certes par l’erreur d’exiger une complète soumission, mais il faut s’attendre que sur des dossiers aussi épineux que les relations entre l’Egypte et Israël, le droit des minorités chrétiennes, les libertés civiles et politiques des femmes, ils cherchent à se faire entendre en échange de leurs largesses.
La question qui se pose donc à l’orée de 2012 est de comprendre jusqu’où ce « quid pro quo » peut aller ? Que peuvent exiger des riches nations arabes dont l’Occident a besoin pour stabiliser des pays en ébullition sur les rives du bassin méditerranéen, et aux portes d’Israël ? La tentation va être forte notamment pour les Saoudiens de faire valoir qu’ils sont prêts à délier les cordons de leur bourse à condition qu’on les débarrasse de ce qu’ils voient comme une menace iranienne. La méthode leur importe, bien sûr, et ils auraient plus de mal à se réjouir si les Israéliens devaient se lancer seuls dans cette opération. Sans doute Riyad, qui a signé l’année dernière un gigantesque contrat d’armements de 60 milliards de dollars avec les Etats-Unis, attend de son protecteur historique qu’il montre un peu plus de nerf face à la République islamique. Mais, Washington qui se sort avec peine de deux conflits en Irak et en Afghanistan ne peut envisager de se lancer dans un autre qu’avec un entrain limité. En l’absence d’un miracle diplomatique, le président candidat Obama devra toutefois se poser sérieusement la question. Quel est la meilleure réponse au défi iranien : des frappes au résultat incertain, ou un blocus pétrolier difficile à mettre en place ? Il a quelques mois encore pour hésiter, mais le temps presse et dans une région aussi explosive, le moindre incident peut faire dramatiquement accélérer les aiguilles de l’horloge.