Quand François Mitterrand et la gauche gagnèrent en 1981, nous y avons cru pendant 1 an et demi. Nous avons fermé les yeux sur la naissance de la première franchise anti-sociale, le forfait hospitalier. Nous n’avons rien dit quand François Mitterrand refusa de revenir sur la loi de 1973 limitant fortement la possibilité du financement de l’État par la Banque de France. Nous avons été peu à critiquer le tournant néolibéral de 1983 qui permit aux capitalistes de modifier la répartition des richesses en faveur du profit et en défaveur des salaires.
Quand François Mitterrand et la gauche revinrent au pouvoir en 1988, peu dirent que cela serait pire que pendant la période 1983-1986. Et pourtant, François Mitterrand refuse de revenir sur l’autorisation administrative de licenciement ou sur la décision de Chirac-Seguin de désindexer les retraites sur les salaires pour les indexer sur les prix alors que c’est la raison principale de la baisse des retraites aujourd’hui. Pire, le livre blanc de Michel Rocard sur les retraites augure de ce que fera la droite dès 1993 à son retour au pouvoir.
Quand Lionel Jospin et la gauche gagnent de nouveau en 1997, personne ne croit qu’il va appliquer pour des millions de salariés (les ouvriers et les employés) une baisse de salaires. Personne ne croit qu’il va faire la CMU pour les très pauvres en abandonnant les pauvres dans l’accès aux soins (ceux qui gagnent au-dessus du plafond de la CMU et moins de 1,3 SMIC) dont une partie va faire de la renonciation de soins pour cause financière et rejoindre le vote d’extrême droite. Personne ne croit qu’il va dire que l’État ne peut rien contre les licenciements de Renault alors que la part de l’État dans cette société faisait qu’elle avait le pouvoir. Personne ne croit qu’il va signer la stratégie de Lisbonne, transformer le Code de la mutualité solidaire en code assurantiel, etc.
Alors quid du 6 mai 2012 ? Notre journal fera tout pour tourner la page de Nicolas Sarkozy et de sa politique néolibérale. Mais nous souhaiterions que cela soit pour une vraie rupture. Et là, nous avons quelques craintes. Car nous sommes dans une situation plus que préoccupante.
Trois chercheurs suisses, Stefania Vitali, James B. Glattfelder et Stefano Battiston de l’École polytechnique fédérale de Zurich, spécialistes en réseaux complexes, ont publié, le 26 octobre dernier dans la revue scientifique en ligne américaine PlosOne, un article qui montre que les participations de 737 firmes mondiales dans les autres entreprises du réseau leur permettent de contrôler 80 % de la valeur (mesurée par le chiffre d’affaires) de la totalité du réseau. Et que 147 firmes contrôlent 40 % de cette valeur totale. Même si une polémique se développe sur cette étude en arguant par exemple que cette étude sous-estime l’influence de certains États sur les grandes firmes par exemple, tout le monde est d’accord pour conclure à un accroissement de la concentration du pouvoir dans le monde.
Un nouveau rapport de l’Internationale de l’éducation (membre de la Confédération syndicale internationale CSI) intitulé Global Corporate Taxation and Resources for Quality Public Services (Taxation des sociétés au niveau mondial et ressources pour des services publics de qualité) a rendu public à Londres, les énormes pertes de revenus pour les gouvernements dues à l’évasion fiscale des entreprises et surtout des multinationales.
Arrêtons notre liste. Nous pourrions montrer des centaines d’études décrivant la réalité matérielle que nous cachent le 20 h de TF1 et de France 2 et dont on n’entend pas beaucoup parler par les dirigeants de la gauche.
Mais ces exemples sont suffisants pour montrer que les difficultés deviennent plus fortes et qu’une gauche digne de ce nom doit prendre à bras le corps dès le 7 mai 2012 au matin en cas de victoire que nous souhaitons ardemment.
Tout cela pour dire que la gauche si elle ne veut pas une fois de plus décevoir le peuple devra engager sur le temps court une rupture contre la finance libéralisée, contre le libre échange, contre l’austérité salariale et contre la contre-révolution fiscale. C’est même une condition de la sortie de crise y compris celle de la dette publique.
Les promesses faites par François Hollande, acceptées par le PS et les écologistes d’EELV, de 50 milliards d’économies en 2012-2013, d’une taxation sur les transactions financières de 0,05 % (José Manuel Barroso, président de la Commission européenne propose 0,1 % !), d’autoriser que la BCE rachète des emprunts d’État (ce qu’elle fait déjà à hauteur de 140 milliards d’euros, mais seulement sur le marché secondaire alors qu’il faudrait que la BCE le rachète directement aux États et donc désobéir à l’article 123 du Traité de Lisbonne), de refuser la retraite à 60 ans, ne sont manifestement pas à la hauteur des enjeux et refusent en fait les ruptures nécessaires de temps court. Alors que dire des nécessaires ruptures de temps long pour aboutir aux 4 ruptures et à l’application des 10 principes de la république sociale que nous appelons de nos voeux…
Pourtant, l’euphorie des 3 millions de votants aux primaires socialistes devrait laisser place à un peu de lucidité. Tout d’abord, les 4 et 3 millions de votants respectivement des deux primaires italiennes n’ont pas empêché le désastre programmé de la gauche italienne. Puis, le problème politique majeur est de combler le fossé entre la gauche et les couches populaires (ouvriers, employés, représentant 53 % de la population) sans quoi toute transformation sociale et politique n’aura pas lieu. Et sur ce point, une étude de l’IFOP du 4 janvier montre bien que la primaire socialiste a surtout mobilisé les populations âgées et diplômées et a été boudée par la grande majorité des jeunes, des ouvriers et des employés. Même Arnaud Montebourg n’a pas réussi à toucher la France du « non ». Il a plutôt fait ses voix dans les départements droitiers (en dehors de son fief) et « tertiarisés » du quart sud-est alors que Martine Aubry a plutôt fait ses voix dans le Nord et François Hollande a fait de bons résultats en Corrèze et dans le quart sud-ouest.
Pierre Moscovici, directeur de campagne de François Hollande, a pourtant assuré que « l’électorat populaire ne sera pas oublié ». Cela nous rassurerait si nous ne savions pas qui est Pierre Moscovici. Beaucoup se posent des questions sur sa capacité d’être toujours là dans les avant-postes du pouvoir.
Et bien disons-le derechef, il est le vice-président du Cercle de l’Industrie, un des plus importants lobbies patronaux du CAC 40. Vous avez bien lu. Et, bien oui, le directeur de campagne du candidat socialiste est un des dirigeants d’un des plus importants lobbies du CAC 40. Il n’est pas neutre d’être dans les conseils d’un candidat socialiste à la présidentielle et en même temps d’être co-responsable des politiques néolibérales dans la finance internationale ou dans les directions des multinationales. Vous me direz, c’est comme Karine Berger qui coordonne les experts, Emmanuel Macron, Stéphane Boujenah,Henri de Castries, André Martinez, Élie Cohen, Jean-Hervé Lorenzi, Jean-Paul Fitoussi, etc. Tous des dirigeants du monde des affaires. Conflits d’intérêts à tous les étages. Donc la question se pose, que font tous ses patrons ou ex-patrons qui ont codirigé les politiques néolibérales dans la période passée. Déjà le portugais José Sócrates, l’espagnol José Luis Zapatero, le grec George Papandréou et le belge Elio Di Rupo nous avaient habitués à cogérer le néolibéralisme dans leurs pays respectifs avec le patronat. On a vu les résultats.
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(sources: article écrit par Evariste, dans ReSPUBLICA)