Le prince Bézoukhov agonise. Son fils Pierre est un bâtard, donc exclu de la succession. Comme le prince n'a pas d'enfants légitimes, ses héritiers sont des collatéraux: trois princesses qui se sont occupées de lui et le prince Basile. Mis à l'écart dans le grand château, ne comprenant à peu près rien à ce qui se passe, Pierre attend pendant que les autres avancent leurs pions et isolent le vieillard.
Mais en recoupant leurs renseignements, ils apprennent que le mourant aurait fait un testament et une demande de légitimation qui instituerait Pierre son héritier unique. Les papiers sont dans un portefeuille sous l'oreiller de l'agonisant.
Ce qui se passe après est amené de façon magistrale. Tolstoï décrit la cérémonie d'extrême-onction du mourant dans toute sa solennité. De petites descriptions des mouvements des personnages font comprendre au lecteur que les héritiers légitimes volent le portefeuille pendant que le vieillard est éloigné du lit.
Par chance pour lui, Pierre qui ne comprend rien à tout ça (on suit la scène selon son point de vue) peut bénéficier de l'appui d'Anna Mikhaïlovna Droubetskoï, qui, dans le livre, représente le type de l'intrigante. Elle arrache le portefeuille des mains des ravisseurs et fait ainsi de Pierre l'héritier d'une énorme fortune.
Son objectif? Que Pierre, reconnaissant, et à qui elle assure faussement que son père lui avait promis son appui, soutienne de toute sa force son fils Boris, pour qui elle a déjà obtenu une place dans la garde en harcelant le prince Basile, celui-là même qu'elle dépouille maintenant au profit du bâtard.
Le lecteur, qui a tous les éléments pour comprendre ce qui se passe, se sent plus futé que Pierre, et a envie de secouer le héros pour le faire réagir. L'essentiel est en arrière-plan: une esthétique efficace. Toute cette scène dans la nuit est d'une étrange beauté, d'un mystère et d'un suspense réussi.