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Plus que quelques semaines pour profiter de la rétrospective Diane Arbus à la Galerie du Jeu de Paume, à Paris. Détour sur celle qui a photographié les marginaux comme personne.
L'Américaine Diane Arbus permet de pénétrer dans un monde mystérieux, comme un « soleil noir ». Découvrir un univers où surgit soudain la phrase célèbre de Saint-Exupéry citée dans Le Petit prince : « La beauté est dans le regard, non dans la chose regardée ». À partir de cette manière de postulat, c'est alors à nous d'aiguiser notre regard quand Diane Arbus l'a déjà fait. Savoir voir au-delà des normes. La photographe n'a pas eu froid aux yeux, n'a pas été timide ou peureuse, elle est allée au devant de ceux qu'on ignore, que l'on cache. Ces êtres presque réduits à l'état de non-existence. Hors cadre. Hors champ. Car la société construit depuis toujours des murs de béton pour cacher ses « fous », ses « dégénérés », ses marginaux quels qu'ils soient. Toutes ces personnes parfois réduites à l'état de curiosité médicale tels Joseph Merrick ou Kaspar Hauser, l'enfant sauvage. Ces personnes que seuls les chercheurs, analystes, neurologues, psychologues... regardent, ou plutôt observent, comme a pu le faire Charcot au XIXe siècle. Diane Arbus a su rendre une humanité à ces monstres invisibles en les rendant visibles pour ceux dont le regard n'a rien vu de la belle monstruosité de ces gens. Monstre signifie montrer et c'est bien ce que proposent les images de trisomiques, géants, psychotiques... monstres de foires rencontrés dans des institutions protégées. Protégées du regard des autres. Diane Arbus y va, est avec eux, et même les immortalise, leur donne une existence visible. Jumelles Être parmi eux avec toutefois cette distance établie par l'appareil photo. Diane porte bien son prénom qui va chasser les tabous de son milieu bourgeois, un milieu où tout est beau et léger. Mais elle cherche autre chose que la légèreté. Elle veut découvrir la société telle qu'elle est, avec ses démons. Peut-être pour expurger les siens. Née en 1923, Diane Nemerov grandit du côté de Central Park, à quatorze ans elle tombe amoureuse d'Allan Arbus, l'épouse à dix-huit. Ils créent leur studio photo pour la publicité et la mode. Trop admirative du travail de son mari mais aussi de ses deux filles, elle se laisse un peu porter par ça, sans prendre de grands risques photographiques. À 38 ans, trompée par Allan, elle est seule. La photo est désormais toute sa vie. En 1967 elle accède à la notoriété avec ses images de freaks exposées au MoMA, New York. L'élève de Lisette Model a bien suivi la leçon, photographier ceux qu'on n'a pas l'habitude de prendre en photo, les transsexuels aussi, si longtemps considérés comme malades mentaux au même titre que des personnes trisomiques ou psychotiques. Plus elle parcourt les chemins troubles, plus elle sombre elle aussi dans une sorte de mélancolie dépressive qui ne la quittera pas. En 1971, elle met fin à ses jours. Des barbituriques dans son appartement new-yorkais. A présent approchons-nous, regardons de plus près l'une des photos les plus célèbres de Diane Arbus, ces Jumelles identiques, prise en 1967 dans le New Jersey. Ces deux petites filles, si parfaites avec leur bandeau blanc cernant leurs cheveux noirs, leurs petites robes à col Claudine, leurs collants blancs, deux sourires à peine esquissés... approchons-nous encore plus près, ces jumelles sont les monstres de cirque, visibles. C'est ce qu'avait perçu Stanley Kubrick, si captivé par l'image qu'il s'en est inspiré pour l'une des scènes phares de Shining. L'enfant de l'écrivain fou circule dans les longs couloirs de l'hôtel isolé quand apparaissent les fantômes des jumelles d'Arbus. Une image effrayante. Elephant man et tous les monstres invisibles du monde n'auraient pas autant effrayé le spectateur.
© Corinne Bernard, janvier 2012.
Photos : 1) Jumelles identiques, Roselle, New Jersey, 1967. © The Estate of Diane Arbus. 2) Sans titre, 1970-1971. © The Estate of Diane Arbus. 3) Jeune homme en bigoudis chez lui, 20e Rue, New York, 1966. © The Estate of Diane Arbus.
Diane Arbus, exposition visible au Jeu de Paume, à Paris, jusqu'au 5 février 2012.Une très belle biographie parue en 2009 : Diane Arbus, Violaine Binet, éd. Grasset.