Je sais, belle cousine, que cela a pu te surprendre : une cinquantaine de nos frères créoles embarqués sur les ponts luxueux d'une croisière en Méditerrannée ? Bah, en période de crise, on s'amuse comme on peut. Et puis ça ne représente que 0,00006% de la population.
Je sais que tes seules croisières se font au petit matin et au crépuscule, dans un bus qu'il ne te faut pas rater. J'aurais été furieux si ton bus avait fait naufrage. Tu es si loin de moi, j'imagine le pire...
Mais, parle-t-on, dans ta villégiature de froidure, de cet autre naufrage, celui d'un kwassa-kwassa, qui faisait route des Comores vers l'Eldorado mahorais ? Trois mort, seulement. Qui viennent s'ajouter aux dizaines d'autres, depuis des années. La mort, ou simplement la peur de mourir, a des visages différents selon l'endroit où l'on vit.
Mais cessons de parler de choses tristes. Sais-tu que désormais, si tu passes sur la route en corniche, dans ta charmante Mini (je sais que tu n'as jamais apprécié les Ford Taunus), tu devra faire attention aux chutes de... cabris. En effet, quelques-uns de ces caprins se sont installés à flanc de falaise, et sont depuis coincés là. De temps en temps, il en tombe un. Je me souviens de nos jeux légers et de nos ris, sur la plage de la Saline, et de nos peurs d'enfants. Les requins. Ils ont pris leurs quartiers sur le bord de nos plages. C'est ainsi. Entre cabris et requins, et naufrages, notre vie est devenue dangereuse.
Mais, douce et sensible cousine, j'aime à penser que tu reviendras bientôt. Que je frôlerai ta main, sans que tu ressentes d'autre frisson que celui du plaisir.
François GILLET