François Malye est journaliste au "Point", spécialiste des questions historiques. Je ne le connaissais pas, ce qui n'est pas le cas du coauteur de ce livre. Benjamin Stora est probablement un de nos intellectuels les plus précieux. Universitaire, spécialiste de la guerre d'Algérie et de la décolonisation, son oeuvre est fondamentale pour la compréhension de cette période. Grâce à lui, ce sont des pans entiers de notre histoire qui ressurgissent et que certains auraient parfois préféré laisser dans l'oubli. Peu, autant que lui, auront oeuvrer pour la réconciliation entre les deux rives de la Méditerranée, et pour témoigner de l'histoire des juifs d'Afrique du Nord.
"Mitterrand et la guerre d'Algérie" est un ouvrage utile mais qui dans une démocratie qui fonctionne normalement n'aurait pas eu lieu d'être. On ne sait par quel miracle cette période de la vie publique de celui qui sera le premier (et à ce jour le seul) président de gauche de la Cinquième République, est complètement passé à la trappe. Il avait pourtant occupé des fonctions de tout premier plan, ministre de l'intérieur puis de la justice, et été même un temps pressenti pour devenir président du conseil.
C'est surtout la période où il fut ministre de la justice qui intéresse les auteurs. Il s'agit en effet de comprendre comment celui qui rentrera dans l'histoire pour avoir aboli la peine de mort, a pu être le garde des sceaux qui accepte le plus de peines capitales en période de paix (45 en Algérie, 52 si on ajoute les cas de métropole, et cela en 15 mois seulement). A l'époque, sous la Quatrième République c'est le Conseil Supérieur de la Magistrature avec le Garde des Sceaux et le Président du Conseil qui examine les recours en grâce. François Mitterrand donnera son assentiment dans la plupart des cas.
Le gouvernement de Guy Mollet restera comme un des plus répressifs que la France d'aprés-guerre ait connu. Certes, en 1956 et 1957, la quasi totalité du spectre politique est favorable à l'Algérie Française. Mitterrand n'y échappe pas, pourtant, il est probablement un de ceux qui a la meilleure compréhension de ce qui se passe là-bas. De plus, il a déjà fait par le passé des déclarations favorables aux peuples colonisés. Pourtant, il occupera avec zèle le rôle de garde des sceaux intransigeant.
Pourquoi ? Les raisons sont multiples, mais une des plus importantes évoquées par les auteurs est que François Mitterrand a toujours privilégié son plan de carrière. Au risque d'y laisser ses convictions. Sur la fin de sa vie, avouera, non sans difficultés que la seule chose qu'il regrette dans son parcours, c'est la Guerre d'Algérie. De la part d'un homme qui a fréquenté les ors vichystes, l'aveu en dit long sur son action dans cette période. Peut-être est-ce d'ailleurs de ces remords que viendra l'abolition de la peine de mort ?
Il va de soi qu'il faut lire ce livre. Il est essentiel, non seulement pour comprendre la complexité du personnage Mitterrand, mais surtout parce qu'il éclaire d'un jour nouveau la Guerre d'Algérie, et met en évidence les erreurs commises par la France, par lâcheté ou par aveuglement. A la fin du livre, on se dit qu'un bain de sang aurait peut-être pu être évité. Mais l'image de Mitterrand n'en sort pas forcément amoindrie. Ce qu'il en reste, c'est un homme pris dans la tourmente de l'histoire avec ses forces et ses faiblesses. Un humain, quoi !