Disponible dès le 18 janvier dans toutes les librairies
« C'est un banquier américain qui se balade dans un petit village malgache. Il rencontre un pêcheur qui revient au port avec quelques poissons, et il le félicite pour sa pêche. Puis il lui demande combien de temps il lui a fallu pour attraper tout ça. Oh pas beaucoup, lui répond le pêcheur. Mais alors pourquoi vous êtes pas restés en mer plus longtemps ? Vous auriez attrapé plus de poisson. Pas besoin, répond le Malgache, ces poissons-là suffisent amplement pour moi et ma famille. Et le reste du temps, vous faites quoi ? demande le Ricain. Je fais la grasse matinée, je joue avec mes enfants, je fais la sieste, je m'occupe de ma femme [...]. J'ai une vie bien remplie. Le banquier lui explique que lui, il est diplômé d'Harvard et il peut l'aider à mieux s'organiser. Déjà, qu'il lui dit, vous devriez sortir plus longtemps en mer, ça vous ferait plus de poissons et vous pourriez en revendre une partie. Avec les bénéfices, vous achetez un bateau plus gros [...]. Comme vous aurez plus de moyens au lieu de vendre votre poisson à un intermédiaire vous pourrez négocier directement avec une usine à l'étranger, et même ouvrir votre propre usine. [...] Et après, je ferai quoi ? demande le pêcheur. Après ? C'est là que ça devient intéressant. Vous mettez votre société en bourse et vous gagnez des millions... Des millions ? demande le pêcheur, mais j'en ferai quoi ? Ben, vous pourrez prendre une retraite bien méritée, dit le banquier. Et habiter dans un petit village, faire la grasse matinée, jouer avec vos petits-enfants, faire la sieste avec votre femme et boire un coup avec vos copains. Le rêve... » (p. 311)
Ce long extrait permet de saisir la philosophie distillée à travers tout le dernier roman de Mikhaïl W. Ramseier, sorte de parabole sur cette idée, omniprésente dans l’œuvre de Ramseier, de se retirer du monde, de vivre simplement, de profiter de la vie, d'arrêter de courir après l'abondance, la performance. En refermant ce bouquin, on ne pense qu'à ça...
Peut-être au détriment de l'histoire que l'auteur veut nous raconter?
Tamatave (Toamasina), Diego Suarez, Antananarivo, Nosy Be...
À Madagascar, Hippolyte, Thierry et Norge se rencontrent suite à la mort d'un vieil homme, Edmond, qui passait ses journées à écrire des lettres, attablé dans un café d’Antananarivo, la capitale. En cherchant la mystérieuse personne à qui Edmond s'adresse dans ces lettres, à qui il lègue aussi sa maison et sa fortune, les trois hommes tombent sur différents indices qui les poussent sur les traces de pirates, de sorciers et d'une étrange famille de Nosy Sainte-Marie.
Sans jamais être inquiétés dans leurs recherches, les trois compères, dont on ne sait presque rien, arriveront peut-être au bout de leur peine... sans vraiment savoir ce qui les attend.
Hippolyte est le personnage que l'on cerne le mieux et qui est le plus mis de l'avant. Sympathique banquier suisse (je n'aurais jamais cru écrire ces trois mots ensemble...), il se pose beaucoup de questions sur son avenir, ses relations, notamment avec les femmes. Il semble incarner l'homme parfait, respectueux, épicurien, protecteur, mais incapable de s'engager dans une relation durable. Les personnages secondaires restent quant à eux un peu mystérieux, mais Norge est un personnage créé par Ramseier dans son précédent roman, Otchi Tchornia, publié chez Coups de tête également, en 2010. On en apprend donc plus sur son compte en lisant ce précédent roman. Thierry incarne un personnage plutôt antipathique au début, et auquel on s'attache progressivement, jusqu'à cette fin brusque et trop peu élaborée.
Jouer avec les mots
Cette histoire de trésor est finalement un prétexte pour asséner quelques vérités au lecteur. L'auteur, anarchiste, développe ses idées politiques par le truchement de sa plume acérée. Le langage, souvent argotique et très familier, tout en étant de haut niveau, amène une proximité avec les personnages. Loin de nous agacer, cette façon d'écrire très imagée colle parfaitement au type d'histoire (aventure) et aux lieux décrits. On sent aussi que l'auteur, grand voyageur, connaît probablement très bien Madagascar. Il semble beaucoup s'amuser avec les mots et c'est tout à fait réjouissant.
Mis à part quelques passages à mon sens moralisateurs, et une ferme volonté de défendre ses trois personnages pourtant pas toujours blancs comme neige, cette lecture reste agréable d'un bout à l'autre par sa façon de nous amener ailleurs, dans un imaginaire non loin de la piraterie, des coutumes malgaches, de l'Histoire avec un grand H (la présence française à Madagascar, puis l'indépendance de l'Île, puis les troubles politiques).
Quelques imperfections ici et là, notamment dans l'équilibrage des différents personnages et dans la façon un peu maladroite d'asséner de grandes vérités.
« – Oui, j'ai fait le choix d'un mode de vie qui me convient. Le dépaysement, la tranquillité. T'as le climat, la mer... T'es chez toi.Sur le site de la maison d'édition Coups de tête, nous pouvons lire que « Mikhaïl W. Ramseier est né à Genève dans une famille ayant fui les joyeusetés de la révolution russe. Il publie ses premiers poèmes à l'âge de 17 ans, puis fait les trente-six métiers avant de partir à l'aventure autour du globe. Il enseigne le français à Katmandou, devient voyagiste en Mongolie, tour leader en Afrique du Sud et en Syrie. Il pond quelques récits et recueils de poésie, devient journaleux, édite des anti guides de Moscou et Saint-Pétersbourg, publie des essais historiques sur les pirates et les Cosaques.
– Plutôt individualiste, comme démarche.
– Complètement! La société, la politique, les guerres, je m'en fous. Je ne me sens pas concerné, Je sais que ça fait égoïste, mais j'assume. Je suis pas sur terre pour très longtemps, alors j'ai l'intention d'en profiter. Et comme j'ai pas les moyens de changer quoi que ce soit, autant vivre le mieux possible en attendant la fin.
– Rester dans son coin, c'est la solution ?
– Tout ce que je sais, c'est que ça me fait ni chaud ni froid, ce qui se passe au Pérou. C'est pas vraiment mon affaire.
– Les inondations, la faim dans le monde... T'es pas touché? Demande Hippolyte. » (p. 234)
Il a maintenant posé sa lourde carcasse dans une île des Caraïbes, où il passe son temps à faire des grillades au bord de la piscine et à siroter du rhum ou de la vodka, selon l'humeur. »
Alors, ça ne vous donne pas envie de tout lâcher et de vous exiler, vous aussi?
Humeur musicale : Bande-originale du film Pina, par divers artistes, entre autres René Aubry (380 Grad, 2011). Premier magnifique film vu en 2012, pour bien commencer l'année...