Quand on découvre les sculpturales poupées de Giovanna Gabrielli, on oublie tout, et on entame un voyage dans le temps, dans l’histoire, au cœur de la vieille Europe. J’ai eu la chance de découvrir son travail par hasard, et quelle découverte ! Elle a accepté de répondre à mes questions. C’est un scoop ! Portrait d’une femme passionnée.
Styl is Tika existe aussi dans le but qui est de vous faire découvrir de vrais talents, et de véritables artistes. Je l’avoue Perlé Cendre est mon grand coup de cœur de ce début 2012. Elle est sans doute La créatrice de demain.
L’esthétisme comme mode de vie
Les poupées de Giovanna Gabrielli viennent d’Asie. Ce sont des BJD - Ball Jointed Doll, poupées à articulations sphériques - mais son univers vient d’Italie. Giovanna est une sculptrice, plasticienne française d’origine italienne. Elle vit à Lyon, mais a une envergure internationale. Et pour répondre à votre question : oui, ce sont des poupées de collection, et pour adultes !
Beaucoup de créateurs créent, habillent, customisent ces poupées fascinantes, mais aucun ne propose un univers si complet et si curieux.
Nous sommes dans un cabinet de curiosités (1) miniature. On ne parle même plus de poupées, mais de modèles.
Le modèle pose dans un cadre en trois dimensions, trône sur un socle, ou est épinglé tel un insecte rare sur un médaillon. Parfois la créatrice permet au modèle de varier la pause, ce qui en fait un tableau mouvant, un modèle « é-mouvant », mais la plupart du temps le petit mannequin ne fait qu’un avec son écrin. Ces modèles mesurent entre 50 et 70 cm de haut, et les caissons ont 30 cm de profondeur. Alors quand je vous parle de cabinet de curiosité, c’est presque un « show room de curiosité ». Giovanna est une passionnée d’antiquité vous l’avez deviné, et pratique l’esthétisme comme un mode de vie.
Créatrice et directeur artistique à la fois
Au départ, le moulage de la BJD arrive brut, sans cheveux, ni yeux. Giovanna lui donne une âme, une identité, l’habille, la coiffe, la maquille. Les yeux sont en silicone, ce qui leur donne ce côté vitreux, nostalgique, et si réaliste. Elle coud elle-même les vêtements. Elle réalise le décor entièrement à la main, en collant, cousant, cloutant tout ce qu’elle a chiné pour son tableau. Ce qui fait d’elle une antiquaire, une décoratrice d’intérieur, une créatrice de mode, une maquilleuse, et un directeur artistique à la fois. Oui Giovanna Gabrielli est polyvalente. Il n’est pas exclu de la voir dans quelque temps décorer les vitrines de grandes marques et de grands magasins.
L’anti Pin’up
Elle aime les églises et les Madones italiennes, Botticelli et les maîtres italiens. Elle s’inspire beaucoup de globes de jeunes mariées dans années 1900 et des photos d’époque. De l’univers préraphaélite (2), de la période romantique, de l’esprit Rocaille, de la mode, de la peinture du XVIIIe ; dans son art, tout est calculé et instinctif à la fois. On pourrait même dire qu’elle est une voyageuse dans le temps. Quand je dis un esprit Rocaille, on peut dire Rococo. Au XVIIIe la bourgeoisie et la noblesse s’enthousiasment pour cet esprit fait de courbes, de figures en porcelaine, et petits objets décoratifs sans utilité ! Quand je vois le travail de Giovanna, je ne peux m’empêcher de penser au Palais de Sans-Souci (3). La vielle Europe du XVIIIe siècle défile, entre Italie, France, Allemagne. Ces œuvres sont aussi un voyage sur la face cachée de la lune, une lune mélancolique, secrète. On y voit du Georges Méliès pour les effets spéciaux, et du Jules Verne pour le voyage dans les profondeurs non pas de la terre mais de l’âme humaine.
Ces visages au teint de porcelaine évoquent ceux de Mark Ryden, ou bien de Benjamin Lacombe. Ils ne sourient pas, et leur mélancolie est infinie. Entre conte macabre pour adultes, et allégorie des temps modernes. Saluons au passage le superbe travail photographique de Nicolas Villion, qui rend ces modèles presque vivants.
Ces personnages ont des noms d’influence italienne et racontent chacun une histoire.
•Le modèle Zuchero Blu est une femme qu’on offre, une icône de Jean Paul Gauthier sortant d’un gâteau d’anniversaire rêvé. «Elle a souffert mais garde sa dignité, sa force, même si elle peut parfois être confrontée malgré elle à ne redevenir qu’un objet, mais l’unique objet du désir tant convoité par Lui», selon G.G.
•La femme Ave Maria est une Madone italienne revisitée aux yeux menthe à l’eau, à la chevelure Botticellienne. «Elle est la grâce et la pureté portant avec une résignation mélancolique le poids du sacrifice. Imperturbable source de vie au milieu du maelström de souffrance et de destruction. Un phare lumineux irradiant dans une infinie obscurité» , selon G.G.
Ces modèles représentent la femme, la féminité sous toutes ses formes. La femme objet autant que la femme forte, c’est elle qui porte le monde. La femme enfant, rêvée, féérique. Une femme double et simple à la fois. D’où le thème de la gémellité qui est récurrent. Ou bien peut-on parler d’effet miroir. De symétrie, comme un besoin de voir son reflet (voir le tableau Gemelle Mistice ci-dessous). C’est une femme moderne aussi, des cheveux aux couleurs de Katty Perry ou Lady Gaga. A vous d’y voir la femme dont vous rêvez.
(1) qui rassemble, collectionne des objets d’histoire naturelle, insectes, crânes, animaux empaillés, et des œuvres d’art, peintures, médaillons, objets hétéroclites.
(2) confrérie de peintres anglais du XIXe siècle visant un retour à la nature, à l’idéalisme et à la poésie picturale
(3) la demeure d’été du roi de Prusse Frédéric le Grand, qui se trouve à Postdam, près de Berlin
A lire : La biographie de Giovanna Gabrielli sur son site, en complément de cet article.
Si vous aimez l'univers des poupées anciennes et modernes, allez visiter le Musée de la poupée, qui se cache derrière le centre George Pompidou, à Paris. C'est un voyage culturel, sociologique également. Un trésor pour enfants et adultes !
La Sposa Perduta 50x31cm © Photographie Nicolas Villion
Zoom sur Zucchero Blu © Photographie Nicolas Villion
Zucchero Blu © Photographie Nicolas Villion
Gemelle Mistice 70x55cm © Photographie Nicolas Villion
Ave Maria © Photographie Nicolas Villion