On attendait avec une telle impatience la nouvelle mise en scène de John Malkovich que la déception serait presque au rendez-vous... Il faut dire que la promesse de nous offrir une vision modernisée et rajeunie de ces mythiques "Liaisons Dangereuses" (tant l'oeuvre de Choderlos de Laclos que le film de Stephen Frears) avec une distribution fraîchement sortie des écoles et conservatoires nationaux était des plus alléchantes. Comment allait-ils revisiter cette guerre cruelle, perverse, vicieuse, sensuelle, sexuelle que se livrent Merteuil et Valmont ? Qu'est-ce que le jeune théâtre français associé au génie créatif de l'acteur américain allaient bien pouvoir produire d'extraordinaire ?
Eh bien, un travail...
Un travail certes de qualité, intelligent, rigoureux, plutôt subtilement interprété, mais pour l'instant encore, simplement un travail. Presque un exercice d'élèves. Un ensemble de propositions qui n'en ferait pas encore une seule, le metteur en scène ayant, à mon sens, accordé une trop grande liberté à ses comédiens, les laissant proposer et essayer, souvent avec justesse, sans toutefois corriger les quelques fausses bonnes idées, ni véritablement imposer de vision précise de l'oeuvre.
Cela dit, la force du spectacle réside dans la volonté de Malkovich d'aller à l'essentiel et, plus que le moderniser, rendre le propos intemporel. Pour ce faire, oubliées les lourdes boiseries et dorures qu'aurait pu comporter un décor écrasant, de même que les robes à panier et autres perruques. Ici le jean côtoie la chemise à jabot et la scénographie épurée porte quelques rares traces d'un lustre d'antan quasiment disparu. La tablette numérique remplace la plume et le parchemin, quand l'option appareil photo du téléphone mobile joue les voyeurs . Pas (ou peu) d'effet de mise en scène, seul le jeu des comédiens compte. Parlons d'eux, justement...
Commençons par affirmer haut et fort que cette distribution, aussi talentueuse soit elle, pêche par sa jeunesse, manquant cruellement de vécu pour que ces échanges, ébats et affrontements produisent au mieux sens et émotions. Ceci étant posé, aucun ne démérite. A commencer par Yannik Landrein dont le jeu dense, aux nuances multiples, donne à voir un Valmont complexe et passionnant. Sa maîtrise du personnage alliée à son aisance sur le plateau font qu'il conduit et porte la pièce de manière assez impressionnante. Dans le rôle de Merteuil, Julie Moulier a plus de mal. Si elle a su trouver la distance, la froideur, la dureté du personnage, elle devra rapidement aller chercher la passion, le désir, le vice, et la perversion, car elle n'est pour l'instant pas en mesure de rivaliser avec Valmont.
Quelques mots sur ceux qui font les frais de leur bataille. En Madame de Volanges, Pauline Moulène livre un jeu d'une appréciable précision. Nonobstant quelques scories, Jina Djemba (Tourvel) fait preuve d'une belle sincérité. Rosa Bursztejn (Cécile de Volanges) ne confond pas ingénuité avec bêtise, et propose une vision de l'innocence fort touchante, à l'image de Mabô Kouyate qui, en frêle Danceny, nous a émus. Saluons enfin la prestation difficile mais réussie de Lola Naymark (Emilie) qui assume totalement et longuement une nudité quasi intégrale. On attend d'ailleurs en vain tout au long du spectacle le pendant masculin d'une telle exposition de chair, pourtant nécessaire au propos. Il apparaît en effet comme peu compréhensible que Valmont ne tombe, à un moment ou à un autre, ne serait-ce que la chemise ou le pantalon...
En conclusion, gageons que ces "Liaisons", riches de talents certains, devraient et devront évoluer pour convaincre tout à fait. Un spectacle qui, s'il se cherche encore, s'appréciera probablement pleinement d'ici un mois.
Attendez donc un peu avant de vous rendre au Théâtre de l'Atelier.