Avec la loi réprimant la violence psychologique faite aux femmes et la proposition d’abolir la prostitution, l’UMP s’est lancé dans une extravagante croisade postféministe.
Par Drieu Godefridi
Article publié en collaboration avec l’Institut Turgot
Depuis quelques années, le parti de la majorité présidentielle (UMP) semble s’être résolument engagé dans une croisade postféministe, au sens d’atteindre des objectifs qui vont au-delà de l’égalité des droits et de l’indépendance financière conquises par les femmes.
Il s’agit, à présent, de faire le bonheur des femmes malgré elles et, au besoin, en cassant, aux dépens de l’homme, le principe d’égalité de l’homme et de la femme devant la loi.
Il y eut d’abord la loi réprimant la violence psychologique faite aux femmes, votée en 2010 à l’unanimité (des rares membres présents) de l’Assemblé nationale et du Sénat, suite à l’initiative du député UMP Guy Geoffroy. Personne, dans l’hémicycle, n’osa ne serait-ce que s’abstenir face à ce progrès manifeste de la civilisation (après la répression de la violence physique, la répression de la violence psychologique), de crainte, on le devine, de passer pour une curiosité morale.
Pourtant, cette loi aurait pu surprendre. La consultation du Rapport d’information fait au nom de la mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre la violence faite aux femmes, publié par l’Assemblée nationale, montre en effet que la loi du 9 juillet 2010 sur la violence psychologique faite aux femmes repose sur un chapelet de sophismes, tressés de pseudo-liens de causalité qui auraient fait se gausser l’Aristote de la logique formelle.
Il fut, en effet, allégué que la violence physique contre les femmes, dans le couple, débute toujours par des violences psychologiques et que, dès lors, en réprimant ces dernières on réduira les premières.
Il n’est pas possible d’entrer ici dans le détail de cet argument, ce que nous ferons dans un essai qui paraîtra prochainement [1]. Disons seulement que de nombreux obstacles pratiques et conceptuels vinrent se dresser sur le chemin des députés, tels que l’impossible définition de la violence psychologique, le fait que celle-ci n’a pas de sexe, le caractère malaisé de sa preuve, ou le risque de nombreux abus, et qu’ils furent aussitôt balayés par le zélé rapporteur UMP. M. Geoffroy agissait, pour la circonstance, à l’instigation d’une avocate, Me Yael Mellul, venue expliquer aux députés que :
la violence psychologique est construite en strates successives. Cela commence par le dénigrement, de petites attaques (…) Ensuite vient la maltraitance psychologique, puis la maltraitance physique et les coups, enfin l’homicide.
« Un meurtre ! », voilà ce qu’est la violence psychologique, selon Me Mellul, qui soutint également, sans que personne ne la contredise, l’irréversibilité du processus qui va du dénigrement à l’homicide (on se reportera, pour le surplus de cette intervention déterminante, au Rapport de l’Assemblée nationale).
Bourreau masculin, victime féminine : à aucun moment, le Rapport n’envisage qu’il puisse, dans le cas de la violence psychologique, en être autrement. Pourtant, aucune étude scientifique n’établit que la violence psychologique, dans les couples, serait plus souvent le fait des hommes que des femmes. Combien d’hommes vivent dans la crainte de susciter l’ire de leur épouse ? Combien d’hommes ont cessé de fréquenter leurs amis, voire leur famille, parce que leur épouse le leur a, de facto, interdit ? Combien d’hommes se font rabaisser par leur épouse lorsqu’ils traversent des difficultés professionnelles ? Combien d’hommes sont trompés par leur épouse ? Combien d’hommes subissent un chantage aux enfants (si on divorce, tu peux dire adieu à tes enfants) ? Combien d’hommes se font-ils agonir de reproches, voire d’injures, lorsque l’humeur de leur épouse se trouble ?
De plus, l’idée que la violence psychologique serait essentiellement masculine implique nécessairement, dans une société où les femmes sont financièrement indépendantes, que la femme est foncièrement meilleure que l’homme. D’une nature supérieure, d’une essence en quelque façon plus pure. C’est, en dernière analyse, de ce postulat bouffon que procède toute entière la loi du 9 juillet 2010. (Notons, en rang très accessoire, que Me Mellul vient elle-même d’être condamnée en correctionnelle pour non-présentation d’enfant mineur à l’ex-épouse de son conjoint, que celui-ci accuse publiquement de… violences psychologiques. Quand l’idéologie postféministe se fracasse sur les récifs de la réalité !)
Vient à présent la proposition d’abolir la prostitution, dont on perçoit intuitivement qu’elle est promise, dans le registre de l’efficacité, au plus éclatant des succès (si tant est que ce genre de loi vise réellement l’efficacité, et non la seule immolation symbolique du bourreau fantasmé). Une fois encore, M. Guy Geoffroy se distingue par zon zèle empressé à faire accepter aux députés de la majorité les poncifs moralisants les plus fatigués contre la prostitution, dans le sillage de la Suède qui pénalisait, dès 1999, les clients des travailleuses du sexe.
La criminalisation de comportements aussi universels, dans le temps et l’espace, que la prostitution ou la consommation d’alcool, aboutit, partout et toujours, au déplacement de l’activité pénalisée et au renchérissement d’une pratique qui devient, de ce fait même, le monopole de réseaux criminels. Pas plus que les États-Unis à l’époque de la prohibition, ou l’ensemble des États occidentaux dans leur guerre constamment perdue contre la drogue, la Suède ne dément cette vérité. Surtout, les rapports sexuels entre des adultes majeurs et consentants, fussent-ils tarifés, ne sont-ils pas, dans un pays de liberté, hors le ressort de la police ?
Pourquoi ne nous inspirerions-nous pas plutôt de la Nouvelle-Zélande qui, en libéralisant totalement la prostitution en 2003, jusque et y compris le proxénétisme, a brisé les réseaux criminels et permis que soient traités, au grand jour, les effets de bord non désirables qui s’attachent à la prostitution, comme à tant d’autres activités humaines ? Dans la prostituée, la loi suédoise et M. Geoffroy ne voient qu’une victime à laquelle l’État doit imposer d’autres choix de vie, tandis que la loi néozélandaise la considère avant tout comme une personne, responsable de ses actes et de ses choix. De ces deux conceptions, laquelle est la plus conforme aux fondamentaux de notre civilisation ?
Cette extravagante croisade de l’UMP, entre postféminisme et ordre moral, illustre le propos du philosophe Philippe Nemo dans sa récente Régression intellectuelle de la France (Texquis, 2011), selon lequel on est en train de nous façonner, par versets législatifs successifs, une nouvelle religion, dont il est demandé aux magistrats, qui n’en peuvent mais, d’être les inquisiteurs.
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Sur le web
[1] « La violence faite aux hommes », Texquis, 2012.