Le scandale qui opposa UBS aux autorités américaines en 2008-2009, à la suite duquel la banque s’est vue contrainte de leur livrer les noms de milliers de clients américains, avait montré la volonté des Etats-Unis à lutter contre l’évasion fiscale.
C’est dans ce contexte que les Etats-Unis ont mis en place la réforme FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act), qui permet de mieux contrôler les comptes des contribuables américains au sein d‘institutions financières étrangères. Une réforme qui n’est pas sans conséquences pour les banques européennes…
Retour sur les principes
Le statut de Qualified Intermediary (QI), accordé par l’IRS (Internal Revenue Service, l’équivalent américain du Trésor Public), permet à une institution financière étrangère exerçant une activité aux Etats-Unis de simplifier son processus de reporting fiscal. En contrepartie, l’institution financière s’engage auprès de l’IRS à fournir l’information nécessaire à l’identification de ses clients américains, afin d’assurer la taxation des paiements faits par des « US persons » (contribuables américains) à des personnes non-US, ainsi que de garantir l’imposition des revenus et plus-values des personnes US à partir de comptes hors des Etats-Unis.
Une première tentative de modification du statut de QI intervient en décembre 2008 à travers l’Announcement 2008-98, amendement visant à renforcer leurs obligations. Mais c’est finalement la législation FATCA, incluse dans le HIRE Act[1] de Mars 2010, qui constitue la réponse attendue afin d’améliorer l’identification des comptes américains domiciliés dans des établissements étrangers et de lutte contre la fraude fiscale.
En synthèse, FATCA se veut être un outil supplémentaire de lutte contre l’évasion fiscale. Couvrant un périmètre d’intervenants beaucoup plus large que les institutions financières jouissant du statut de QI, FATCA fait appel à la dénomination de Foreign Financial Institution (FFI), autrement dit tous les prestataires de services financiers. Sont notamment inclus dans cette dénomination toutes les banques étrangères, les brokers, chambres de compensation et de règlement-livraison étrangers, ainsi que tous les types de fonds, y compris les ETF, les fonds de private equity, les fonds de fonds, les hedges funds et SPVs[2] . Certaines activités d’assurance pourraient également être concernées. Le nombre d’institutions susceptibles d’être concernées par cette réglementation est donc bien plus important que le nombre de QI.
Retenue à la source par les banques étrangères
La principale mesure inscrite dans FATCA est l’obligation imposée aux FFI d’effectuer une retenue à la source de 30% sur une large catégorie de revenus (en particulier salaires, primes, intérêts de placements et dividendes)[3], pour lesquels les institutions ne pourraient justifier d’une éventuelle éligibilité du contribuable à un taux réduit ou à une exemption.
D’ailleurs, la loi supprime la présomption d’innocence en contraignant les FFI à effectuer cette retenue, dès lors qu’elles ne peuvent prouver le caractère non-américain du compte en question. Ainsi, un compte est déclaré comme « US » :
- s’il est directement détenu par une « US person », un contribuable américain (personne physique ou assimilé) ; ou
- s’il est détenu par une entité étrangère dans laquelle une « US person » a une participation supérieure à 10%, ou plus de 10% des droits de vote.
Au-delà des comptes américains déjà recensés par l’IRS et soumis au régime d’imposition standard, seuls les comptes pour lesquels le FFI aura pu prouver le caractère non-US échapperont désormais à la retenue à la source de 30% instaurée par FATCA.
Figure 1 – Identification des situations dans lesquelles un compte échappe à la retenue de 30%
Les informations requises par la loi incluent le nom et l’adresse du possesseur du compte, son code fiscal, ainsi que le solde du compte et les mouvements de l’année passée. Les contraintes de reporting seront différentes selon qu’il s’agit d’un compte existant ou nouvellement créé, d’une personne physique ou d’une entité juridique.
Le « passthru payment »
De plus, afin d’empêcher l’utilisation de FFI soumis à FATCA par des FFI non-conciliants pour investir sur le territoire des Etats-Unis, la réglementation introduit la notion de « passthru payment », un paiement entre FFI sur lequel une retenue est susceptible d’être appliquée. Ainsi, tout flux financier perçu par un FFI soumis à FATCA, provenant d’une institution financière étrangère où qu’elle soit, serait ainsi susceptible d’être taxé.
A titre d’exemple, un FFI B (intervenant directement aux Etats-Unis) recevant un flux financier de $50 millions de la part d’un FFI A (ex. une filiale européenne d’une banque française) ne se conformant pas à la réglementation, devra appliquer une retenue sur une partie de ce paiement.
Figure 2 – Principe du « passthru payment » et retenue
Par l’introduction de cette règle rédhibitoire, les Etats-Unis empêcheraient tous les intervenants sur le marché américain d’entretenir des activités avec des FFI non-conciliants, en particulier des banques et institutions financières européennes.
Impacts opérationnels pour les institutions financières
Des dizaines de millions de comptes sont susceptibles d’entrer dans le périmètre de FATCA . Cela suppose donc la mise en œuvre d’un système de reporting extrêmement poussé et des investissements considérables pour l’adaptation des systèmes informatiques. Dans la mesure où une solution automatisée ne pourrait être mise en œuvre d’ici à la mise en application de la loi, au 1er janvier 2014 , le coût de l’obtention manuelle des informations d’identification pourrait être de l’ordre de $10 par compte, en moyenne .
Par ailleurs, le secret bancaire existant dans certains pays va entrer en conflit avec les contraintes de transparence imposées.
La Fédération Bancaire Européenne et l’Institute of International Bankers ont réagi, dans une lettre commune , contre les contraintes imposées par FATCA, notamment les milliards de dollars de coûts qui incomberaient aux FFI. Ils appellent à prendre en compte le risque d’évasion fiscale, qui varie suivant les institutions et les types de comptes, plutôt que de viser une couverture exhaustive (les paiements faits aux états ou aux banques centrales, jugés peu risqués, sont notamment déjà sortis sur périmètre de FATCA).
Il reste que FATCA n’en est qu’à ses premières versions et doit maintenant être implémenté conjointement par le Trésor et l’IRS, et l’on peut souhaiter que des assouplissements viennent prendre en compte le coût et la faisabilité pour les institutions financières étrangères d’instaurer un tel système de reporting et de retenues. La mise en application des retenues sur « passthru payment », entre FFI, a d’ores et déjà été repoussée à 2015. Dans tous les cas, comme le montra la loi Sarbanes-Oxley à ses débuts, il est clair que les institutions financières étrangères ne pourront s’affranchir d’une telle directive, aussi contraignante soit-elle.
[1] Hiring Incentives to Restore Employment Act : ensemble de mesures visant à stimuler l’emploi américain.
[2] Special Purpose Vehicle.
[3] Les principales exceptions sont les intérêts sur dépôts bancaires, les intérêts de portefeuille et les plus-values de ventes immobilières.
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