Mégalithes de Karahunge et pétroglyphes d’Ouktassar

Par Argoul

Deux jeeps russes et un van 4×4 nous attendent devant l’hôtel de Sissian, en Arménie.

Indispensables car le bus ne peut rouler que sur la vraie route. Les routes secondaires sont pleines de nids de poule et s’achèvent en pistes défoncées. Cela pour aboutir à un site mégalithique appelé Karahunge, ce qui veut dire « les pierres qui parlent ».

Se dressent des alignements de 222 menhirs d’un demi-mètre jusqu’à 3 m de hauteur, des cromlechs, des dolmens. Certains menhirs ont un trou à leur sommet. Serait-ce pour les transporter ? Non pas, la pierre n’est pas assez solide. Ce serait plutôt pour observer.

Quoi ? Les étoiles et les planètes, comme à Stonehenge ou Carnac. Les alignements et les orifices creusés volontairement auraient servi d’observatoire astronomique, imaginent les scientifiques d’aujourd’hui Probablement pour prévoir le temps des semences et des récoltes : 17 pierres servent à observer le soleil aux solstices et 14 pierres servent à observer la lune. La pierre n°63 servait de calendrier. D’où le nom du site, « les pierres qui parlent ».

L’académicien arménien Paris Heruni a étudié cet ensemble de 1994 à 2001. Un cercle central est composé de 40 pierres sans trou. Au centre du cercle, une construction souterraine de 7 m sur 5 m. Le cercle nord est composé de 80 pierres sur 136 m, dont certaines sont à trou. L’aile sud comprend 70 pierres dont 25 à trou, sur 115 m. Le chemin de pierres nord-ouest part du cercle central vers le lever du soleil le jour du solstice d’été. Il comprend 8 pierres dont 2 à trou sur 36 m et 5 pierres isolées trouées. En reconstituant le ciel de l’époque, visible à travers les alignements et les trous, le site serait daté de 7500 ans avant notre ère. Des fouilles entreprises par l’archéologue Hasratian ont permis de découvrir des bijoux en bronze, des miroirs, de la poterie et des tombes, le tout daté de -3000.

La piste continue, largement défoncée, vers les montagnes Oukhtassar qui culminent à 2800 m. La température se rafraîchit et le chauffeur, qui me voit en débardeur, s’inquiète de savoir si je parle russe pour me demander si j’ai un pull pour là haut. J’en ai tout un sac, avec la gourde et le pique-nique car nous allons « marcher ». Prudent, le chauffeur encore jeune, avec sa jeep encore neuve (dans les 14 000 km au compteur), a pendu une croix arménienne au rétroviseur. Il ne fait pas vraiment confiance à la mécanique socialiste. Si les jeeps grimpent jusqu’au sommet, elles nous lâchent une heure avant pour que nous puissions accomplir notre randonnée quotidienne.

A mille mètres de plus qu’hier, ce n’est pas une sinécure, trop brutal. Mais l’air est frais et les fleurs alpines parmi l’herbe bien verte. Un lac glaciaire étend ses eaux huileuses, immobiles. Quelques rares papillons volent encore malgré la température de 15° le jour qui doit chuter la nuit, des hirondelles trouvent leurs insectes ici l’été. Poussent des fleurs à profusion, œillets, boutons d’or, arnicas, marguerites, campanules… Nous supportons la polaire malgré l’effort. Un petit vent monte de la plaine qui accentue le frais.

Des pierres plates de basalte érodé, auxquelles la chimie, la glace et le soleil ont donné une belle patine orange foncé, servent de fond pour les gravures. Des piquetages d’il y a 5000 ans montrent des chars attelés, des animaux, des humains armés… On reconnait des bouquetins, des guerriers se battant, des animaux à cinq pattes (mais comprenant la queue). Nous prenons le pique-nique de tomate, pomme de terre cuite et porc froid parfumé aux herbes au bord du lac avant d’errer parmi les blocs.

Les pétroglyphes paraissent sévères, figés au bord de leur eau noire, au sommet du massif. Ils sont d’un seul côté du lac, face orientée au soleil levant, dispersés sans ordre apparent. A quoi servaient-ils ? Témoignage d’existence face aux dieux et aux puissances ? Offrandes d’art propitiatoires ? Délimitation de territoire ? Piotr O’Glyphe, expliquez-nous.

Petite descente digestive, histoire de marcher encore en altitude, puis nous reprenons les jeeps et enlevons nos fourrures. Dès que nous descendons, la chaleur monte. Nous revenons au croisement de routes d’après les mégalithes du matin et, cette fois, tournons à droite au lieu d’aller tout droit. Le bus nous attend à une station service où nous pouvons acheter de l’eau fraîche et de la bière.

Nous voyons peu de stations service sur les routes. Le bus, qui fonctionne au diesel, est obligé de planifier ses pleins. Le diesel vient d’Iran et est mal raffiné, c’est pourquoi les véhicules roulent surtout au gaz. Des camions portent des bonbonnes orange sur le toit ou sous le châssis. Les stations sont des rangées de murets de béton avec un compteur tout petit. Nous voyons des voitures ainsi rangées le long de murs et nous avons mis plusieurs jours à comprendre qu’elles se ravitaillaient en gaz plutôt qu’en essence.

Une heure et demie de bus nous conduisent à la petite ville d’Egueghnadzor où nous allons loger chez l’habitant. Nous sommes dans une grande maison de ville flanquée d’un jardinet de devant et d’une tonnelle sur l’arrière, dont l’étage est réservé aux chambres. Un gamin d’une dizaine d’année, fils de la maison, s’est déjà baigné dans la piscine sous la treille, juste en-dessous des chambres. Il a les pieds nus et les cheveux mouillés et joue avec un mignon chiot tout poilu. Une fois les touristes installés, il se plongera à nouveau dans l’eau glauque qui ne nous tente guère. Après dîner à la cuisine ouverte, un peu en retard sur nous, il ira jouer à des jeux vidéo sur l’ordinateur antique installé dans la loggia de l’étage.

Une fois rafraîchis à la douche, changés, l’apéritif nous convie en bas avant le dîner. Les bouteilles de vin de cerise et de grenade sont sorties avec l’Areni 1991. Tout cela s’oxyde vite une fois ouvert, à moins que cela ne soit du à la chaleur accablante. La table est dressée avec tous ses plats d’entrée en une fois. Nous n’avons plus que le choix de l’ordre pour nous servir. Cette profusion est réjouissante et toutes ces couleurs mettent en appétit.

Deux sortes de salade crue (tomate concombre et carottes râpées), deux sortes de fromage (type feta et blanc frais), olives noires. Suit le plat chaud, un riz pilaf de bœuf aux gousses d’ail, cuisiné pour trente et mijoté des heures. Ce pourquoi l’heure du dîner a été retardé d’une demi-heure. Il faut toujours cuisiner pour qu’il en reste et la proportion est habituellement d’un pour deux : il doit en rester à peu près autant que nous avons mangé. Rien n’est perdu, la suite sera finie par les hôtes le soir même ou le lendemain. Une pastèque juteuse et savoureuse termine par du frais aqueux ce lourd repas pour la chaleur qu’il fait encore. Pas de thé mais une infusion de thym, c’est meilleur. Les chambres qui nous attendent sont écrasées de la chaleur restée du jour. Problème des constructions arméniennes : l’aération. Tout semble fait pour se calfeutrer soigneusement, peut-être pour les six mois d’hiver. Mais dès que l’été vient, les pièces sont des étuves.

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