Conte soufi : Pains et joyaux

Publié le 17 janvier 2012 par Unpeudetao

   Un roi décida par pure charité de céder une part de ses richesses : des joyaux de grande valeur. Ce roi était en même temps désireux de savoir ce qu’il en adviendrait. Il fit donc venir au palais un boulanger en qui il avait toute confiance et lui expliqua son plan. Le boulanger devrait faire deux pains : il introduirait les joyaux dans le premier, avant de le mettre au four ; le second ne serait constitué que de farine et d’eau. Il donnerait le premier à un dévot, le second à un impie.
   Le lendemain matin, deux hommes se présentèrent au fournil. L’un était habillé en derviche et avait pieuse mine, bien qu’il ne fût qu’un simulateur. Le second ne disait mot, et ressemblait à s’y méprendre à un client que le boulanger avait en aversion. Or c’était un homme bon.
   Le boulanger donna le pain truffé de joyaux au faux derviche et le pain ordinaire à l’homme bon.
   Le faux derviche prit le pain, le tâta, le soupesa ; il sentit les joyaux sous ses doigts, pensa que c’était des grumeaux, de gros grumeaux ; il soupesa le pain encore une fois, le trouva décidément trop lourd, jeta un regard furtif au boulanger, vit qu’il n’était pas homme à plaisanter, et se tourna vers l’autre client.
   « Pourquoi ne pas échanger ton pain contre le mien ? lui dit-il. Tu semblés affamé, celui-ci est plus gros… »
   L’homme bon, prêt à tout accepter, quoi qu’il advienne, consentit volontiers à l’échange.
   Le roi, qui avait observé la scène par l’entrebâillement de la porte de la boulangerie, fut surpris, mais ne perçut pas la valeur respective des deux hommes.
   Le faux derviche eut donc le pain ordinaire. Le roi en conclut que le Destin était intervenu pour protéger le derviche contre la richesse. L’homme bon trouva les joyaux dans le pain et sut en faire bon usage. Le roi fut incapable d’interpréter l’événement.
   « J’ai fait ce que Sa Majesté m’a ordonné de faire », se dit le boulanger.
   « On ne peut changer le cours du Destin », se dit le roi.
   « J’ai été malin », se dit le faux derviche.

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