Olafur Ragnar Grimsson, le président islandais. Photo : Metro/ Nicolas Richoffer
Grimsson : “L’exemple islandais donne quelques leçons”
Le président islandais, Olafur Ragnar Grimsson, a expliqué à Metro pourquoi son pays, le premier d’Europe à avoir été frappé par la crise fin 2008, parvient à s’en sortir quand l’Union européenne, elle, s’y enfonce chaque jour un peu plus.
En 2008, trois semaines après la chute de la banque américaine Lehman Brothers, les trois principales banques islandaises deviennent insolvables. Le pays, au bord de la banqueroute, choisit de les laisser faire faillite et lance une sévère cure d’austérité, tout en sollicitant l’aide du Fonds monétaire international. Trois ans après, l’île a retrouvé une assez bonne santé économique, contrairement à l’ensemble de l’Union européenne. Metro a tenté de comprendre pourquoi, grâce à l’éclairage du président de la République d’Islande, Olafur Ragnar Grimsson.
On vous voit sur le site de promotion de votre pays, www.inspiredbyiceland.com, inviter les touristes à venir prendre le thé chez vous. Pourquoi?
C’est ma manière de montrer que l’Islande est un pays ouvert, accueillant et sûr, dans lequel les gens peuvent déambuler librement partout, sans craindre pour leur sécurité. Nous basons notre société sur le principe que quiconque vient nous voir vient en ami, jusqu’à preuve du contraire. A l’inverse de ce qui se passe dans la plupart des autres pays, qui organisent leur société sur la croyance que tout individu est une menace potentielle… Cette manière dangereuse de voir l’autre remet en cause les fondamentaux des sociétés démocratiques. Par ailleurs, je souhaite étendre la saison touristique du pays à l’automne et l’hiver. En ces saisons, les paysages sont plus impressionnants encore, et il ne fait pas si froid que ça !
Le tourisme est-il une manière de booster la reprise économique?
Bien sûr. Depuis le début de la crise il y a trois ans, le secteur touristique a fait un bond de 15%. C’est lié au fait que l’Islande a depuis bénéficié d’une incroyable publicité. D’abord, il y a eu l’effondrement des trois principales banques, à la suite de la chute de Lehman Brothers. Ensuite, l’éruption de l’Eyjafjöll en 2010 a stoppé une bonne partie du trafic à travers l’Europe et même le monde. L’éruption cette année du Grimsvötn a servi de rappel. Et si on parle encore de l’Islande aujourd’hui, c’est lié au fait que ce pays semble sortir de la crise mieux et plus tôt que n’importe quel autre pays d’Europe. Jamais on n’a autant parlé de l’Islande!
L’Islande est-elle sortie de la crise économique?
Certaines portions de la population, et notamment les mères célibataires, se trouvent toujours face à des difficultés importantes: perte de revenus, chômage, problèmes de logement. Notre système de protection sociale fait un effort particulier pour les soutenir. Mais, comparé à d’autres pays européens, il est clair que l’Islande sort de cette crise plus tôt et de manière plus nette que n’importe quel autre pays. Notre croissance économique cette année sera l’une des plus importantes d’Europe, avec +3%, et notre taux de chômage, autour des 6%, est l’un des plus bas. Quand vous vous déplacez, vous ne voyez pas un pays en crise. Ici, la pauvreté est peu visible.
Comment expliquez-vous cette reprise économique rapide?
Nous n’avons pas suivi l’orthodoxie qui guide les politiques en Europe et à l’international. D’abord, nous avons vite réalisé que cette crise n’était pas qu’économique et financière mais aussi politique et sociale, ce que l’Europe ne réalise que maintenant. Nous avons rapidement lancé des réformes politiques, sociales, judiciaires et mis sur pied une commission parlementaire qui, dans son rapport “Vérité”, a expliqué pourquoi le système a échoué (et qui a abouti à la mise en examen du Premier ministre pendant la crise, Geir Haarde, poursuivi pour l’effondrement du système financier – son procès n’a pas encore eu lieu, ndlr).
Ensuite, on a laissé les banques faire faillite. On n’a pas injecté d’argent public pour les sauver, considérant que ce sont des entreprises privées comme les autres. Le fait d’avoir notre propre monnaie, la couronne, nous a aussi beaucoup aidés. Alors que le Fonds monétaire international considère que contrôler la monnaie est la pire des choses, nous avons choisi de la dévaluer, ce qui a été très bénéfique pour nos exportations.
Quand vous mettez tout ça bout à bout, ajouté à la résilience du peuple et à la force des ressources du pays (que sont le tourisme, la pêche, les énergies propres, la high tech et les technologies de l’information), vous comprenez pourquoi notre économie se redresse.
Quelles leçons tirez-vous de la crise?
Nous avons compris que les entreprises financières et bancaires accaparent, grâce à de bons salaires, l’essentiel des ingénieurs informatiques, des mathématiciens, des designers, etc. Au détriment de la high tech ou des technologies de l’information. Quand les banques se sont effondrées, tous ces talents ont retrouvé du travail dans ces secteurs qui, désormais, se portent bien mieux qu’avant! La morale de cette histoire est qu’un important secteur bancaire, dans un pays dont le but est d’être à la pointe de l’économie de la connaissance, est une mauvaise nouvelle.
L’Islande peut-elle être un modèle pour les autres pays européens?
Je suis attentif à ne pas dire aux autres pays ce qu’ils devraient faire. Mais l’exemple islandais donne quelques leçons très importantes. Le choc que nous avons subi il y a trois ans a été très profond. Aujourd’hui, nous sommes clairement allés plus loin sur la voie du redressement que n’importe quel autre pays. Nous avons utilisé la créativité, l’ingéniosité de notre peuple. En octobre, les leaders du FMI ont même reconnu que l’institution avait appris davantage de l’Islande que l’inverse!
Le parlement islandais a fait sa demande d’adhésion à l’UE en 2009. Le pays est entrée en négociations à l’été 2010. Aujourd’hui, la population est majoritairement contre. Pourquoi?
L’Islande était traditionnellement contre le fait d’intégrer l’UE, surtout en raison des restrictions à la pêche imposées par Bruxelles. Quand les banques islandaises se sont effondrées, la zone euro semblait en bonne santé. Beaucoup se sont donc dit qu’il était peut-être temps de l’intégrer. Mais la zone euro est aujourd’hui bien différente d’il y a deux ans… Désormais, la grande majorité des Islandais considèrent qu’il ne faut plus intégrer l’UE. Et ce d’autant plus que les politiques en matière de pêche sont désastreuses. Le secteur de la pêche étant primordial en Islande, les négociations seront difficiles.
Grimsson : “L’exemple islandais donne quelques leçons” – Metro.